samedi 23 mars 2024

*La Deuxième Vie

 

 

 

 

 

Voici le dernier livre de Philippe Sollers, écrit jusqu’au bout d’une main claire. Chaque phrase brûle : il médite sur sa mort, mais son cœur s’élance avec une ivresse calme, avec drôlerie aussi, vers ce qu’il appelle la Deuxième Vie : « Je n’ai pas été un bon saint lors de ma première vie, mais j’en suis un très convenable dans ma Deuxième. »
Tout Sollers est ici concentré dans la lumière dépouillée de trois heures du matin : il parle de la médecine, de Dieu, de Venise, de ses passions fixes, et même de Houellebecq ; il note inlassablement ses pensées, et voici qu’elles glissent, apaisées, vers une dernière lueur qui brille dans la nuit : « Si le néant est là, il est là, en train de voir le monde éclairé par un soleil noir. »
Yannick Haenel 

 

 

 

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NOTE SUR LE TEXTE

Philippe Sollers a dicté, relu et corrigé le manuscrit de son texte. Il n’a pas participé à la fabrication de ce livre, notamment à sa correction. Nous sommes restés fidèles à la dernière version qu’il a établie, même si on trouvera quelques marques d’oralité, d’hésitation, qu’il aurait peut-être corrigées.

Nous remercions Georgi Galabov et Sophie Zhang pour leur travail de saisie et de relecture du manuscrit.  



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« Le passé m’encourage, le présent m’électrise, je crains peu l’avenir. »

SADE


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J’aime les insomnies de trois heures du matin, les plus dures, les plus inquiétantes, les plus éclairantes. C’est tout de suite, en sursaut, le choix entre la vie et la mort. Il faut vite saisir la vie, malgré ses brûlures, car la mort est trop longue et désespérément ennuyeuse. La mort est une condamnation éternelle à l’ennui.

 

On oublie que le vieux Dieu est mort d’ennui, à force de gérer l’incroyable bêtise de ses créatures humaines. Le nouveau Dieu n’a rien d’humain, et choisit ses croyants par révélation personnelle, en leur offrant, par là même, une Deuxième Vie. Ces révélations se font soit par illuminations soudaines, soit à travers des expériences multiples, dont la maladie. Le nouveau Dieu guérit, il prévient, il sauve, il est là quand on ne l’attend pas, inutile de l’appeler, il ne répond pas. Il peut surgir d’un rayon de soleil ou d’un léger coup de vent. Grâce à lui, je sais que ma Deuxième Vie fonctionne.

 

Le vieux Dieu a parlé d’une seconde mort, après un Jugement Dernier à tout casser, spécial hollywoodien, comme il sait le faire. Les morts, une fois ressuscités, sont jugés pour l’éternité. Les uns vont dans le feu, les autres dans une ville céleste. L’embêtant, c’est que la notion de Jugement s’est perdue dans le temps. Les Bons peuvent continuer à être Bons, les Méchants peuvent rester Méchants sans sanction. Cela indigne bruyamment les indignés de service.

 

Dans la Deuxième Vie, chaque jour est octroyé comme un jour de plus, ce qui change la couleur de chaque minute. Ce déséquilibre numérique correspond très bien au fonctionnement technique du Dieu nouveau, dont les pannes affolent l’humanité, puisqu’il implique des masses énormes sans jamais juger de leur provenance ou de leur valeur. Une panne mondiale d’électricité, même réparée en quelques heures, produit des dégâts considérables, comme un accident cérébral peut détruire en dix minutes un esprit supérieur.

 

C’est au début du XXIe siècle, en plein dérèglement général, qu’une institution aussi grandiose que vénérable, l’Église catholique, a vu des révélations accablantes sur son passé homosexuel millénaire et sur sa pédocriminalité endémique. Des milliers de cas ont été référencés, des confessions sans appel ont décrit cette activité mortifère. Au lieu du Salut promis, l’écœurante prédation subie.

