vendredi 31 août 2018

Olafur Arnalds - Best of




Je vous souhaite un doux week-end à venir

dans la douce-heure de ce mât-teint qui se glisse douce-aimant 
près d' Olafur Arnalds à la belle notoriété, 
 en marge  néanmoins d'un univers classique,  
qui nous offre ici ce voyage tonal 
qui hésite comme son ciel islandais, 

 entre la nuit et la lumière, 
la pluie et l'éclaircie, 
 et une musique de chambre contemplative et une techno minimale

“Mon idée n’est pas de promouvoir le pays. On a un office du tourisme pour ça (rires). Mais je voulais briser les préjugés que les gens peuvent avoir sur la musique ici et montrer comment elle se joue vraiment.” 


 En 2014, son travail sur la musique de la série britannique Broadchurch lui a valu un Bafta (récompense de l’Académie britannique des arts du film et de la télévision) 



Une belle journée.

Je vous en brasse tout près de  ce clavier en-chanté.

Demain sera le   1er  jour du Mai de l'Automne et ses nouvelles couleurs,

ses senteurs aromatisées  tant aimées.

Un bel accompagnement.

Den





mercredi 29 août 2018

*"les exilés meurent aussi d'amour"




Les exilés meurent aussi d'amour


À ma mère






Première partie

An I de l’exil



Si je ne m’imaginais pas retrouver une maison équivalente à celle que je venais de quitter à quelque 4 215 kilomètres de là – mes parents m’avaient prévenue –, je ne m’attendais pas à ça. Trois fois deux pièces dans la même résidence, dans le même immeuble, les uns au-dessus des autres, mes deux tantes célibataires au dernier étage dans un appartement que Mitra avait baptisé l’Atelier, et qui m’était interdit tant les toiles de Zizi, les tubes de peinture, les pinceaux, les sculptures de Tala, la glaise, le plâtre, le marbre parfois, les photographies, les dessins, les livres d’art et les nus, les nombreux nus, occupaient tout l’espace.
C’était laid. Un balcon filant, mais vide. Le gris des immeubles pour seul horizon. Le minimalisme bétonné de la fin des années 70. Alors qu’une musique iranienne qui se voulait joyeuse prenait tout le monde à la gorge, Mina, la fille de Mitra et du Chinois, nouveau-née à la pilosité excessive, dormait. Je regardais autour de moi, tout me semblait banal : les assiettes, la moquette râpeuse, les ampoules nues, le papier peint d’un beige vieillot avec des motifs bambou. Quelques bibelots de valeur, rapportés entre les pulls de nos valises, juraient avec le décor. D’un an mon aîné, mon cousin Pejman (l’autre enfant de Mitra et du Chinois), se tenait dans un coin et, toujours effrayé, toujours silencieux, bâtissait des constructions tortueuses en Lego qui tenaient pourtant debout. Immobile sur le seul fauteuil confortable, grand-père Mahmoud, le père de Niloo et de mes tantes, n’avait pas desserré les dents depuis l’exil – je pensais qu’il était devenu gaga et parfois, en passant près de lui, j’agitais ma main devant son visage pour vérifier qu’il était encore en vie. Il me lançait alors un regard vide et je m’éloignais, en précisant à celui que je croisais que le grand-père était bien vivant.
Je fis le tour de l’appartement. J’en refis le tour. Je tentai de pousser les murs, espérant une porte cachée, une suite dans cet espace trop petit : mais où allais-je dormir ? La réponse vint rapidement. Par terre. Sur des matelas, dans le salon-salle-à-manger-bibliothèque-bureau avec mon père et ma mère – et le tout petit frère dans le ventre de ma mère.
L’exil, c’est d’abord ça : un espace confiné, entouré d’un monde inconnu et vaste, et d’autant plus inaccessible qu’il paraît impossible de s’échapper de la cage où s’amassent les restes misérables du pays natal.
J’étais coincée.

Le vrai drame de ce premier jour de septembre fut l’absence de Tala. Elle était belle et n’avait que dix ans de plus que moi. Les cheveux noirs et longs, la peau mate, les yeux bridés, cernés de khôl noir, auréolés d’épais sourcils en accent circonflexe, les lèvres charnues, tout en elle respirait la sensualité qui enrobait la rondeur de son corps d’impatience. Elle était trop maquillée, trop brusque, trop bruyante, presque vulgaire, mais personne ne lui ressemblait. Je l’aimais. J’attendais son retour, le ressentiment le disputant à la tristesse : je ne l’avais pas vue depuis si longtemps, était-il possible qu’elle ne m’aime plus ?
Comme moi, Zizi attendait Tala. Zizi – c’était son surnom, personne alors ne savait qu’en France, Zizi voulait dire pénis, qu’importe, d’ailleurs, Zizi resterait toujours Zizi. Elle s’était assise à côté de moi, son carnet de dessin sur les genoux, son crayon à papier dans la main. Mais elle ne dessinait pas, elle ne me parlait pas, elle attendait Tala. Zizi était à ce point pathétique que ses futurs psys s’endormiraient lors des séances : elle refusait obstinément de faire le lien entre son amour absolu pour Tala, son désir des femmes et sa tendance autodestructrice. Zizi, un vers de Baudelaire : « Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre. » Elle aussi doutait de l’amour de Tala.
Quand le doute de l’exil vous prend, vous êtes foutu. Peut-être était-ce ce doute, manifeste dans l’instabilité des corps qui ne savent plus comment se tenir, ni à Paris ni dans les conversations, qui hésitent, bifurquent, reprennent sans logique, peut-être était-ce ce doute qui me fit chanceler dès le premier jour. C’est quelque chose, l’exil : une claque qui vous déstabilise à jamais. C’est l’impossibilité de tenir sur ses deux pieds, il y en a toujours un qui se dérobe comme s’il continuait de vivre au rythme du pays perdu.

