Je suis et je te donne la grappe qui achève septembre
pulpeuse trés-or bien nourri
un autre regard ,
sur le premier mois humide de l'oh-tonne qui se faux-fil,
de fleurs en fruits
de grains en baies,
abondants
sous le soleil en corps en choeur...
Entre mes doigts sillons
un morceau de ta chair
du
bout des lèvres, du bout dedans,
dans le silence du jour
réanime le coeur sculpté serré
dans la quintessence
l'élixir rêve-hein ...
à l'encre de mon ciel d'en haut
Inspirée, tu es
grappe frêle aux couleurs mates et tendres,
à la saveur murie pur jus
plus que de saison,
et tu enchantes mes mots cousus
dégoulinant qui gambadent
a-paix-et sur les chemins de la nuée
devenue veine tissée
qui en-flamme
Lorsque ta vie vacille Que le monde s’enchevêtre En branches bien trop lourdes Que le ciel t’apparaît L’indéchiffrable énigme Que des forces prodigieuses Veulent s’emparer de toi C’est le signe lâche prise ! Le printemps est la clé De ce silencieux naufrage Le sceau mystérieux De ta déroute et de ta joie.
Quand on survit dans une situation de contrainte, on s'y adapte en vivant à cloche-pied. On peut passer sa vie en n'exprimant que ce que les autres acceptent d'entendre, ce qui construit une crypte dans l'âme. Il n'est pas rare que cette entrave provienne de l'existence.
Si un orphelin veut ne pas vivre dans un monde vide, déserté par ses parents, il est contraint d'imaginer une famille pour combler son manque et donner sens à ses efforts.
Un homosexuel est amené à faire silence sur son marginal désir afin de ne pas blesser ses proches.
Cette contrainte le mène à organiser deux vies : l'une socialement acceptable et l'autre plus secrète, où il est à la fois heureux d'être lui-même et malheureux de ne pas être comme tout le monde.
C'est en prison qu'on rêve le mieux de liberté. Ceux qui ont la chance d'avoir une famille, une sexualité dans la norme et la liberté d'aller où ils veulent choisissent souvent de se mettre à l'épreuve afin d'avoir quelque chose à raconter, un voyage extrême, un sauvetage extraordinaire ou une aventure intellectuelle. L'épreuve choisie offre une contrainte à créer,.....(...)
Les blessures de l'existence, les manques et les pertes nous mettent en demeure de créer d'autres mondes plus habitables où nos âmes assombries seront ensoleillées par nos oeuvres. Quand la créativité est fille de la souffrance, l'écriture rassemble en une seule activité les principaux mécanismes de défense : l'intellectualisation, la rêverie, la rationalisation et la sublimation.
Crier son désespoir n'est pas une écriture, il faut chercher les mots qui donnent forme à la détresse pour mieux la voir, hors de soi. Il faut mettre en scène l'expression de son malheur pour en remanier la représentation. Lorsque le spectateur applaudit ou quand le lecteur comprend, il confirme que le malheur a été métamorphosé en oeuvre d'art. Le blessé ne réintègre l'univers des gens heureux qu'en créant chez eux un moment commun d'émotion, de joie ou d'intérêt.
Ecrire dans la solitude, pour ne plus se sentir seul, est un travail imaginaire qui trahit le réel puisqu'il le rend partageable, mais apaise l'auteur en tissant un lien de familiarité avec celui (celle) qui le lira.
Pourtant l'écriture n'est pas une thérapeutique. L'auteur a souffert de son malheur, il ne redeviendra jamais sain, comme avant. Le travail de l'écriture l'aide plutôt à métamorphoser sa souffrance. Avant, j'étais dans la brume comme une âme errante, là ou ailleurs, sans savoir où aller, sans comprendre.