 

J’ai toujours été protégé, par des femmes, des fausses femmes, j’ai leurs mains sur moi, je peux dormir tranquille. Elles sont plus vivantes depuis ma première mort, ce qui illumine ma Deuxième Vie.


 

En principe la Deuxième Vie doit condamner ou célébrer la première. L’ennuyeux, c’est que la balance générale est fausse et qu’avec elle une erreur pèse plus lourd qu’un succès. Elle égalise tout, c’est la mort démocratique elle-même. Malheur à celui ou à celle qui n’a pas célébré sa vie de son vivant. Il ou elle peut s’attendre à un concert de reproches qu’il, ou elle, se faisait plus ou moins consciemment en prenant du bon temps. La croyance comme quoi tout plaisir se paie est inculquée dès l’enfance, en contradiction complète avec l’instinct de gratuité qui anime un enfant éveillé.

 

 

 

 

En pleine explosion révolutionnaire française du XVIIIe siècle, le marquis de Sade fait dire à Juliette, son personnage criminel préféré : « Le passé m’encourage, le présent m’électrise, je crains peu l’avenir. » Le XXIe siècle entend une nouvelle Juliette postromantique répéter tous les jours : « Le passé me déprime, le présent m’accable, j’ai peur de l’avenir. » Si je publie un jour un roman intitulé La Deuxième Vie, j’inscrirais en exergue, contre toutes les évidences négatives de mon temps, la formule de la Juliette de Sade. Elle, au moins, fait longuement rêver, comme une provocation inouïe.  

 

 

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© Éditions Gallimard, 2024. 

 

 

 

dimanche 3 mars 2024

Chi mai Gautier Capuçon

 
 
 
 
 
Bonne fin d'après-midi.

Je vous embrasse.
 
Den

*mon école élémentaire


 photos Arty

 

En arpentant les rues d'Aix et visionnant auparavant les copains d'antan, j'ai retrouvé mon passé, ma petite école du Faubourg du cours Sextius à Aix en Provence.

Une émotion s'installe puis s'éloigne dans ce souvenir d'enfance surgit aussi rapidement bref, aussi fugace qu'un éclair dans le ciel l'illumine.

 

C'était l'école de filles qui rient volontiers, pour rien, des bétises surtout,  puisqu'à l'époque filles et garçons étaient séparés.

Les garçons rejoignaient l'école Duperrier qui juxtait mon école, juste derrière.

C'était en  1952, 1953, il y a bien longtemps.Une école qui n'écoute pas trop, impose et ne cède pas. Jamais.

Dans la cour un grand portail séparait nos vies d'écoliers et avec lui l'envie de connaître ce qui était interdit, loin des préceptes démodés et péremptoires.

 

Mes  yeux se souviennent, et dans ce temple particulier, dans ce sanctuaire de la mémoire  figée, ces images constituent une réelle apparition bienveillante comme une oasis surgit dans le désert, une profonde impression  bouleversant ainsi mon âme avec le sentiment d'être née pour devenir ce que je suis aujourd'hui.

 

Des brins d'instant qui se souviennent ou ne laissent rien deviner.

 

Je me remémore des images  qui me parlent, des ombres fugitives, un maximum de choses reconnues, des instants de vie, des noms. Des mains demeurées sur la porte, des portraits pensés Dieux. On emmagasine le  plus de détails possibles par crainte de trop vite oublier, pour ne pas manquer de temps, justement.

 

De l'abondance condensée dans cette parcelle intime -étroit espace- aux tiroirs ouverts ou quelquefois fermés, retapés avec un chiffon propre ou à la brosse.      

 

Je suis prête, d'une main tremblante et malaisée, à immortaliser cette page surgit de ma mémoire, d'autrefois, dans un jeu de décalage temporel, constant, entre le  "je " présent, et le "je" passé.   

 

J'ai retrouvé ce temps qui tarde à s'achever quand la lumière du ciel hésite encore à oublier  et s'obscurcir pour un début de nuit pleine  d'étoiles.

 

Den                 ..