*
À Paris, personne n’avait de bureau où se rendre le matin, pas de rendez-vous, aucun retard. On s’agitait beaucoup plus qu’à Téhéran, tout le monde semblait très occupé mais il ne se passait rien. Les gens parlaient politique, les idées se heurtaient les unes aux autres. Tout ça me paraissait bizarre. Je me disais qu’ils avaient pris un coup de vieux, qu’ils étaient maintenant comme grand-père Mahmoud qui ne travaillait plus. Mais à Téhéran, même grand-père Mahmoud passait ses journées dans son bureau où d’autres grands-pères venaient le voir, et parlaient de tout ce qu’ils ne pouvaient plus décider.
Tala faisait comme tout le monde, comme si nous étions encore à Téhéran, comme si nous attendions d’autres invités, comme si tout ne s’était pas rétréci. Les premiers jours furent la brume : les personnages étaient les mêmes mais effacés, sans continuité, comme les premières aquarelles de Zizi qu’il fallait regarder très longtemps pour y reconnaître un visage. Je tendais la main, et s’il y avait toujours quelqu’un pour me la tenir, je n’avais plus aucun refuge. Je ne savais pas encore que mes racines avaient été coupées. Je constatais simplement que plus personne ne s’occupait de moi, que Tala ne m’aimait plus, qu’il n’y avait plus de sonnerie de téléphone, plus de livraisons de robes, de fleurs, de spiritueux, de chocolat, plus de listes d’invités, plus d’invitations à des mariages, plus d’école, plus d’amis, plus de temps perdu. La famille continuait de déboucher des bouteilles de vin ou de se disputer en citant des tas d’hommes célèbres. Ils déclamaient la révolution alors qu’il n’y avait plus personne pour les entendre. Rien n’était plus comme à Téhéran. Seul mon père ne participait pas au jeu du « voilà exactement pourquoi ça n’a pas marché » et « il faut lutter contre les-putains-d’enculés-de-fascistes » – mais il ne me parlait pas davantage, alors ça ne changeait rien pour moi.

Dans cette famille, la révolution s’était incrustée partout, sorte d’oxygène indispensable à la vie. Chacun avait un destin et un rôle politiques à tenir, chacun incarnait un idéal qui n’était jamais advenu. Communistes, radicaux de gauche, activistes. Mon oncle Behrouz et une cousine – ils étaient amants, mais ça nous l’avons su des années plus tard quand est apparue une petite cousine/petite nièce américaine – avaient passé de longues années en prison pour communisme aigu. Un des grands-oncles de ma mère était mollah, et personne ne le fréquentait plus avant la révolution : il deviendrait quelqu’un dans le nouveau régime et nous enfoncerait avec la hargne de ceux qui n’ont pas été assez aimés. Niloo, ma mère, était passée de toit en toit, armes sur le dos, fuyant les descentes de police pour préserver la famille, elle se cassa finalement une jambe. Mon père, Siamak, qui théorisait sur « comment transformer la dictature communiste en démocratie », fut un perdant dès le premier jour de sa vie. Tala avait alors une dizaine d’années, et la gourmande servait d’alibi à son frère Behrouz pour faire circuler le journal de l’opposition rouge dans différents salons de thé de la capitale. Des cousins avaient des connexions avec l’extrême gauche internationaliste londonienne et passeraient sept mois dans les camps d’entraînement palestiniens pour combattre les colons qui n’étaient pas encore seulement des juifs. Le Chinois (surnommé ainsi parce qu’il était, en Iran, un homme d’affaires redoutable et que les Chinois sont généralement redoutables en affaires) finançait à coups de billets la révolution qu’il espérait, bien qu’il ne sache pas ce qu’elle racontait, tandis que Mitra chauffait les esprits, flattait les hommes, couchait en douce avec tout ce que son frère comptait d’alliés politiques et souriait aux lendemains qui chantent – même s’ils ne chanteraient que pour les autres.
Quand j’étais petite, les livres que m’offraient mes oncles et mes tantes venaient directement de Chine. Ils étaient écrits en chinois et les images montraient des petites filles obéissantes qui jardinaient, faisaient leurs devoirs consciencieusement et dénonçaient les méchants voleurs. Ma mère me lisait en cachette des contes où il était question de marâtre et de prince amoureux, jusqu’au jour où mon père m’offrit tous les albums du capitaliste Tintin – et je fus perdue pour la cause. (Plus tard, je cherchai à retrouver les livres chinois de mon enfance et découvris que Zizi les gardait religieusement.) Mitra m’utilisait pour voler des sacs à main, faire les poches, détourner l’attention d’untel, ou de tel autre lors des grandes soirées qu’elle organisait, ou encore pour transporter des journaux interdits dans mon cartable qu’elle récupérait devant l’école quand il n’y avait plus de gardiens-de-la-morale-mon-cul pour nous surveiller. Moi aussi, j’étais devenue un rouage de la révolution.

