dimanche 28 février 2016
samedi 27 février 2016
"d'espoir et de lumière.................
"D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours été hantée par le sens de la vie.
A l'âge de quatre ans je posais à mon père la première question : Pourquoi ?
Invariablement, sa réponse, quelle qu'elle fût, était aussitôt suivie d'un autre pourquoi ?
Plus que tout, j'ai voulu que ces choses que l'on dit banales, ces gestes invisibles à l'échelle de l'univers,
ces moments maigres et fragiles qui sont le pollen de nos vies aient du sens, que la plus infime des sensations ne se perde pas dans le néant mais trouve au contraire une direction qui lui donne un relief, lui confère une densité.
Vivre, pour moi, a forcément à voir avec cette capacité que nous avons de créer du sens.
Un soir, je devais avoir huit ou neuf ans, alors que je me promenais dans la rue avec mon père, j'ai soudainement levé les yeux vers le ciel.
En quelques secondes à peine, j'ai senti se dérouler un fil qui allait du cosmos aux étoiles, puis revenait à la Terre, à la vie sur Terre, aux êtres humains, à mon père et à ma mère, puis à moi, à cette voix en moi qui disait Je.
Il me semblait que ma conscience naissait à mesure que se déchirait le voile qui me séparait de ce qui n'était pas Je. Devenue l'une de ces poupées gigognes qui s'emboîtent les unes dans les autres, je faisais partie intégrante de ce Tout qui allait de la chenille aux planètes, des étoiles au brin d'herbe.
En quelques secondes, l'univers s'est déroulé comme un ruban devant mes yeux d'enfant, et j'ai ressenti un vertige qui contractait mon corps en même temps qu'il provoquait une sensation d'expansion infinie.
Certes, je n'étais qu'une poussière dans ce vaste champ cosmique, mais j'appartenais à cette totalité.
Et cette conscience à laquelle je venais de toucher - cette voix en moi qui disait Je - disparaîtrait un jour, comme tout ce qui naissait allait inéluctablement mourir.
Je n'étais donc pas le centre de cet univers, j'apprenais que la vie donne et reprend, exalte et broie, et qu'un jour on allait m'enlever ce qu'on m'avait offert de plus précieux, l'existence terrestre.
A ma naissance, une invisible aiguille s'était mise en mouvement. Le temps comptait, je ne pouvais en perdre la moindre goutte.
Sans doute, est-ce à ce moment qu'un feu s'est allumé en moi, un feu que j'allais mettre plus de cinquante ans à saisir, à maîtriser et, surtout, à aimer.
Poussée par un irrésistible désir de trouver un sens à chaque chose, je n'ai cessé de chercher avec ferveur,
parfois même avec obstination, à atteindre ce noyau, cette signification de la vie.
J'ai tenté de rejoindre la crête des montagnes abruptes que je gravissais par les flancs les plus escarpés.
Presque naïvement, je voulais que me soit révélé le sens de la vie, que surgisse une figure qui contiendrait des réponses et éclairerait mon existence entière.
J'ai goûté, plus intensément que tout, le plaisir de creuser dans l'opacité des choses pour en extraire l'agencement qui relie des éléments disparates, et duquel émergeait ce qui s'apparente à la conscience.
Comprendre le monde, ou saisir sa beauté, me disais-je, cela ne peut venir que de la perception instantanée d'une ordonnance, d'une figuration du mystère qui semble lever un voile et rendre soudain ce monde accessible.
Je voulais connaître - saisir et vivre - ce sens que nous promet notre naissance, que nous promet l'Amour,
et qu'attestent les textes sacrés".
Hélène Dorion
Recommencements
*****
lundi 22 février 2016
*"A Tu et à Toi"....................
à Tu et à Toi.........
Toi qui n'es rien ni personne
toi
je t'appelle sans te nommer
car tu n'es pas le dieu
ni le masque scellé sur les choses,
mais les choses elles-mêmes
et davantage encore : leur cendre, leur fumée.
Toi
qui es tout,
qui n'es plus, qui n'es pas :
peut-être seulement
l'ombre de l'homme
qui grandit sur la paroi de la montagne
le soir.
Toi qui te dérobes et fuis
d'arbre en arbre
sous le portique interminable
d'une aurore condamnée
d'avance.
Toi
que j'appelle en vain
au combat de la parole
à travers d'innombrables murmures
je tends l'oreille
et ne distingue rien.
Toi qui gardes le silence
toujours
et moi qui parle encore
avant de devenir sourd et aveugle
immobile muet
(ce qui est dit : la mort),
Je vais hors de moi-même en tâtonnant
cherchant ce qui peut me répondre,
"toi",
peut-être simplement
le souffle de ma bouche
formant ce mot.
Toi
je te connais je te redoute
tu es la pierre et l'asphalte
les arbres menacés
les bêtes condamnées
les hommes torturés.
Tu
es le jour et la nuit
le grondement d'avions invisibles
pluie et brume
les cités satellites
perspectives démentes
les gazomètres les tas d'ordures
les ruines les cimetières
les solitudes glacées je ne sais où.
Tu
grognes dans les rumeurs épaisses des autos des camions des gares dans le hurlement
des sirènes l'alerte du travail les bombes pour les familles.
Tu
es un amas de couleurs
où le rouge se perd devient grisaille
tu es le monceau des instants
accumulés dans l'innommable,
la boue et la poussière,
Tu ne ressembles à personne
mais tout compose ta figure.
Tout :
Le piétinement des armées
la masse immense de la douleur
tout ce qui pour naître et renaître
s'accouple à l'agonie,
même les prés délicieux
les forêts frissonnantes
la folie du soleil l'éphémère clarté
le roulement du tonnerre les torrents,
tout.
cela ne fait qu'un seul être
qui m'engloutit ; je vais du même pas
que les fourmis sur le sable.
Toi
je te vois je t'entends
je souffre de ton poids sur mes épaules
tu es tout : le visible,
l'invisible.
connaissance inconnue
et sans nom.
Faut-il parler aux murs ?
Aux vivants qui n'écoutent pas ?
A qui m'adresserai-je
sinon à un sourd
comme moi ?
Tu
es ce que je sais,
que j'ai su et oublié,
que je connais pourtant mieux que moi-même,
de ce côté où je cherche la voie
le vide où tout commence.
Jean Tardieu
****
mercredi 17 février 2016
*Entre chien et loup.............
"Il y a un temps où ce n'est plus le jour, et ce n'est pas encore la nuit.
Il y a bien du bleu dans le ciel, mais c'est une couleur pour mémoire, une couleur pour mourir.
On voit ce qui reste de bleu, et on n'y croit pas.
La dernière lumière s'en va.
Elle a fini son travail qui était d'éclairer les yeux et d'orienter les pensées, et maintenant elle s'en va.
Elle glisse du ciel sur les arbres, puis des arbres sur la terre.
Quand elle touche le sol, elle est toute noire et froide.
On regarde.
Ce n'est qu'à cette heure-là que l'on peut commencer à regarder les choses, ou sa vie !
c'est qu'il nous faut un peu d'obscur pour bien voir, étant nous-mêmes composés de clair et de sombre.

