mercredi 30 juin 2021

*..Elles sont l'âme de l'été....




"Elles sont l'âme de l'été, l'horloge des minutes d'abondance,
l'aile diligente des parfums  qui s'élancent,
le murmure des clartés  qui tressaillent,
le chant de l'atmosphère
 qui s'étire et se repose.
Et leur vol est leur signe visible,
la note musicale des petites joies innombrables
qui naissent de la chaleur et vivent dans la lumière.
A qui les a connues, à qui les a aimées,
un été sans abeille semble aussi malheureux 
et aussi imparfait  que s'il était sans oiseaux et sans fleurs"... 

Maurice Maeterlinck
La vie des abeilles

(Réf. : Sur les épaules de Darwin - France Inter -
par Jean-Claude Ameisen)
émission du 7 septembre 2013

"L'âme de l'été"..


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mardi 29 juin 2021

...* Toujours de là-haut, tandis que, comme l'encre.....



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... (...)  "Toujours de là-haut, tandis que, comme l'encre qu'il déversera de plus en plus généreusement dans son oeuvre graphique, "la montagne de l'ombre dévorait  la montagne de soleil", c'est-à-dire que l'ombre du Rigi recouvrait peu à peu le Rossberg, il esquisse le Mythen qu'il achèvera très probablement des années plus tard pour en faire ce prodigieux dessin où seul le sommet, symbole du génie poétique, reste éclairé dans le couchant, et émerge blanc et lumineux  dans le noir de l'encre. Emporté par une imagination toujours au seuil de l'effroi, comme s'il se souvenait d'un monde d'avant la création, comparant ces montagnes à des "vagues géantes", il fait en pensée "le rêve épouvantable" de ce qui arriverait "si ces énormes ondes se remettaient tout à coup en mouvement"... (...)


K. Renou

 Victor Hugo
en voyage


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lundi 28 juin 2021

....* J'ouvre la fenêtre..........




Avec lui je m'enfuis de nouveau de la chambre.
Je m'attarde jusqu'à un coin reculé de ma pensée, à travers des entrecroisements, pendant une heure..., jusqu'à 22 heures, fuyant ainsi les humeurs de la maisonnée.

Mon manuscrit est encombré de mots.
Je rature, je gomme, je recommence.
La table est pleine d'objets.
Tes dossiers. Tes classeurs.
Mes papiers. Mes papiers.

J'ouvre la fenêtre.
J'aère et la pièce et les esprits.

La nuit qui recèle d'autres magies, parcourt le ciel, enveloppée d'un voile sombre, sur un char attelé de quatre chevaux noirs.

Douce et lisse la nuit, comme la forêt.

Je retourne à mon cahier, longue et sereine à présent.
Comme après un bon bain volupteux.
Je suis prête.
Les Dieux ne pourraient-ils pas pour une fois prolonger l'obscurité en l'arrêtant ?

Quand n'aurais-je plus jamais peur de brûler mes ailes de carton à la couronne du soleil ?

Là, chez moi, à l'abri des autres, je me protège de toi, Amour, je me protège d'eux.

La lumière bleue, inaccessible, au plafond éclaire la pièce plus qu'il ne faut.

Entre moi et la vitre, dehors la brume se fait fraîche, sans lumière, sans fard, sans paillette, sans faux-semblant.

Les yeux mettent un moment à s'accommoder à la pénombre, au vide dénudé.

Tu chuchotes quelque chose, gêné par mon silence, et nous finissons bien au bout de longues minutes par nous taire entièrement.

L'atmosphère de la pièce devient pesante.
Le seul danger réel pour moi. Il n'y a qu'un seul danger réel.. Tu le sais.

Une clarté diffuse pâlit derrière l'épais rideau annonçant la défaite des esprits livides qui se replient illico au fond de l'horizon.

Je m'amollis davantage.
Je me cloître.
L'avenir se rétrécit chaque instant un peu plus.
Je glisse au risque de me perdre.

Allongé près de moi tu t'étires comme un chaton.

Et si nous déménagions ?

De toutes les façons, j'habite l'infinitude du temps que tu le veuilles ou non.

Je me vautre volontiers dans les ténèbres sans terme. Je m'enroule. Je me déroule comme une longue chose.

Ici ou ailleurs, pour moi... c'est pareil.
La vie persiste, identique et présente dans sa totalité.

***

Nous oublions le temps.
Tes yeux sont beaux comme l'intérieur d'une forêt, Amour !
Tes cils sont deux rangées de cavaliers alignés pacifiquement : les armes de l'amour...

***

Je ne me laisserais plus jamais aller à la désespérance. Je te le promets. Je te le jure.

Dehors, le jour s'est enfui de n'être pas invité.

Je m'enroule sous les draps, et je te convie à faire de même.

Que le monde est beau sous notre couette.

Court.. petit.. instant chaud... merveilleusement retenu..

Tu sens l'odeur du bois, de l'herbe fraîchement coupée.

Limite irréelle des choses.
Petit univers ouaté. Tiède ou chaud comme ton dos.
On s'invente des jeux, on s'invente des mots, on se réjouit de la douceur du moment.

"Thé ou café" ?