*
Mitra réfléchissait beaucoup. Elle sortait le matin et ne revenait que le soir. Ma mère disait : « Mitra réfléchit » et chaque fois, elle semblait aller mieux. Pour tous les autres – sauf mon père – Mitra allait nous sauver. Elle était la plus réussie des sœurs Hedayat. Tout le monde s’éprenait d’elle. Diplômée en psychologie, sociologie et anthropologie, parlant parfaitement l’anglais, elle avait de longs cheveux roux, les yeux gris, la peau d’un blanc légèrement doré, les lèvres fines et élégantes, elle était l’inaccessible étoile de la féminité et l’âme de la famille. Mais l’exil allait révéler le vrai visage de Mitra : son intolérance, son arrogance, sa pulsion de mort. À Téhéran, c’était impossible, la maison était trop grande, les activités trop nombreuses, la vie sociale servait de cache-misère : Mitra manipulait son monde en marionnettiste, invisible et silencieuse. Mais, ici, à Paris, la promiscuité, le manque, l’échec, le déclassement, l’avenir brouillé et le présent qui se dérobait, allaient la placer sous la lumière crue de la vérité. Et elle serait effrayante.
Mitra portait en elle les germes qui allaient détruire la famille. Jamais elle ne pardonnerait au reste du monde la mystérieuse maladie qui bientôt la défigurerait, faisant entendre en un écho entêtant qu’elle avait été une si belle femme, et nourrissant son ressentiment déjà considérable. Depuis l’enfance, elle était envieuse, et le fut avant même de voir le jour. Mitra avait une jumelle qui n’avait pas survécu à son avidité. À sa naissance, sa jumelle ressemblait à un champignon déshydraté et noirci, comme si Mitra – un beau bébé de cinq kilos huit cents – avait aspiré toute vie en elle. Mitra me raconta l’histoire de sa sœur mort-née, pour que je la craigne à défaut de l’aimer. Elle n’aurait pas supporté une autre Mitra, elle n’aurait pas supporté de partager sa beauté ou son intelligence, elle avait détourné toute la nourriture destinée à sa jumelle et l’avait tuée dans l’œuf.
Finalement, Mitra n’eut pas besoin de nous sauver, les attentats qui furent perpétrés un mois après notre arrivée s’en chargèrent. Car les révolutionnaires, même de salon, ne se reposent jamais. Leurs auteurs se répartissaient en deux groupes : les uns (les méchants Iraniens qui avaient gagné la révolution) voulaient tuer un maximum d’inconnus dans le métro, et les autres (les révolutionnaires français) avaient une grosse dent contre les bourgeois qui étaient tous des-putains-d’enculés-de-fascistes, alors ils mettaient des bombes dans des banques, pour tuer l’argent.
Les commentaires fusaient, les yeux brillaient, personne ne pensait à manger, la panique gagnait du terrain. Il y eut comme un souffle de vie. Fini, les discussions mortifères autour de la révolution qui avait déjà eu lieu à leur désavantage, la révolution était là, à Paris, à quelques pas. L’occasion de craindre de nouveau pour leur vie. Si les méchants de Téhéran étaient à Paris, ils étaient là, eux aussi, qui avaient eu des responsabilités dans les rouages du Parti. Ils existaient de nouveau, et les voisins devenaient curieux et empathiques. La menace était si sérieuse que ma mère cessa de pleurer et de faire le ménage chez tout le monde.
Puis un jour, Mitra entra comme une tornade dans le salon-salle-à-manger-bibliothèque-bureau et annonça simplement : « Amir est à Paris. » C’est alors que l’histoire commença pour de bon. Ou plutôt, elle reprit pour eux, et commença pour moi.

Les exilés meurent aussi d'amour
roman
Abnousse Shalmani

Bernard Grasset
 Paris

parution le 22 août 2018

*****

« Ma mère était une créature féerique qui possédait le don de rendre beau le laid. Par la grâce de la langue française, je l’avais métamorphosée en alchimiste. C’était à ça que servaient les mots dans l’exil : combattre le réel et sauver ce qui restait de l’enchantement de l’enfance. »

Shirin a neuf ans quand elle s’installe à Paris avec ses parents, au lendemain de la révolution islamique en Iran, pour y retrouver sa famille maternelle. Dans cette tribu de réfugiés communistes, le quotidien n’a plus grand-chose à voir avec les fastes de Téhéran. Shirin découvre que les idéaux mentent et tuent ; elle tombe amoureuse d’un homme cynique ; s’inquiète de l’arrivée d’un petit frère œdipien et empoisonneur ; admire sa mère magicienne autant qu’elle la méprise de se laisser humilier par ses redoutables sœurs ; tente de comprendre l’effacement de son père… et se lie d’amitié avec une survivante de la Shoah pour qui seul le rire sauve de la folie des hommes.