Depuis que j'ai écrit, je me suis mis au clair, je ne suis plus seul, j'ai repris une direction, mais je ne suis pas guéri, je ne redeviendrai jamais comme avant puisque la blessure est dans mon corps, dans mon âme et dans mon histoire. Mon malheur charpente ma personnalité. Tout ce que je perçois, les objets, les lieux, les maisons et les raisons, sont référés au malheur passé, mais je n'en souffre plus.
Puisque j'ai trouvé un sens, mon monde intime a pris une autre direction. Depuis que j'ai écrit mon malheur, je le vois autrement : "Aux effets de symbolisation et de trace qui sont plus forts dans l'acte d'écrire que dans celui de parler, il faut ajouter les bénéfices secondaires de prise de recul, d'apaisement et de reconnaissance";
Quand le malheur entre par effraction dans le psychisme, il n'en sort plus. Mais le travail de l'écriture métamorphose la blessure grâce à l'artisanat des mots, des règles de grammaire et de l'intention de faire une phrase à partager. L'objet écrit est observable, extérieur à soi-même, plus facile à comprendre. On maîtrise l'émotion quand elle ne s'empare plus de la conscience. En étant soumis au regard des autres, l'objet écrit prend l'effet d'un médiateur.
Je ne suis plus seul au monde, les autres savent, je leur ai fait savoir. En écrivant j'ai raccommodé mon moi déchiré ; dans la nuit, j'ai écrit des soleils.
(...) Les mots écrits possèdent un pouvoir de métaphore. "Dès que vous savez lire, vous devenez lecteur", vous n'êtes plus le même, vous venez de changer de manière d'être humain. "la littérature, comme toutes les formes d'art, est la preuve que la vie ne suffit pas..."
La vie n'est que biologique, nécessaire et insuffisante.
L'art est la négation de cette vie, le piège des mots crée la sensation d'exister .
La seule réalité c'est l'âme ;
tout ce qui n'est que corps "me paraît frivole et trivial comparé à la pure et souveraine grandeur de mes rêveries...
Echappe-toi avec lui ! Suis le premier oiseau, Ecoute bien son chant : Comme il résonne en toi D’un amour infini.
Si le froid t’engourdit
Chausse-toi de courage,
Mets tes pas dans la neige
Suis des chemins de gel,
Eprouve leur douceur
Apprivoise leurs cris.
Quand le jour t’appauvrit,
Quand la nuit te précède,
Que tu ne sais plus l’heure
Ni l’instant de ta perte,
Pose là tes désirs
Tes armes et tes combats.
Sors des ombres têtues,
Prends la voie souveraine
Qui n’a pour seules lumières
Que d’épouser tes pas.
Si ton cœur te fait mal
Si ton corps te malmène, Si ta vie est pour toi Un supplice, une croix, Ecoute murmurer La sève de tes veines : Sois le sang des racines, L’effleurement de l’aile, L’adagio des nuages, La vibration de l’air.
« Je sais maintenant, grâce aux récits intimes de mon for intérieur, et
aux histoires des enfances fracassées, qu’il est toujours possible
d’écrire des soleils.
Combien, parmi les écrivains, d’enfants
orphelins, d’enfants négligés, rejetés, qui, tous, ont combattu la perte
avec des mots écrits ?
Pour eux, le simple fait d’écrire changea le goût du monde.
Le
manque invite à la créativité. La perte invite à l’art, l’orphelinage
invite au roman. Une vie sans actions, sans rencontres et sans chagrins
ne serait qu’une existence sans plaisirs et sans rêves, un gouffre de
glace.
Crier son désespoir n’est pas une écriture, il faut
chercher les mots qui donnent forme à la détresse pour mieux la voir,
hors de soi. Il faut mettre en scène l’expression de son malheur.
L’écriture comble le gouffre de la perte, mais il ne suffit pas d’écrire pour retrouver le bonheur.
En
écrivant, en raturant, en gribouillant des flèches dans tous les sens,
l’écrivain raccommode son moi déchiré. Les mots écrits métamorphosent la
souffrance. »B. C.