ça aide à la détente, aux confidences. Aux secrets gardés.

Deviendrai-je demain, comme Zeus, dégagé de ses angoisses, régnant sans contrainte !

Serai-je délivrée  de mes chaînes ?

Trouverai-je le secret des secrets, comme l'alchimiste a l'Art d'inventer la pierre des Sages ?


Den
Août 1998

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dimanche 27 juin 2021

People !


 

réalisation : Faby - le 26 juin 2021

 

 

Un doux dimanche à chacune chacun d'entre vous.

Je vous embrasse.


Den

 

 

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samedi 26 juin 2021

...*Amenaient un à un les morceaux de moi-même...






"Tous ceux qui survenaient et n'étaient pas moi-même
Amenaient un à un les morceaux de moi-même"..

Apollinaire
Cortège

(Réf. : Sur les épaules de Darwin - France Inter - par Jean-Claude Ameisen)
émission du 14 septembre 2013

"Le renouvellement permanent de la diversité"

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vendredi 25 juin 2021

*Le Très-Or....







Le Très-Or se découvre en longues et preuves du ciel, en obstacles..
Il est entré en mon coeur en fouillis au fond de la matrice matern'elle, la grotte d'origine, l'antre sombre, obscur et profond..
Il est d'Or,  long tant, des heures encavernées en vie d'attente, en inter-rieur,  au centre et au coeur,
En terres nidées, en sous terrain...
Mais le lent de la face-hade souvre largement du  côté du jour, lequel vient d'un feu qui irradie en arrière,
vers le Haut, et le Loin..
L'allume-hier arrive d'un soleil invisible..
Mais dit la route que l'Âme doit cheminer intelligible, pour découvrir le Bien et le Vrai, l'Intelligence, le Monde, celui des Idées..

Den


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jeudi 24 juin 2021

...* Sont au coeur de vos mots cueillis..






J'aime quand les voyages sont au coeur de vos mots cueillis  au fil d'Haut on 
Quand ces sons débutants la saison  enchantent le temps des tons
Tous roussis dorés en mordorés dessinés comme une aquarelle est entoilée de silence-frisson 
Et  dit les m'hauts enlacés par les yeux et le coeur en beauté rêvée aux mots d'or-mant
En lianes tissées collées-serrées en douce heure poudrée partagée
Emportés par la lumière satinée du chemin en mots-images égrénés en notes et frémissement ondulant
Tremblent, et moi de vous trouver,  en onde vibrato.. frissonne en corps et âme..

Den


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mercredi 23 juin 2021

Rudyard Kipling - Tu seras un homme mon fils - (If)

Une version que j'aime beaucoup.
 
Den
 
 

If

*Je suis en train de peindre


"Je suis en train de peindre avec l'entrain d'un marseillais
mangeant la bouillabaisse,
ce qui ne t'étonnera pas,
lorsqu'il s'agit de peindre
de grands tournesols".

Vincent Van Gogh



 

mardi 22 juin 2021

*Tu seras un Homme mon fils...

 



"Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup de gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;

Si tu peux être amant sans être fou d'amour,
Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre,
Et te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;

Si tu peux supporter d'entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d'entendre mentir sur toi  leurs bouches folles 
Sans mentir toi-même d'un mot ;

Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes  amis en frère,
Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi ;



Si tu sais méditer, observer et connaître,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans  n'être qu'un penseur ;

Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral ni pédant  ;


Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d'un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête,
Quand tous les autres les perdront,

Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tous jamais tes esclaves soumis,
Et ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire 
Tu seras un Homme mon fils"'.


Rudyard Kipling (1910) "If"
traduit de l'Anglais par André Maurois (1918)
 
 

lundi 21 juin 2021

**Ecrire est un dimanche

 




...."Ecrire est un dimanche.
Un après-midi de neige et de suie.
Une histoire contée à mi-voix. Il n'y a là personne,  pas même celui qui tient la plume.
On entend des bruits à  l'entour et le crissement du métal sur la feuille".........


Jean-Michel Maulpoix


Ps : à contre-saison en ce jour de solstice d'été  que je vous souhaite  beau et chaud, en ce jour le plus long de l'année... 


 
 

dimanche 20 juin 2021

**Aussi loin que je me souvienne...




"Aussi loin que je me souvienne (...) j'étais un cas intéressant d'audition colorée. Peut-être qu'entendre n'est pas le terme  tout à fait exact, étant donné que la sensation de couleur semble être produite par l'acte même 
par lequel je prononce une lettre particulière, pendant que j'imagine sa forme. La lettre a (...) est, pour moi  
de la couleur du bois usé par les intempéries, mais, ( dans une autre police de caractère) le a évoque l'ébène poli. Ce groupe de couleur noire inclut aussi les g durs (du caoutchouc vulcanisé) et le r (des guenilles noires
en train d'être déchirées). Le n farine (...) et le o petit miroir au manche d'ivoire s'occupent des blancs. (...)
Si nous passons au groupe bleu, il y a le x  bleu acier, le z nuage d'orage, et le k myrtille. Comme il existe  une subtile interaction   entre la sonorité et la forme,  (...) le s n'est pas du même bleu pâle que c, mais un curieux mélange d'azur et de nacre. Les teintes adjacentes ne se mélangent  pas (...).