Ce premier roman teinté de réalisme magique nous plonge au cœur d’une communauté fantasque, sous l’œil drôle, tendre, insolent et cocasse d’une Zazie persane qui, au lieu de céder aux passions nostalgiques, préfère suivre la voie que son désir lui dicte. L’exil oserait-il être heureux ?



*****









lundi 27 août 2018

samedi 25 août 2018

*"Ce que l'homme a cru voir"


Ce que l'homme a cru voir

À mes parents
 "Ce n’est pas vrai que les morts ne vivent plus."
PROUSTSodome et Gomorrhe
Je sais ce qu’ils pensent de moi, les autres. On ne peut empêcher personne. Je croyais qu’un jour, je ne les entendrais plus. Je me suis trompé. Ils hurlent à voix basse. On me regarde par-derrière. On chuchote « pauvre garçon », ce n’est pas de moi qu’ils parlent. Ils racontent des tas de mensonges. J’ai peur de finir par les croire. Je me regarde dans le miroir, j’ai changé. Le matin, j’ai la bouche pâteuse, mauvaise haleine. Je commence à perdre mes cheveux. Je ne dors plus. Je n’en peux plus de grelotter sous le soleil. La fièvre, en été. Tu les entends, aussi ? Ces voix, le jour et la nuit. Dis-moi que je ne suis pas le seul à devenir fou… Le matin va se lever. Mon sac est prêt. Je n’ai pas peur, aucun regret. Puisqu’ici, on refuse d’oublier, j’irai là où on ne me connaît pas. Ne me cherche pas. Nous ne nous reverrons plus. Bonne chance, Toni.
Simon.