Dehors, il y a les étoiles.

Elles sont comme des clous enfoncés dans le ciel, de l'autre côté, du côté où l'on ne sait pas.
Elles brillent, dépassant légèrement par leur pointe.
Un vent noir passe sur les chemins, dessous les pierres entre les haies.
Il traverse toutes choses comme une parole d'eau pure.
Il fait comme un murmure disant que tout va bien, que l'on peut sans regret baisser les paupières, et entrer lentement dans l'ondée d'un sommeil.
Dedans, il y a le silence de la maison.


Le livre des heures ouvert à la page du repas.


On coupe le pain blanc.


On verse une poignée de couleurs dans une eau frémissante.


Avec le soir, descendent les grands sentiments.
Il entrent dans l'âme comme les loups dans les villes.
C'est la faim que l'on a, qui vous tient tout le long du jour et qui vous serre un peu plus dans ces heures-là - la faim de beauté, de calme et de joie.
Ce sont les anges qui nous gardent, qui sont des gens comme nous, sauf que rien ne les trouble : si purs que personne ne les voit.


C'est un mélange de choses qu'on ne sait pas bien dire, peut-être parce que personne ne sait bien les entendre".
Christian Bobin
Souveraineté du vide
Lettres d'or
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mardi 16 février 2016
...*Si j'écris encore...
"Je pense quelquefois que si j'écris encore, c'est, ou ce devrait être avant tout pour rassembler les fragments, plus ou moins lumineux et probants, d'une joie dont on serait tenté de croire qu'elle a explosé un jour, il y a longtemps, comme une étoile intérieure, et répandu sa poussière en nous. Qu'un peu de cette poussière s'allume dans un regard, c'est sans doute ce qui nous trouble, nous enchante ou nous égare le plus : mais c'est, tout bien réfléchi moins étrange que de surprendre son éclat, ou le reflet de cet état fragmenté, dans la nature. Du moins ces reflets auront-ils été pour moi l'origine de bien des rêveries, pas toujours absolument infertiles".
Cahier de Verdure
Philippe Jaccottet
Gallimard, 1990
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lundi 15 février 2016
....*"Comment je vois le monde"............
"Comment je vois le monde"
"Ma condition humaine me fascine. Je sais mon existence limitée et j'ignore pourquoi je suis sur cette terre, mais parfois je le pressens. Par l'expérience quotidienne, concrète et intuitive, je me découvre vivant pour certains autres, parce que leur sourire et leur bonheur me conditionnent entièrement, mais aussi pour d'autres hommes dont, par hasard, j'ai découvert les émotions semblables aux miennes.
Et chaque jour, mille fois, je ressens ma vie, corps et âme, intégralement tributaire du travail des vivants et des morts. Je voudrais donner autant que je reçois et je ne cesse de recevoir. Puis j'éprouve le sentiment satisfait de ma solitude et j'ai presque mauvaise conscience à exiger d'autrui encore quelque chose.
Je vois les hommes se différencier par les classes sociales et, je le sais, rien ne les justifie si ce n'est la violence.
J'imagine accessible et souhaitable pour tous, en leur corps et en leur esprit, une vie simple et naturelle.
Je me refuse à croire en la liberté et en ce concept philosophique. Je ne suis pas libre, mais tantôt contraint par des pressions étrangères à moi ou tantôt par des convictions intimes. Jeune, j'ai été frappé par la maxime de Schopenhauer : "l'homme peut certes faire ce qu'il veut mais il ne peut pas vouloir ce qu'il veut" ;
et aujourd'hui face au terrifiant spectacle des injustices humaines, cette morale m'apaise et m'éduque.
J'apprends à tolérer ce qui me fait souffrir. Je supporte alors mieux mon sentiment de responsabilité.