Je me presse de compléter ma liste avant que je sois interrompu.  Dans le  groupe vert, il y a la feuille de l'aulne  du f, la pomme pas mûre du p, et le pistache t. Un vert terne combiné je ne sais trop pourquoi au violet , est le mieux que je puisse faire pour le w. Les jaunes comportent  des e et des i variés, le d crémeux, 
le y vif , et le u dont je ne peux exprimer   la valeur alphabétique que par "cuivré avec un reflet olive".
Dans le groupe des marrons, il y a les tons caoutchouteux riches du doux g, du j plus pâle encore, rouges
le b a la tonalité  que les peintres appellent Sienne brûlé, le m est un pli de flanelle rose, et aujourd'hui j'ai enfin    apparié le v avec la teinte "Rose Quartz" dans le Dictionnaire des Couleurs de Maerz et Paul.
Le mot pour arc-en-ciel, un arc-en-ciel véritable, mais décidément brouillé, est dans mon langage personnel    
le mot difficilement prononçable kzspygv.
Les confessions d'un synesthète doivent sembler fastidieuses et prétentieuses à ceux qui sont protégés 
de telles brèches et de telles évasions par des murs plus solides que ne sont les miens. A ma mère, pourtant tout cela semblait normal.  Le sujet fut abordé,  un jour durant ma septième année, alors que j'utilisais un tas 
de vieux cubes d'alphabet pour construire une tour.



Je fis à ma mère, en passant, la remarque  que les couleurs  des lettres étaient toutes fausses. 
Nous avons alors découvert alors que certaines de ses lettres à elle  avaient la même teinte que les miennes,
et qu'en plus, elle entendait les notes de musique en couleurs. En moi,  les notes  de musique n'évoquaient aucune sorte de couleur. (...)
Ma mère fit tout pour encourager la sensibilité générale que j'avais aux stimulations visuelles.
Combien d'aquarelles elle a peintes pour moi. Quelle révélation ce fut   quand elle me montra l'arbre-lilas qui pousse à partir d'un mélange de bleu et de rouge !".

Vladimir Nabokov. Speak, Memory

(Réf. : Sur les épaules de Darwin - France Inter - par Jean-Claude Ameisen)
émission du 4 août 2012
rediffusion du 10 décembre 2011

Les battements du temps (14)
Comme de longs échos... 


 

samedi 19 juin 2021

**La musique se prélasse

Fleur, Daisy, Blanc, Fleurs, Journée

 

 

 

La musique se prélasse et se joue en spectacle
dans le soleil encore chaud de 18 heures
dans les lumières ouatées
d'une soirée d'été...
envoûtée..

Den

 

 

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vendredi 18 juin 2021

*Les fleurs, le ciel, et ce qui sera...


"Les fleurs sont immortelles.
Le ciel est intact.
Et ce qui sera n'est qu'une promesse".

Ossip Mandelstam
(Sur la terre vide)
"Sois comme la fleur, épanouis-toi librement
et laisse les abeilles dévaliser ton coeur"

Râmakrishna

-=-=-=-=-=-=





"Et si je connais, moi, une fleur unique   
au monde, qui n'existe nulle part, 
sauf  dans ma planète ,
et qu'un petit mouton peut anéantir  d'un seul coup,
comme ça, un  matin, sans se rendre compte de ce qu'il fait,
ce n'est pas important ça".

Antoine de St Exupéry



 

jeudi 17 juin 2021

*Teinte émotion

*La couleur crée l'émotion...



"Entre les croquis et la toile ,
la couleur fait foi de tout, 
la couleur crée l'émotion 
et laisse jaillir l'étincelle de la création"

de Normand Reid

Extrait du "t'es fou l'artiste  !"


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mercredi 16 juin 2021

*La poésie et le dessin

*Comme frère et soeur...



"la poésie et le dessin sont  frère et soeur,
comme tu le sais,
de même que les mots et leurs couleurs"

Orhan   Pamuk
Mon nom est rouge


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mardi 15 juin 2021

*Le cerf-volant

Couverture : Laetitia Colombani, Le cerf-volant, Grasset 

 

À Jacques
Aux enfants du désert du Thar
À ma mère,
qui a passé sa vie à enseigner
À la mémoire de Dany,
partie rejoindre les cerfs-volants dans le ciel
 
 
 

« Ne marche pas devant moi, je ne te suivrai peut-être pas. Ne marche pas derrière moi, je ne te guiderai peut-être pas. Marche à côté de moi et sois simplement mon amie. »

Albert Camus

« Le malheur est grand, mais l’homme est plus grand que le malheur. »

Rabindranath Tagore
 
 

 

PREMIÈRE PARTIE

La petite fille sur la plage

 

 

Chapitre 1

Deux ans plus tôt.

Malgré l’heure tardive, la touffeur l’assaille dès la descente d’avion. Léna débarque sur le tarmac de l’aéroport de Chennai, où des dizaines d’employés s’activent déjà dans l’obscurité, vidant les flancs de l’appareil qui vient de se poser. Les traits chiffonnés par une interminable journée de voyage, elle passe la douane, récupère ses bagages, quitte le vaste hall climatisé pour franchir les portes vitrées. Elle pose un pied dehors et l’Inde est là, tout entière, devant elle. Le pays lui saute à la gorge comme un animal enragé.