PREMIÈRE PARTIE

Chapitre premier

Prétendre que le vieux Gregor n’était pas bavard relève de la litote : il ne s’exprimait que contraint par les circonstances. Sa tendance à l’exagération silencieuse s’était accentuée à la mort d’Angelina, la seule femme qu’il ait jamais aimée. Parfois, pourtant, la vieille prune qu’il distillait derrière la chaudière prenait la parole à sa place ; certains souvenirs échappaient à leurs bâillons. Peut-être se cachait-il davantage derrière ce qu’il omettait de révéler. Qu’importe. Depuis John Ford, tout le monde sait que quand la légende est plus belle que la réalité, on raconte la légende.
« Je suis né de la mort de ma mère, une nuit de décembre. » C’était en 1921, à trente kilomètres de Zakopane, dans les montagnes de la petite Pologne. Gregor y avait passé une enfance rude et solitaire, auprès de son père menuisier. Il l’aidait à l’atelier : de cette période remontait sa fascination pour les outils minutieux, ciseaux, couteaux, ou alènes. À dix-sept ans, il avait assisté à l’entrée des troupes allemandes, venues de Slovaquie. Lui ne connaissait que la pierre et l’odeur du feu, le mugissement sourd des châtaigniers, balayés par les vents d’altitude et les tourbillons des ruisseaux de montagne. Les chars, ces masses compactes de métal et de feu, avançaient lentement, en file indienne et écrasaient les champs, les hommes, les animaux, même les collines. La cavalerie polonaise et les quelques blindés furent pulvérisés par les raids aériens de la Luftwaffe, des villages entiers réduits en cendres. Les corps gisaient au bord des routes, déchiquetés. Les civils soupçonnés de résistance étaient exécutés par balles ou à la grenade. On incendia écoles comme églises. Seuls passaient encore les fantômes de chiens efflanqués, rendus sourds ou estropiés par les bombardements, les yeux hagards, se demandant ce qu’ils foutaient là. La Pologne cessa d’exister. Gregor appelait cela « le début du grand silence ».
Nombre de camarades de Gregor acceptèrent de travailler pour l’occupant et rejoignirent le bassin houiller de Silésie ou de la Ruhr allemande. Quand il apprit que l’URSS venait de pénétrer en Pologne, son père enfouit dans son gros sac en toile une gourde, du pain, du fromage, des fruits secs, et une couverture. Ensuite, il serra son fils dans ses bras et lui offrit un petit couteau en demi-lune, glissé dans une gaine de cuir. Il n’y eut pas de larmes. L’hiver 1940 laisserait dans les mémoires un souvenir de neige, de sang et de nuit. Gregor traversa la Slovaquie, la Hongrie, puis rejoignit la Slovénie. Il couchait là où s’effondrait son corps, sous les voies de chemin de fer, au pied d’une souche, dans une grange à ciel ouvert. Gregor buvait l’eau des mares, volait des fruits, et même un jour tua une poule. L’Europe tout entière avait basculé dans la folie. Les gens se hâtaient, poursuivis par leurs ombres, on soupçonnait un frère, un ami, un fils. Gregor fut arrêté à la frontière italienne, hirsute, affamé, en haillons. Ses chaussures, qu’il avait pris soin d’entretenir pendant le périple, ressemblaient à deux bouts de cuir fondu. On l’emprisonna dans un ancien monastère – les Italiens ont toujours eu le goût du mélodrame. Des vierges en deuil veillaient sur les âmes égarées ; il y avait là des déserteurs allemands, des Français qui s’étaient trompés de sens en traversant les Alpes, des Juifs autrichiens, une poignée de Russes, peut-être communistes – même un Américain, venu visiter Milan. Gregor avala une mauvaise soupe, qu’il vomit, demeura deux jours semi-conscient. Un matin, il trouva sa cellule ouverte et la prison désertée. Dehors, c’était le printemps. Les oiseaux piaillaient. La campagne était belle, inconsciente. Les branches des pommiers ployaient, alourdies de fruits. Gregor attrapa une colique mémorable.
Il parvint à Nice, plus de six mois après avoir quitté ses montagnes. Gregor pleura en embrassant la terre de France, dont il conserverait toute sa vie un flacon. Une famille le trouva recroquevillé dans un fossé, grelottant, à moitié délirant. Il fut soigné, nourri, caché. On lui proposa de rester, le fils de la famille s’était enrôlé dans les troupes mussoliniennes. Il remercia ses bienfaiteurs, mais le lendemain, à l’aube, il avait disparu. Le 3 mai 1940, il entrait dans Carmaux. La ville toussait une haleine noire et épaisse. On disait que le jour ne se levait jamais tout à fait. Gregor était parvenu à respecter la promesse faite à son père. « C’est la patrie de Jaurès, lui avait-il dit. Là-bas, tu seras bien reçu. J’ai un cousin, Petroj, va le voir. » Carmaux, Decazeville, Blaye-les-Mines, les villes houillères de la zone libre étaient devenues bilingues – voire trilingues, si on comptait la petite diaspora italienne. Les Espagnols ayant fui Franco s’étaient arrêtés au soleil, à Toulouse. Les Polonais composaient quatre-vingt-dix pour cent des effectifs de la compagnie minière de Carmaux et Blaye. Gregor apprit la mort de Petroj le jour de son arrivée. On l’avait porté en terre la semaine précédente. Ses employeurs furent trop heureux de le remplacer par le jeune homme, certes amaigri, mais plus fringant que les spectres qui hantaient les ruelles poisseuses de la cité ouvrière. Un mois plus tard, la France capitulait.
Gregor Reijik connaissait les propriétés du bois et l’usage des outils : il apprit l’art du boisage. Le premier, il se glissait dans le boyau, sécurisait les galeries de roulage à l’aide d’étais en résineux, ou de rondins, disposés entre les parois – quand le bois craquait, cela signifiait que la paroi se rapprochait. Les mineurs appelaient les boiseurs « leurs petits bons dieux », car ils leur avaient sauvé la vie plus d’une fois. « Le sapin chante en travaillant. » Une fois, Gregor avait rassemblé deux jours durant des rondins en nid d’abeilles pour soutenir le ciel, le plafond de la mine. Ce n’est pas donné à tout le monde de soutenir le ciel. Gregor n’était pas un simple charpentier des profondeurs : le Nibelung bâtissait des cathédrales souterraines.