Je n'en suis plus écrasé et je cesse de me prendre moi ou les autres trop au sérieux. Alors je vois le monde avec humour. Je ne puis me préoccuper du sens ou du but de ma propre existence ou de celle des autres, parce que, d'un point de vue strictement objectif, c'est absurde. Et pourtant, en tant qu'homme, certains idéaux dirigent mes actions et orientent mes jugements. Car je n'ai jamais considéré le plaisir et le bonheur comme une fin en soi et j'abandonne ce type de jouissance aux individus réduits à des instincts de groupe.
En revanche, des idéaux ont suscité mes efforts et m'ont permis de vivre. Il s'appellent le bien, le beau, le vrai. Si je ne me ressens pas en sympathie avec d'autres sensibilités semblables à la mienne, et si je ne m'obstine pas inlassablement à poursuivre cet idéal éternellement inaccessible en art et en science, la vie n'a aucun sens pour moi. Or l'humanité se passionne dans des buts dérisoires. Ils s'appellent la richesse, la gloire, le luxe. Déjà jeune je les méprisais.
J'ai un amour fort pour la justice, pour l'engagement social. Mais je m'intègre très difficilement aux hommes et à leurs communautés. Je n'en éprouve pas le besoin parce que je suis profondément un solitaire. Je me sens lié réellement à l'Etat, à la patrie, à mes amis, à ma famille au sens complet du terme. Mais mon coeur ressent face à ces liens un curieux sentiment d'étrangeté, d'éloignement et l'âge accentue encore cette distance. Je connais lucidement et sans arrière-pensée les frontières de la communication et de l'harmonie entre moi et les autres hommes. J'ai perdu ainsi de la naïveté ou de l'innocence mais j'ai gagné mon indépendance. Je ne fonde plus une opinion, une habitude ou un jugement sur autrui. J'ai expérimenté l'homme"
(...)
Einstein
Comment je vois le monde
Champs
Flammarion
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dimanche 14 février 2016
*Courlis.................
Nous nous asseyions sur le perron à attendre et David nous rejoignait. Sous la couverture de l'obscurité, le courlis commençait son récital. Son chant ressemblait aux notes d'une flûte, elles montaient en ton et en volume dans un bel arpège mineur. Puis il chantait deux notes montantes suivies par une dernière qui disparaissait dans un glissando descendant.
Quelques temps auparavant, ma mère avait écrit un poème sur le chant de cet oiseau. C'était pendant la dernière visite de Ray, il l'avait aidée à trouver les mots qu'elle cherchait et ils avaient travaillé ensemble avec une complicité remarquable. Ensuite elle avait envoyé son poème à la revue "The Bulletin" et c'était pendant la période de son absence qu'il parut enfin. Nous étions tous heureux de le voir, pensant au plaisir qu'éprouverait notre mère en rentrant" :
"Courlis dans la Nuit"
"Pieux oiseaux en noir et blanc
Et cacatoès blanc comme la neige
Ecoutez le cri strident
Du pauvre courlis fou
Qui suit un chant torturé
Pa la peine, le désespoir
Dans un sauvage crescendo qui
Gagne la lune puis revient à terre
Gentils oiseaux, chantez en choeur,
Aux heures tranquilles de midi,
Evitez le mécréant tacheté
Et la lune source de malheur"
"C'était le chant d'oiseau préféré de mes parents. Je le trouvais très beau, mais si triste ; il me donnait la chair de poule.
Moi, j'aimais mieux celui des pies. Il fallait faire attention durant la saison de la nidification, car elles défendaient leur territoire et leur progéniture avec zèle. Maintes fois nous avons été attaqués en passant innocemment sous les arbres où elles avaient leurs nids. Les pies arrivaient avec un grand claquement d'aile noir, visant directement nos visages avec leurs becs et leurs griffes. Pendant cette époque il valait mieux porter de grands chapeaux en se promenant.
Malgré la terreur qu'elles m'inspiraient, j'adorais entendre leur chant. Il résonnait parmi les eucalyptus comme des notes émanant d'un carillon éolien. Alors on pouvait tout pardonner, leur apparence ordinaire et même leur agressivité".