 

Léna est immédiatement saisie par la densité de la foule, le bruit, les klaxons qui résonnent, les embouteillages au milieu de la nuit. Cramponnée à ses sacs, elle est interpellée de toutes parts, sollicitée par mille mains sans visage qui l’agrippent, lui proposent un taxi, un rickshaw, tentent de s’emparer de ses bagages contre quelques roupies. Elle ignore comment elle se retrouve à l’arrière d’une voiture cabossée dont le conducteur tente en vain de refermer le coffre avant de l’abandonner grand ouvert et se lance dans une logorrhée mêlant indifféremment tamoul et anglais. Super driver ! répète-t-il à l’envi tandis que Léna jette des regards inquiets en direction de sa valise qui menace de tomber à chaque virage. Elle observe, sidérée, la circulation dense, les vélos slalomant entre les camions, les deux-roues sur lesquels sont juchés trois ou quatre passagers, adultes, vieillards ou enfants, sans casque, cheveux au vent, les gens assis sur le bas-côté, les vendeurs ambulants, les groupes de touristes agglutinés devant les restaurants, les temples anciens et modernes décorés de guirlandes, les échoppes délabrées devant lesquelles errent des mendiants. Le monde est partout, se dit-elle, au bord des routes, dans les rues, sur la plage que le taxi entreprend de longer. Léna n’a jamais rien vu de semblable. Elle est happée par ce spectacle qui l’étonne autant qu’il l’effraie.

 

Le chauffeur finit par s’arrêter devant sa guest-house, un établissement sobre et discret bien noté sur les sites de réservation en ligne. L’endroit n’a rien de luxueux mais il offre des chambres avec vue sur la mer – c’est l’unique exigence de Léna, sa seule nécessité.

 

Partir, prendre le large, l’idée s’est imposée à elle comme une évidence, par une nuit sans sommeil. Se perdre loin, pour mieux se retrouver. Oublier ses rituels, son quotidien, sa vie bien réglée. Dans sa maison silencieuse où chaque photo, chaque objet lui rappelle le passé, elle craignait de se figer dans la peine, comme une statue de cire au milieu d’un musée. Sous d’autres cieux, d’autres latitudes, elle reprendra son souffle et pansera ses blessures. L’éloignement se révèle parfois salutaire, songe-t-elle. Elle sent qu’elle a besoin de soleil, de lumière. Besoin de la mer.

 

L’Inde, pourquoi pas ?… François et elle s’étaient promis de faire ce voyage mais le projet s’est perdu, comme tant d’autres que l’on forme et que l’on oublie faute de temps, faute d’énergie, de disponibilité. La vie a filé, avec son cortège de cours, de réunions, de conseils de classe, de sorties de fin d’année, tous ces moments dont la succession a pleinement occupé ses journées. Elle n’a pas vu le temps passer, entraînée par le courant, cette ébullition du quotidien qui l’a absorbée tout entière. Elle a aimé ces années denses et rythmées. Elle était alors une femme amoureuse, une enseignante investie, passionnée par son métier. La danse s’est arrêtée, brutalement, un après-midi de juillet. Il lui faut tenir bon, résister au néant. Ne pas sombrer.

 

Son choix s’est porté sur la côte de Coromandel, au bord du golfe du Bengale, dont le nom est à lui seul une promesse de dépaysement. On dit que les levers de soleil sur la mer y sont de toute beauté. François rêvait de cet endroit. Parfois, Léna se ment. Elle se raconte qu’il est parti là-bas et l’attend sur la plage, au détour d’un chemin ou de quelque village. Il est si doux d’y croire, si doux de se méprendre… Hélas, l’illusion ne dure qu’un instant. Et la douleur revient, comme le chagrin. Un soir, mue par une impulsion, Léna réserve un billet d’avion et une chambre d’hôtel. Ce n’est pas un acte irréfléchi, plutôt un élan qui obéit à un appel, une injonction échappant à la raison.

 

Les premiers jours, elle sort peu. Elle lit, se fait masser, 
boit des tisanes au centre de soins ayurvédiques de l’établissement, se repose dans le patio arboré. Le cadre est agréable, propice à la détente, le personnel attentif et discret. Mais Léna ne parvient pas à se laisser aller, à endiguer le flot de ses pensées. La nuit, elle dort mal, fait des cauchemars, se résout à prendre des cachets qui la rendent somnolente tout au long de la journée. À l’heure des repas, elle reste à l’écart, n’a nulle envie de subir la conversation forcée des autres clients, d’entretenir des échanges de surface dans la salle à manger, de répondre aux questions qu’on pourrait lui poser. Elle préfère rester dans sa chambre, commander un plateau qu’elle picore sans appétit sur un coin du lit. La compagnie des autres lui pèse autant que la sienne. Et puis elle ne supporte pas le climat : la chaleur l’indispose, comme l’humidité.