Parfois les chandelles cédaient, et une partie de la galerie s’effondrait, du fait des conditions climatiques ou de la surexploitation liée à l’effort de guerre. Si l’on ajoutait les coups de grisou et de poussier, les maladies pulmonaires et les rixes des soirs de paye, on comptait une procession funéraire tous les dimanches. La ville défilait derrière le cercueil, tiré par un attelage sommaire. Il ne serait jamais venu à quiconque l’idée de manquer les messes basses, qui succédaient à l’office. On y discutait commerce, en crachant dans la main pour conclure une transaction ; les amoureux se demandaient en mariage et convolaient la semaine suivante ; les familles ennemies se réconciliaient autour du cortège, en prenant le défunt à témoin. Les heures étaient brèves, les morts rapprochaient les vivants.
Un matin, très tôt, à l’heure des mauvaises nouvelles, Gregor reçut une lettre. Une cousine qu’il ne connaissait pas lui annonçait le décès de son père, qu’elle qualifiait de « résistant » et de « héros de guerre » : il s’était tranché les veines, pour éviter d’être arrêté. Le courrier datait de plusieurs mois. Son père était mort quelques semaines après son départ, son atelier réquisitionné. Gregor demeura allongé une journée sur sa paillasse, et retourna à la mine le lendemain. Nul, au fond, n’en sut jamais rien. Les vérités et les larmes, c’était bon pour ceux d’en haut. La terre absorbe les gémissements. Il ne se confia qu’à Angelina, une petite Italienne, gironde comme tout – ça tombait bien, elle parlait un dialecte napolitain, pas un mot de polonais. Quand Angelina prit sa main entre les siennes, Gregor ressentit un pincement bizarre, au creux de la poitrine. Lui qui était puceau en amour crut déceler le premier symptôme de la silicose, et se prépara, dignement, à l’inéluctable.
L’inéluctable se fit attendre, contrairement aux Allemands, qui s’emparèrent des mines de Carmaux en 1942. En guise de résistance, certains mineurs refusèrent de descendre. Il y eut des arrestations, des déportations. Certains furent abattus, abandonnés à l’endroit où ils étaient tombés. Les camarades qui venaient, à la nuit, dérober les corps des malheureux pour leur offrir une sépulture décente, étaient obligés de soudoyer les gardiens pour qu’ils ne les abattent pas dans le dos. Ils tiraient parfois, par jeu ou ennui.
Profitant d’une nuit obscure, Gregor se glissa près des charniers. Il rampa sur plusieurs dizaines de mètres dans la boue, il connaissait le terrain au trou de taupe près. Un feu crépitait. Les soldats buvaient, plaisantaient. Gregor attendit. Il attendit encore. « Ils finiront bien par aller pisser, les Allemands pissent beaucoup. » Armé de son couteau en demi-lune, il égorgea trois soldats et les enterra dans des excavations, au fond de galeries abandonnées. Impossible pour les officiers de prouver quoi que ce soit, en l’absence des corps. Ils avaient pu déserter. L’occupant instaura un couvre-feu, les soldats continuèrent à disparaître. La peur sait se montrer convaincante : les uniformes olive refusèrent de monter la garde, de nuit. Personne n’a envie de finir éventré, dans une flaque de boue. Les Allemands laissèrent les mineurs enterrer leurs morts. Les cortèges funéraires traversèrent de nouveau Carmaux, le dimanche – parfois quelques soldats se joignaient à la procession. Les nouvelles du front n’étaient pas bonnes. Il se murmurait de plus en plus fort qu’Adolf Hitler pourrait perdre la guerre. C’était ce qu’ils souhaitaient tous, avant que le monde ne s’effondre pour de bon. Carmaux fut la première ville du Sud-Ouest libérée par ses propres moyens, le 16 août 1944. Le ciel baignait ce soir-là dans une lumière douce et argentée. Le couvercle de particules qui étouffait le ciel s’éleva. Il fallut attendre huit ans pour que Vincent Auriol décerne à Carmaux la croix de guerre. Un peuple ouvrier, à majorité étrangère, qui se révolte seul, est suspect.
Angelina et Gregor baragouinaient un français plein d’arêtes et de chausse-trappes. Ils étaient tombés amoureux sur un malentendu, et s’aimèrent avec peu de mots. On les retrouve, blottis l’un contre l’autre, en août 1944, sur un trottoir de Carmaux, cœurs et poings liés par la dureté des temps, puis la résistance et la liberté, enfin. Ils avaient choisi de quitter les terres noires du Tarn, où même les corbeaux étaient dépressifs. On salua les camarades, on ne se promit rien. Arriva le jour du départ, vers de lointaines contrées. Ces contrées-là ne furent pas si lointaines. Peut-être Gregor jugea-t-il qu’il avait déjà suffisamment usé ses souliers, peut-être furent-ils séduits par un vallon, une clarté, quand le printemps se faufile entre les frondaisons, à moins que cette campagne qui dodeline n’ait rappelé à Angelina son pays. Gregor et Angelina s’établirent icià flanc de colline. Et c’est ainsi que Verfeil, la cité aux vertes feuilles, accueillit le premier Polonais de son histoire. Sur la seule image de cette époque, ils se tiennent devant la maison (elle debout, lui assis sur une chaise en paille, béret sur la tête et poings sur la canne), sérieux comme des papes, à guetter le petit oiseau qui tardait à sortir du soufflet de la chambre photographique.