Un livre bouleversant, de témoignage et
d’émotion, où Boris Cyrulnik convoque les déchirures d’écrivains
célèbres, les conjugue à l’aune de ses propres souffrances pour mieux
convaincre chacun de nous des bienfaits de l’imaginaire, de la puissance
du rêve, des pouvoirs de guérison que recèle l’écriture."
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De quoi le soleil est-il la métaphore ?
De la chaleur affective… De la présence de quelqu’un qui, en nous
rassurant, éclaire le monde. Sans elle, le monde n’est que brouillard.
Je ne sais pas où aller, que penser, je suis petit, je ne connais rien
du monde, ma mère n’est pas là. Elle ou un substitut, qui peut être un
homme, arrive, le monde s’éclaire et mon monde affectif se réchauffe, je
peux me remettre à vivre. Voilà la métaphore du titre de mon livre...
Boris Cyrulnik
Des enfants privés de soleil
Le soleil n’est pas toujours une métaphore… On le voit avec l’exemple
des 200 000 enfants roumains abandonnés par la politique criminelle de
Ceaușescu, privés de mère, privés de soleil. Rien ne s’est développé,
ils n’étaient que auto-centrés puisque le seul objet extérieur à
eux-mêmes c’était leurs mains, leurs cris, leurs odeurs. Rien ne pouvait
éclairer leur monde, qui n’était que brume. C’était un monde de glace…
Certains de ces enfants ont pu se remettre à vivre mais certains n’ont
pas pu se réchauffer… Boris Cyrulnik
De chaque côté de la route étroite qui serpente entre des champs d’un vert épais, un vert d’orage et d’herbe, des fleurs, énormes, aux couleurs pâles, aux tiges vacillantes, des fleurs poussent en toute saison. Elles bordent ce ruban de goudron jusqu’au chemin où un pieu de bois surmonté d’un écriteau indique :Vous êtes arrivés au Paradis. En contrebas, le chemin, troué de flaques brunes, débouche sur une large cour : un rectangle de terre battue aux angles légèrement arrondis, mangé par l’ivraie. La grange est strictement tenue. Devant, un tracteur et une petite voiture bleue sont rangés là et nettoyés régulièrement. De l’autre côté de la cour, des poules, des oies, un coq et trois canards entrent et sortent d’un cabanon en longueur percé d’ouvertures basses. Du grain blond couvre le sol. Le poulailler donne sur une pente raide bordée par un ru que l’été assèche chaque année. À l’horizon, les Bas-Champs sont balayés par le vent, la surface du Sombre-Étang dans son renfoncement de fou-gères frissonne de hérons et de grenouilles. Au centre de la cour, un arbre centenaire, aux branches assez hautes pour y pendre un homme ou un pneu, arrose de son ombre le sol, si bien qu’en automne, lorsque Blanche sort de la maison pour faire le tour du domaine, la quantité de feuilles mortes et la profondeur du rouge qui les habille lui donnent l’impression d’avancer sur une terre qui aurait saigné toute la nuit. Elle passe le poulailler, passe la grange, passe le chien, peut-être le douzième, le treizième qu’elle ait connu ici – d’ailleurs il n’a pas de nom, il s’appelle « le Chien », comme les autres avant lui –, elle trottine jusqu’à la fosse à cochons, un cercle de planches avec une porte battante fermée par un loquet que le froid coince, l’hiver. Là le sol est tanné, il a été piétiné pendant des années puis laissé à l’abandon sans qu’aucun pied, qu’aucune patte ne le foule.Dans la fosse, si vaste pour un lieu qui n’accueille plus d’animaux, dans la fosse, Blanche se tient droite, malgré les quatre-vingts années qui alourdissent sa poitrine, balafrent son visage et transforment ses doigts en bâtons cassés.La fosse est vide mais en son centre gît un bouquet de ces fleurs qui bordent le ruban de goudron menant au Paradis. Certaines ont déjà fané, d’autres – comme Blanche – sont sur le point de perdre leurs dernières couleurs. C’est un petit bouquet de campagne dans un grand cercle terreux. Les épaules chargées d’un gilet rouge, d’un rouge plus vif que celui des feuilles mortes sous l’arbre à pendaisons, elle bascule, s’agenouille devant ce petit bouquet qu’un enfant aurait pu composer pour sa première communion et en retire les tiges brunes qu’elle jette, d’un geste étonnamment vif, presque violent. Puis elle sort de la poche de ce gilet rouge, d’un rouge plus vif que le sang du Paradis, quelques fleurs encore jeunes, sur lesquelles elle souffle très doucement avant de les déposer avec les autres. Elle se tient là, prostrée devant ce petit bouquet de campagne, si joli au milieu de cette fosse que sa grand-mère, Émilienne, a fait creuser pour ses cochons. C’était il y a longtemps. Elle se souvient de tout.Car si aucun animal n’habite plus cette arène de planches et de terre, une bête s’y recueille chaque matin.