 

Elle ne participe à aucune excursion, aucune visite des sites de la région, pourtant prisés des touristes. Dans une autre vie, elle aurait été la première à compulser les guides de voyage, à se lancer dans une exploration approfondie des environs. La force lui manque aujourd’hui. Elle se sent incapable de s’émerveiller devant quoi que ce soit, d’éprouver la moindre curiosité pour ce qui l’entoure, comme si le monde s’était vidé de sa substance et n’offrait plus qu’un espace vide, désincarné.

 

Un matin, elle quitte l’hôtel à l’aube et fait quelques pas sur la plage encore déserte. Seuls des pêcheurs s’activent entre les barques colorées, rafistolant leurs filets qui forment de petits tas vaporeux à leurs pieds, semblables à des nuages mousseux. Léna s’assoit sur le sable et regarde le soleil se lever. Cette vision l’apaise étrangement, comme si la certitude de l’imminence d’un jour nouveau la délivrait de ses tourments. Elle ôte ses vêtements et entre dans l’eau. La fraîcheur de la mer sur sa peau la rassérène. Il lui semble qu’elle pourrait nager ainsi, à l’infini, se dissoudre dans les vagues qui la bercent doucement.

 

Elle prend l’habitude de se baigner alors que tout dort encore autour d’elle. Plus tard dans la journée, la plage devient cet espace grouillant de monde, où se pressent des pèlerins s’immergeant tout habillés, des Occidentaux avides de photos, des vendeuses de poisson frais, des camelots, des vaches qui les regardent passer. Mais à l’aube, nul bruit ne vient troubler les lieux. Vierges de toute présence, ils s’offrent à Léna tel un temple en plein air, un havre de paix et de silence.

 

 Une pensée la traverse, quelquefois, tandis qu’elle gagne le large : il suffirait de pousser un peu plus loin, de demander à son corps épuisé un ultime effort. Il serait doux de se fondre dans les éléments, sans bruit. Elle finit pourtant par rejoindre la rive, et remonte à l’hôtel où le petit déjeuner l’attend.

 

De temps en temps, elle aperçoit un cerf-volant près de la ligne d’horizon. C’est un engin de fortune, maintes fois rapiécé, tenu par une enfant. Elle est si frêle et si menue qu’on dirait qu’elle va s’envoler, cramponnée à son fil de nylon comme le Petit Prince à ses oiseaux sauvages, sur cette illustration de Saint-Exupéry que Léna aime tant. Elle se demande ce que la gosse fait là, sur cette plage, à l’heure où seuls les pêcheurs sont levés. Le jeu dure quelques minutes, puis la petite fille s’éloigne et disparaît.

 

Ce jour-là, Léna descend comme de coutume, les traits tirés par l’insomnie – un état auquel elle s’est habituée. En elle, la fatigue s’est installée – elle est ce picotement autour des yeux, ce malaise vague qui la prive d’appétit, cette lourdeur dans les jambes, cette sensation de vertige, ce mal de tête persistant. Le ciel est clair, d’un bleu qu’aucun nuage ne vient troubler. Lorsqu’elle tentera par la suite de reconstituer le fil des événements, Léna sera incapable d’en retracer le cours. A-t-elle présumé de ses forces ? Ou délibérément ignoré le danger de la marée montante, le vent qui venait de se lever dans l’aube naissante ? Alors qu’elle s’apprête à rentrer, un courant puissant la surprend, la ramène vers le large. Dans un réflexe de survie, elle essaye d’abord de lutter contre l’océan. Vaine tentative. La mer a vite raison de ses efforts, du maigre capital d’énergie que des nuits sans sommeil ont largement entamé. La dernière chose que Léna distingue avant de sombrer est la silhouette d’un cerf-volant, flottant dans un coin de ciel, au-dessus d’elle.

 

Lorsqu’elle rouvre les yeux sur la plage, un visage d’enfant lui apparaît. Deux prunelles sombres la fixent, ardentes, comme si par l’intensité de ce regard, elles tentaient de la ramener à la vie. Des ombres rouges et noires s’agitent, échangent des interjections affolées dont Léna ne saisit pas le sens. L’image de l’enfant se brouille dans le tumulte général avant de s’évanouir tout à fait, au milieu de l’attroupement en train de se former.

 

Chapitre 2

Léna s’éveille dans un décor blanc et brumeux, une grappe de jeunes filles penchées sur elle. Une femme âgée entreprend de les disperser comme on chasserait des mouches. Vous êtes à l’hôpital ! clame-t-elle dans un anglais mâtiné d’un fort accent indien. C’est un miracle que vous soyez en vie, poursuit-elle. Les courants sont puissants par ici, les touristes ne se méfient pas. Il y a beaucoup d’accidents. Elle l’ausculte, avant de conclure d’un ton rassurant : Plus de peur que de mal, mais on vous garde en observation. À cette annonce, Léna manque défaillir à nouveau. Je me sens bien, ment-elle, je peux sortir. À dire vrai, elle est épuisée. Tout son corps lui fait mal, comme si on l’avait rouée de coups, comme si elle était passée à travers l’essoreuse d’une machine à laver. Ses protestations restent vaines. Reposez-vous ! lance l’infirmière en guise de conclusion, en l’abandonnant dans son lit.