Juliet Schlunk
Rosenthal, une enfance australienne
Collection main de femme
Editions Parole
*****
dimanche 7 février 2016
..."Au commencement, il y avait le jardin...............
Au commencement, il y avait le jardin. Le gazon d'abord, le plus près de moi, un petit miracle, toujours vert, même en plein été.


L'herbe fraîche où je me roulais en criant de joie sous le jet d'eau du tuyau d'arrosage que tenait mon père pour me rafraîchir.

Je découvrais alors la longue rangée d'arums.

J'aimais en caresser les fleurs et sentir cette texture douce, ferme et cireuse.
Elles me paraissaient presque animales avec leurs longues étamines couvertes de pollen.
J'étais petite et elles me semblaient énormes.
A côté il y avait des plates-bandes de gazanias,

de marguerites

et de soucis.


de marguerites

et de soucis.

Mes parents, Eric et Olga, adoraient les oiseaux. 
Au centre du gazon, mon père avait fabriqué une baignoire avec un récipient concave récupéré sur une charrue à disques.
Il l'avait astucieusement monté sur une colonne de pierres maçonnées.
Le succès fut immédiat à voir le nombre de volatiles qui se pressaient pour l'utiliser.



Il en fabriqua encore trois qu'il dissémina dans d'autres coins du jardin....
Ma mère avait planté beaucoup d'arbustes et arbres indigènes dans son jardin.




A l'entrée du jardin, deux gommiers "ironbark" montaient la garde.
Ils avaient une écorce noire et rêche et leurs feuilles étaient d'un vert bleuâtre.
Ils donnaient d'exquises fleurs parfumées au printemps ; on aurait dit des yeux de miel entourés par de longs cils d'un rose carmin.
Derrière les plates-bandes, elle avait placé des arbustes "Rince-bouteille" qui donnaient des fleurs rouges en forme de brosses cylindriques (Callistemon),

des "tea-trees" (Leptospermum)

et des Grevilleas (Grevillea rosmarinifolia).


des "tea-trees" (Leptospermum)

et des Grevilleas (Grevillea rosmarinifolia).
Pour faire une haie entre le jardin et la petite route de terre, on avait planté des bambous.

Juliet Schlunke
Rosenthal, une enfance australienne
Collection "main de femme"
Editions Parole
*****
(photos empruntées sur la toile)
*****
"Juliet Schlunke est née dans une ferme du sud-est de l'Australie. De parents artistes et éleveurs, elle a été formée aux Beaux-Arts à Sydney par John Olsen, le plus grand peintre australien.
Elle a parcouru les Etats-Unis, séjourné une vingtaine d'années en Espagne, travaillé notamment à Genève et Paris pour finalement s'établir en Luberon. Elle peint et a signé de nombreux décors pour des collections réputées de tissus et de faïence.
Rosenthal, une enfance australienne est le récit de son enfance dramatique"
Den
Je vous souhaite un dimanche serein.....et peut-être l'envie de lire ce livre qui est une pure merveille ....
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"Juliet Schlunke est née dans une ferme du sud-est de l'Australie. De parents artistes et éleveurs, elle a été formée aux Beaux-Arts à Sydney par John Olsen, le plus grand peintre australien.
Elle a parcouru les Etats-Unis, séjourné une vingtaine d'années en Espagne, travaillé notamment à Genève et Paris pour finalement s'établir en Luberon. Elle peint et a signé de nombreux décors pour des collections réputées de tissus et de faïence.
Rosenthal, une enfance australienne est le récit de son enfance dramatique"
Den
Je vous souhaite un dimanche serein.....et peut-être l'envie de lire ce livre qui est une pure merveille ....
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vendredi 5 février 2016
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