De la bâtisse qui deviendrait le havre de la famille (et qu’on appellerait, plus tard, « la vieille »), ne subsistait alors qu’un mur. Tout l’espoir de Gregor reposait sur ce mur. Beaucoup d’imagination était nécessaire pour croire qu’un jour cet ancien enclos abriterait d’autres créatures que les ronces et les orties qui en tapissaient le sol – or, d’imagination Gregor ne manquait pas, ni de courage d’ailleurs. Il retroussa ses manches et commença à creuser. Un voisin, monsieur Février, les hébergea. Gregor construisit d’abord une imposante cheminée. Les pièces s’enroulèrent autour, comme une écharpe. Angelina, pendant ce temps – peut-être vêtue de son infatigable tablier fleuri –, retournait la terre, cultivait courges, tomates et choux, pestait contre les moineaux. Quelques poules caquetaient sur les talus, les lapins léchaient le grillage de leurs clapiers.
Un beau matin de janvier, monsieur Février mourut. Et c’est la larme à l’œil que sa fille leur annonça que son regretté papa leur léguait un hectare d’arbres fruitiers, le petit étang, dans lequel il aimait faire semblant de pêcher, ou observait les libellules voleter parmi les hautes herbes. Monsieur Février était le plus grand propriétaire terrien des environs. Dans son testament, il leur demandait d’entretenir le pigeonnier. Gregor en fit son atelier. Il y retrouva les gestes de son père, et comme lui, il y travaillait sourcils froncés. Il délaissa le travail du bois pour celui du cuir, dont il vénérait les outils, aiguilles et carrelets, fers d’alènes, cornette, abat-carre, couteau à parer, lissoir. Il concevait des harnais, des sangles, des ceintures et même des portefeuilles, pour hommes et demoiselles.
La bâtisse avait essuyé sa première grêle. Il était temps de se marier. Ce qu’ils firent en toute discrétion, en septembre 1950. Une cérémonie intimiste, deux bergers en guise de témoins, un baiser et c’était parti pour la vie. Cette nuit-là, un orage furieux battit la campagne, et un chêne tomba à quelques centimètres du toit. Mais Gregor ne croyait pas aux présages.
Un événement anodin allait inscrire son nom dans les annales villageoises. Il arrivait à Gregor Reijik de descendre au village prendre un verre, pour ne pas perdre contact avec l’humanité. Ce soir-là, il s’était rendu directement au bar, en sortant de l’atelier, et portait son tablier à bavette de grosse toile noire fripée, renforcé de cuir sur le devant. L’endroit était dépouillé, mais propre – quelques tables, un long comptoir en bois, des cageots de bouteilles entassés au petit bonheur la chance (et qui servaient d’assise quand on manquait de tabourets). Au mur, des plaques émaillées, Suze et Ricard, et toujours une odeur de vin, râpeuse, mêlée à celle du tabac blond. On entrait en gueulant « Louise, un canon ! ». C’était l’époque où l’on appelait sa femme « la Germaine » ou « la Nicole » – et elles surgissaient parfois, furibardes, Germaine ou Nicole, attrapaient leur mari par le collet, parce que les lentilles au petit lard étaient chaudes, et que si elles avaient accroché au fond de la casserole, c’était à cause de ce « soudard, enfant de soudard, qui buvait sa retraite dès les huit heures du matin ». À Paris, Thorez postillonnait à la Mutualité, les marxistes n’avaient d’yeux que pour le borgne et le castor, ignorant que vingt ans plus tard, leurs propres enfants leur cracheraient à la gueule. À Verfeil, miracle d’équilibre et de constance, seules les parties de bourre, de dominos, ou les résultats du Stade parvenaient à échauffer l’auditoire. Paris, c’était aussi loin que la Chine, de toute façon, là-haut, comme là-bas, ils étaient tous barjos, c’était leur problème s’ils voulaient bouffer du riz communiste, ici le patron, c’était le haricot tarbais. Bref, on profitait de la paix, loin des tumultes du temps. À l’époque déjà, on se méfiait des étrangers.
Gregor sirotait son Picon en silence. Se taire, c’était son affaire. Il écoutait, il apprenait. Un homme était entré, un type rougeaud, portant mal des habits coûteux, un bourgeois de province rendu prospère par l’Occupation, chevelure grasse et bajoues persillées. Écroulé sur le zinc, il avait demandé une prune. Une autre, puis une troisième. Cadeaux de la maison, fit le patron. Le type dirigeait plusieurs carrosseries, il était craint. Ce soir-là, il avait envie d’en découdre. « Toi le Polak, j’ai entendu parler de toi, tu viens voler le travail des Français. » Gregor, qui n’aimait guère solliciter inutilement ses glandes salivaires, prit le temps de lui expliquer qu’il n’avait jamais rien volé à personne, ou seulement parce qu’il crevait de faim. Il était ici pour travailler le cuir, or personne, dans le village, n’avait jamais travaillé le cuir. Dans le Verfeil des années 1950, il y avait bien des limonadiers de père en fils, des marchands de charbon, un maréchal-ferrant, un aiguiseur de couteaux itinérant, et même les derniers tondeurs de laine de la région, mais nul ne connaissait l’art de la maroquinerie. Gregor l’invita à son atelier. L’autre, échauffé par l’alambic, n’en démordait pas, et le montra du doigt à l’assemblée – ce que Gregor, pour une raison qui lui était personnelle, considéra comme l’insulte de trop. Il finit son verre et sortit. L’homme le suivit une demi-heure plus tard. Gregor conservait toujours avec lui quelques instruments aux formes et utilisations énigmatiques pour le profane, griffes à frapper, marteaux, emporte-pièces : il envoya le bonhomme à l’hôpital, la mâchoire en morceaux. L’affaire fit gloser, et causa grand bien à son commerce ; on vint des bourgades environnantes, depuis Montrabé et Balma, pour rencontrer celui qui avait séché le « collabo ». La plupart des visiteurs s’en repartaient avec un ceinturon, ou une selle, alors qu’ils portaient des bretelles et n’étaient jamais montés sur un cheval. Les affaires fonctionnaient bien, le ventre d’Angelina s’arrondissait. Quelques mois plus tard, le 6 avril 1951, naissait Marius Mario Reijik. Pour la seconde fois de sa vie, Gregor pleura.