 

Se reposer, ici ? La recommandation ne manque pas d’ironie… L’hôpital est aussi animé qu’une autoroute indienne en milieu de journée. Des patients attendent, agglutinés dans le couloir voisin, d’autres sont en train de manger. D’autres encore invectivent le personnel soignant, qui paraît débordé. Juste à côté, dans la salle de soins, une jeune femme s’énerve contre un médecin qui tente de l’examiner. Près d’elle se tient le groupe de filles qui s’agitaient au chevet de Léna. Adolescentes pour la plupart, elles sont vêtues à l’identique d’un salwar kameez1 rouge et noir. Elles semblent obéir à l’autorité de la jeune femme qui, pressée de s’en aller, entreprend de dégrafer le tensiomètre à son bras. Au grand dam du médecin, elle ne tarde pas à filer, suivie de sa troupe qui lui emboîte le pas.

 

 

Le cerf-volant   –   Laetitia Colombani   –   Grasset
 
 

 

lundi 14 juin 2021

*Au coin de tes yeux d'or

*Tes petits chats sont morts,

Tes petits chats sont morts,

L'un après l'autre, dans la nuit froide de l'automne,

Tu cherches un réconfort,

Minette triste, qui contre moi te pelotonnes.


De ton premier amour

Ce bel été, au mas de nos vacances ensoleillées,

De ton beau troubadour

Reste seul, en ton coeur, le souvenir des bonds

                                                          (dans l'herbe parfumée !
Si tu pouvais parler,

J'écouterais tes mots, tu me dirais ta peine

                                                      (comme un confiteor...
Si tu pouvais pleurer,

Mon doigt enlèverait ta larme, au coin de tes yeux d'or !


Cyr Chaix

 

 

Scolarêver en Pays Bleu(Poésie)


(un hommage très amical et "ensOleillé" du Poète - 8 juillet 1990)

***

 

dimanche 13 juin 2021

*Elle est passée !

L'écriture n'a pas d'âge..

L'écriture n'a pas d'âge.
Elle demeure svelte, aérienne, dynamique encore, même si elle peine et tarde parfois à peindre l'idée traversée au rythme des pas avancés, et l'effleure...
Elle s'efface par transparence puis s'élance soudain sur la page passionnée, comme elle aime, ce qu'elle dira, toujours, avance, s'enfonce entre les lignes, désireuse d'embraser l'idée des toujours et autrement dit, à la rencontre... et elle les embrase.
Elle rencontre l'expression, la différence et parvient à dire la pensée imposée, sortie des entrailles des chemins tortueux, supplie de trouver le mot dense, grisé, de la couleur de l'encre, et cherche.. tâtonne..
Le mot échaffaudé s'en est échappé, indifférent à l'idée, sur la page imaginée et s'aventure timide,
balancé gauche, balancé droite, seul face à la photo qu'il garde loin dans sa mémoire fragmentée ourlée d'ombre.
Il a surgi.
Il s'est faufilé un bref instant, comme un voleur flotte dans l'incertitude fragile d'un demain lumineux.
Il s'est glissé à l'intérieur de la page.
La lettre sagement calligraphiée remplit le mot et l'épouse, remplit la page et avance comme un i est droit,
rigide comme l'intolérance, fier comme Artaban l'était, arrogant, et elle entre aperçoit un mot tremblant de solitude, flâneur désespéré, arrêté par un rythme trop rapide qui se carapate ; puis la lettre se courbe fatiguée
à trop chercher, s'arrache et disparaît à trop vouloir dire les choses de son coeur ereinté, par trop de larmes versées, puis soudain la lettre trace, avance immense, comme par miracle, impose le nouveau rythme, s'étonne de  s'acheminer encore sur la voie du mot, de la page, au hasard, silencieusement, avec la pointe du crayon, pour ne pas se dévoiler, trop dire, discrète comme elle sait, contemple avec jubilation l'expression qui s'envole enfin, bien au-delà de la page, vers là-haut.
Elle regarde autour d'elle, retraverse l'idée, droite sur l'autre page, comme poussée ailleurs par un vent ami.
Elle est passée.... !

Den




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samedi 12 juin 2021

*Et je m'enfuis

*Quand la mémoire s'écarte...



Quand la mémoire dévie, s'écarte, se trompe et que la phrase ne trouve plus ses mots, ou pas autant qu'on le veut, ou pas assez vite, pas assez bien, quand je cherche trop, trop longtemps, pas comme je le voudrais.. je n'insiste pas, et passe à autre chose.

Je m'enfuis vers d'autres lieux.

je retrouve Justin et sa petite fille aînée, accrochée à lui sur le porte-bagage-panier.

Une porte s'entrouvre, secrète.

J'écris sur Papa, sur Maman, donc sur moi aussi.

 

Je ressuscite mon passé, cachée parfois, pour ne pas tout dévoiler, mais courageuse, j'avance sur la page, dans cette vaste colline de mots, égarée.

On arrive enfin à la F...



J'ai quitté ma vie actuelle, et j'ai rejoint mon passé.