Blanche.
Faire mal
Blanche et Alexandre firent l’amour pour la première fois pendant qu’on saignait le cochon dans la cour. Ils avaient fermé les fenêtres, sans tirer les rideaux. En bas, la fête battait son plein. L’animal gueulait comme un supplicié, les paysans voisins s’étaient rassemblés ; le sang dessinait de larges coquelicots sombres sur la terre battue. Sous le grand arbre devant la porte, Louis avait dressé des tables recouvertes de nappes aux initiales de la famille Émard. Une quarantaine de personnes assistaient à l’écoulement, les petits regardaient, les yeux écarquillés. Émilienne, au premier rang, disait : « Là, là, doucement... Le sang, gardez bien le sang. »Au premier étage, Blanche et Alexandre, nus, se serraient, enlacés, sachant quoi faire sans savoir comment faire, sachant que ce serait douloureux sans savoir comment rendre cette douleur plus belle. L’odeur du sang dans la cour rivalisait avec celle de la peau d’Alexandre, du sexe de Blanche, ils ne sentaient plus rien qu’eux-mêmes, n’entendaient que leurs souffles mêlés, tout à la fois apeurés et soulagés de se retrouver ensemble, enfin. D’abord, Alexandre explora la jeune fille avec ses mains et sa bouche. Elle, la tête sur les immenses oreillers bleus, le regardait. Il tenait sa taille dans ses bras, sa langue et ses doigts descendaient le long de son ventre tels des grimpeurs en manque de montagne. Avant d’enfouir ses lèvres dans le sexe de Blanche, Alexandre releva la tête, les yeux fixés sur les poils pubiens d’un brun foncé. Souriant, il désigna par la fenêtre les feuilles du grand arbre et murmura :
Cécile Coulon est née en 1990. En
quelques années, elle a fait une ascension fulgurante et a publié six
romans, dont Trois Saisons d’orage, récompensé par le prix des
Libraires, et un recueil de poèmes, Les Ronces, prix Apollinaire.
A la Grande Librairie ce mercredi sur France 5.
"Cécile Coulon nous ouvre les portes du « Paradis », ce vaste domaine
appartenant à la famille Emard. Depuis le décès de leurs parents dans un
accident de voiture, Blanche et Gabriel y sont élevés par leur
grand-mère, Emilienne. Une bête au paradis (L’Iconoclaste) est un conte
noir qui nous fait découvrir une lignée de femmes et ce qu’elles ont de
plus cher : leur terre. C’est l’un des mes grands coups de cœur de la
rentrée ! (François Busnel)
Quand
l'âme est aux A... bois et tire et puise par elle par la source du
Jardin l'allume hier
citadelle défendue
coûte que coûte.. tes fleurs à la douce senteur, tracées au corps
d'eau y sont belles, et tes mots plantés si beaux dans
le bleu du ciel !
Merci
ma belle, je t'envoie, sous la
canicule, de gros bisous
d'amitié...