Ce que l'homme a cru voir
Gautier Battistella
roman

Bernard Grasset
Paris

parution le 22 août       2018




"Simon Reijik a refait sa vie. Son métier : effacer les réputations numériques, libérer les hommes de leur passé. Lui-même croyait s’être affranchi de son histoire, jusqu’au coup de téléphone d’une inconnue... Un parcours initiatique d’une grande puissance, porté par une écriture charnelle, sensible, intense."



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*Quand nous serons sans mots




photo Den

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"Quand nous serons sans mots
Dans le feu des pardons
Quand nous saurons nous taire
Pour entendre les cris

Quand les rumeurs du monde
Seront notre boussole
Pour éclairer la nuit
Où sans yeux nous errions

Quand nous serons cloués
Sur la porte des jours
Comme un oiseau blessé
Dont le soleil se joue

Nous saurons le secret
Du destin qui nous lie
Et dont nous sommes tous
Le sang du sol meurtri

Nous serons de ses grains
Semés en pleine terre
Nus d’avoir espéré
Germés dans la poussière

Alors nous serons tous
À l’aube d’un pays
Comme on est d’une fête
Qui nous réconcilie

Et nous serons d’un peuple
Innocent des lisières
Lavé de ses blessures
Consolant chaque frère

Brûlant de ses enfances
Nous serons ses bergers
Et nul n’osera plus
S’arroger le Mystère

Car au creux de Sa main
Nous serons ses fontaines
Et ses matins d’eau pure        
Ses onctions ruisselantes

Ses mains dans la lumière
Le vent qu’il quémandait
Pour caresser d’azur
Son corps anéanti"

Jean Lavoué
l'enfance des arbres



auteur découvert chez  Anne Gailhbaud


ArtisAnne Textile


que je remercie ici pour sa poésie,  ses mots brodés


Den










vendredi 24 août 2018

Josef Salvat - Diamonds (Lyric Video)


Un doux vendredi je vous souhaite.

Je vous embrasse.

Merci pour votre fidélité .

Den











mercredi 22 août 2018

Une vie de pierre chaudes - Aurélie Razimbaud



bonne lecture à découvrir 

une vie de PIERRES CHAUDES, évidemment?
à corriger !


Den !



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*une vie de pierres chaudes



Couverture du livre « Une vie de pierres chaudes » de Aurelie Razimbaud aux éditions Albin Michel


La guerre, non, la guerre n’a rien d’essentiel ; les choses essentielles sont le vent, le goût des pierres chaudes, le soleil, les ailes des oiseaux, les cris des enfants sur la plage. "
Qu’est-ce qui brille à la même hauteur que le soleil ? L’amour ou la mort ?
Dans ce récit enfiévré, qui raconte l’Algérie avant, pendant et après l’indépendance, Aurélie Razimbaud tisse les liens subtils et poignants entre l’amour et l’abandon. Qu’il s’agisse des pays ou des êtres, comment aller dans le sens d’une réconciliation, comment panser les plaies, comment éviter qu’elles ne s’ouvrent ?
L’indépendance d’un pays, les liens d’un homme, des histoires qui se croisent : un premier roman porté le souffle tiède de la Méditerranée, une mer-maîtresse en coups de théâtre.


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Par BÉATRICE LEROUX, Librairie Gibert Jeune, Paris

"Autant vous prévenir de suite : les premières pages laissent à penser que l’on lit un roman sur la jeunesse dorée algéroise, juste après la fin de la guerre d’indépendance. Plage, bal, champagne, drague sont au programme de la semaine. Mais dès qu’Aurélie Razimbaud commence à égrainer de nouvelles données au fil des pages, l’atmosphère change petit à petit et devient de plus en plus lourde. Louis, le personnage principal que l’on suit de 1964 à Alger au 12 juillet 1998 à Marseille, est très intriguant mais attachant, surtout dans la deuxième partie. Que cachent sa violence et son peu d’amour de la vie ? À quoi est-il sensible ? Mais surtout, pourquoi s’entend-il souvent dire : « j’ai jamais compris pourquoi tu avais fait ça ? ». Qu’a-t-il donc fait ? Les allers-retours dans l’histoire de Louis, Claire et Antoine accentuent la profondeur des personnages et de l’intrigue. Une vie de pierres chaudes est un premier roman parfaitement maîtrisé, à lire d’une traite."

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"Je n’ai pas mené une vie parfaite, je n’ai peut être même pas fait de mon mieux, mais voilà j’ai vécu, une année après l’autre, avec toute cette merde dans le corps, en essayant de faire en sorte qu’elle ne vous éclabousse pas trop, à chaque mouvement, à chaque mot de moi, je me disais, garde cela en toi, garde cela pour toi, surtout que ça ne déborde pas, alors oui, j’ai fait ceci et pas cela, j’ai fait des choix, j’aurais pu en faire d’autres, j’ai mené une vie et pas une autre, mais c’est une vie quand même"


 (...)


"Il est trop tard. Elle est repartie, il n’a pas eu le temps de prendre sa main et de lui parler de l’homme qu’il a essayé d’etre, ni un héros ni un salaud, un homme qui l’a aimée autant qu’il a eu envie de la quitter; et s’il s’est rendu coupable de quelque chose, c’est d’avoir gâché deux vies en n’en choisissant aucune, d’avoir aimé mal en croyant aimer plus, dnavoir voulu rester fidèle dans le mensonge".



(...)



"Quelque chose se consume en lui. Le problème n’est pas la vie, ce n’est pas les autres, c’est d’avoir à vivre avec lui-même. Il attend une paix qui ne viendra jamais. Il appuie son front contre ses genoux relevés et se laisser aller à un long cri de rage"



(...)



"Que faites-vous ici, Louis ?
- Vous n'allez pas recommencer !
- Non, je veux dire, que faites-vous en Algérie ?
- Je fais comme vous, comme tout le monde...
- C'est-à-dire ?
- C'est-à-dire rien. Presque rien. J'essaie de vivre."



(...)



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