Je récupère, puis consigne fièrement sur la page, par des mots retrouvés en capture, non usés, des instants dans l'autrefois.
Je glisse subrepticement dans la pénombre de notre histoire, toute occupée que je suis à me souvenir de mots étincelants d'exactitude, espérant rejoindre ainsi le firmament ou même les étoiles.



Je t'aime, papa, je t'aime. Je sais que tu m'entends, même si je ne parle pas, je t'aime dans le vent qui décoiffe ou qui caresse les feuilles des arbres, ou près du rosier sauvage qui exhale sa nouvelle floraison, je t'aime dans toutes les fleurs qui embaument le silence.

C'est là que j'ai appris à t'aimer, papa. J'ai suivi tes pas, fièrement, sans le dire. J'ai mis mes souliers trop petits, dans les tiens, pendant ce temps qui m'a permis de grandir, grâce à toi, pas de vieillir.

Den





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vendredi 11 juin 2021

Edgar Morin, invité exceptionnel

 
 
100 ans  dans quelques jours !
 
 

*Mes amours

*Vous êtes le rêve de mes amours...


Très chère Juliette,

Merci pour votre  gentille lettre,
vous pouvez croire que je veux vous voir pour le bon motif,
car une fois que j'ai donné ma parole,
c'est fini,
et vous êtes le rêve de mes amours.
A bientôt, cordiale poignée de mains.
Léon


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jeudi 10 juin 2021

*J'ai soudé une boîte pour toi

*Mon très cher Léon bien aimé....


Juliette écrit à Léon le 28 Septembre 1916

"Mon très cher Léon bien aimé,

Ce matin je suis allée à Aix pour toucher l'allocation,
et ta mère est venue coucher hier soir afin de soigner nos chers enfants.
Je te dirais,  cher petit ange chéri,  que ce matin, j'ai soudé une boîte pour toi ; c'est Claire 
qui l'a préparée, tu verras mon talent ...
Il n'a pas fait beau temps aujourd'hui ; il a plu tout le jour...

Juliette

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mercredi 9 juin 2021

*J'me faufile !

 

*Je me faufile, moi la petite fille, entre les pages...




1952.....

Je me faufile, moi la petite fille, entre les pages.
J'ai six ans, et bientôt je quitterai la campagne pour la ville.

Je rentre à l'école primaire du cours sextius, au CP, et j'ignore encore la vie qui sera demain.

Den

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mardi 8 juin 2021

*Supputations

*Des points de suspension...

Riches en suppositions, en interrogations, ils marquent l'interruption de la phrase, l'indécision, l'hésitation, le respect des convenances, les réticences, l'inachèvement....
 ...

sollicitation de l'imaginaire.

...

C'est le flou quasiment intégral de l'histoire.

Pour l'instant, devrai-je dire.

On oublie des instants....

On y reviendra. Ou pas.

On s'en souviendra, peut-être un jour, et on rajoutera alors d'autres paragraphes.
Je laisse des espaces sur la page, pour occuper le temps.

-=-=-=-

On se remémore des noms, pas les uns après les autres, pas toujours dans l'ordre chronologique, mais ça ne fait rien, on mettra de l'ordre plus tard.

Pour l'instant on amasse un maximum de notes, des instants, des noms, on emmagasine le plus de détails possibles, par crainte de manquer de temps, justement.

Et elle parle, elle parle, Camille, rajoutant du sens à son histoire.

"A Aleysson, je me souviens encore aujourd'hui du goût des tartines de beurre... le pain de seigle ; quand on tuait le cochon... le boudin, le jambon. Les rires mêlés aux pleurs : ça c'était chez les R."..

"Plus tard, quand on a déménagé à Tence, ce n'était plus pareil. C'était la ville".

"Avec.... et leurs jumelles, les fêtes au Mont Gerbier des Joncs, toutes les années, là où la Loire prend sa source... J'en garde un bon souvenir, à humer le bon air, là-haut..."


"Des noms reviennent...  je dois avoir à l'époque seize, dix-sept ans : eux non plus n'ont pas d'enfant, comme .......
...  c'est un peu plus tard... j'ai dix-sept, dix-huit ans, je me rappelle un crémier..

La mémoire garde en elle, au plus profond englouti, après réflexion, telle chose qu'elle fixe à jamais, et laisse échapper  au loin, telle autre qu'elle gomme, probablement parce qu'elle ne souhaite pas l'intégrer..

Elle ordonne en connaissance de cause dans de petits casiers, et trie avec discernement et sagesse, par ordre d'importance. Elle perd l'inutile souvenir de ce qu'elle a condamné à l'oubli, et ce depuis bien longtemps. Ce dont elle ne souhaite pas se souvenir.

Elle cède.

Peu importe, je veux moi conserver pour les miens, ce dont maman se remémore, seulement cela.
Je lui laisse en abandon, le choix de ses souvenirs, le monde dans lequel elle a grandi -reflet de sa vie-, afin que ceux-ci ne sombrent, oubliés dans les ténèbres de son histoire.

Et en secret, sans lui dire, je ne peux m'empêcher de m'étonner de l'abondance condensée dans cette parcelle intime -étroit espace-  aux tiroirs ouverts, quelques fermés à double tour.

Ainsi, je l'accompagne dans sa recherche, devenue contemporaine privilégiée de sa vie, tentant de rédiger et de donner forme à tout ce dont elle se souvient. Uniquement.

Je m'élance hors de la page, essayant une fois encore de comprendre et de rattraper par la main, et au dernier moment, l'enfant et la jeune fille qu'elle fut. Je reviens sur la page, relis mon travail d'hier, creux, je le corrige, le réécris.
Là, c'est mieux. Je recommence la lecture depuis le début dans un silence quasi-monacal.

Une petite fille, d'à peine trois ans et demi, comme moi sur la photo, au même âge, pas plus, accompagnée de sa première mère nourricière, celle de qui elle va bientôt se séparer, s'arrête, joue près d'un parapet, s'accroupit et se glisse facilement entre l'ouverture en bois flotté, elle lance le jouet qu'elle tient confusément entre ses doigts menus et ronds, le regardant tomber dans l'eau.. Camille. Oh !.. Elle pleure, pleine d'un chagrin d'enfant qu'elle ne peut contenir. Pressée d'avancer, Mme A.. la somme de ne pas s'attarder à regarder le jouet emporté par les flots, supprimant ainsi cette vision malheureuse. Elle s'accroche à la jupe de son accompagnatrice, la petite, pleine de larmes et de cris qui arrachent le coeur.

Le ciel pommelé est chargé de nuages prêts à se transformer en une pluie bienfaisante. Plus haut.

Allez, Camille. Il est temps de rentrer.
Tant pis pour le jouet disparu. Les eaux ridées l'ont emporté.

Den



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lundi 7 juin 2021

*Abandonnée !

*Avant je ne me suis jamais posée la question..

Avant, je ne me suis jamais posée la question.

"Dis maman, pourquoi as-tu été abandonnée ?"

"Pourquoi existe-t-il des parents capables d'un tel crime ?"

J'aime maman, papa, je me sens protégée par eux, et je ne peux comprendre ni accepter, avec ma sensibilité, un tel acte.

Mes premiers souvenirs ne remontent pas avant mes trois ans et quatre mois, à la naissance de ma soeur  en juin 1949, se rajoutant ainsi au cercle familial, tout simplement, naturellement : puis plus tard, un petit frère, inespéré, naît en septembre 1954.
J'ai huit ans.

Je ne connais qu'une famille. La mienne, et il se superpose celle de papa Juju, dit Justin, Goselin, pour l'Etat civil, de lignée provençale par son père Léon. Juju donc, un homme jovial, tendre et humain, discret, travailleur, honnête, plein d'amour pour les siens, protecteur, une belle personne, et de ses six frères, de sa soeur Emilienne, unique fille, certainement perdue au milieu de cette bande de garçons.

Cette tribu se complète par Léon et Juliette, et non des moindres, Léon on en a rapidement parlé plus haut, on en reparlera plus tard, leurs parents, leurs géniteurs, mes grands-parents paternels.

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Aussi loin que je me souvienne en remontant dans le temps, du côté de maman, aucun visage à qui me raccrocher, aucune ressemblance physique en héritage à détecter, aucune similitude visuelle criante, extrème, profonde. Aucune image pour le souvenir.

Aucun Papy ni Mamy pour me prendre dans leurs bras, ni me consoler de mes chagrins enfantins.
Par contre, des familles de substitution connues seulement de maman. Il y en a eues. Des noms reviennent en sa mémoire.
Maman se souvient et raconte ce qu'il reste de ce temps.

Pas énormément d'hésitations.

On parle, enjouées. Je note. Des bruits, des  bribes de conversations feutrées, des odeurs, des relents de vie, pas toujours malheureux, pas toujours solitaires.

En  décembre 1921 est née Camille P...
....de mère inconnue.
Il n'est pas fait mention du père géniteur.
Enfant de l'Assistance Publique, on disait. Comme marquée au fer rouge, Camille.

Camille P..., c'est le prénom et le nom qui lui ont été attribués. Sans référence aucune. Sans lignage. Une parenté de forme, d'apparence, sans lien de sang.
Camille, un prénom démodé quand je suis enfant, et dont j'ai un peu honte car inusité.
Je ne sais pas à cette époque que ce prénom deviendra "à la mode" à partir des années 2008, 2099, 2010, par chance.

Camille est énergique. Elle possède l'autorité naturelle et une grande force de persuasion.
Indépendante, elle a besoin de commander.
Elle aime ce qui est beau, racé, et possède un certain trait aristocrate, naturellement.

Maman n'a pas souffert de ne pas connaître les siens, se reconnaître en ses racines.

Ses proches auraient aimé savoir.... ils ont bien essayé... sans résultat probant, aucune trace de cet avant.

Maman s'en est accommodée. Elle a accepté cette béance, ce vide, les oubliant, les gommant de son existence.
Derrière la vitre, elle a occulté son histoire, se construisant seule.

Devenue orpheline, son désir de vie a été tel qu'il a multiplié par dix une vitalité de rescapée : elle est celle qui a échappé... qui est sortie indemne, vivante... une survivante. Miraculée, sauve.
En fait, un destin surdimensionné.

Den




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