Et puisqu'on parlait de photos, j'ai retrouvé les miennes mélangées à d'autres documents familiaux, des correspondances très anciennes échangées pendant les deux guerres, et entre... des photos de maman.
Je suis vraiment très heureuse de pouvoir poser mon regard aiguisé sur cet "hier".
J'ai commencé à rassembler ces marques du temps. Je prends mon élan. Je retrouve les photos du début de mon histoire. J'ai moins d'un an, J'ai 3-4 ans (sur le billet de mardi).
On est en 1946. On est en 1949, peut-être 1950.
Mes yeux se souviennent encore. J'entends le vol léger d'un oiseau dans les branchages, je sens le parfum enivrant des roses trémières, et j'effleure la peau si douce du bras bronzé de maman. Je suis si bien, là au chaud dans cet instant doux et patient. Heureuse.
Et dans ce temple particulier, dans ce sanctuaire de la mémoire figée, ces images constituent une réelle apparition bienveillante comme une oasis surgit dans le désert, une profonde impression, bouleversant ainsi mon âme, avec le sentiment d'être née pour devenir ce que je suis aujourd'hui.
Une représentation tout à fait romantique.
Poétique...
La première photo, je la retrouve.
C'est un petit format rectangulaire de 8 cm x 6 cm ; il me représente. Je dois avoir 8 mois, pas plus. On est en septembre,, octobre 1946.
Une photo à caractère intime, personnel.
Vêtue d'une robe claire, avec des manches courtes ballons, laissent entre apercevoir deux petits pieds nus en liberté, sans chaussettes ni chaussures, pour le bien-être uniquement.
On est à Trets, où je suis née, à trente kilomètres d'Aix, lors d'une mutation de papa. Probablement à l'intérieur de la maison qui irradie d'un rayon de soleil automnal encore haut. Avoir chaud.
Dans mon landau, assise, je souris, soutenue par la main protectrice de maman, puisqu'elle n'est pas visible sur l'image : je n'aperçois que son bras, mais je sais qu'elle est là présente comme toujours.
Je lis dans mes yeux, l'affection qui nous réunit, sereine en cet instant.
Je vois une belle enfant, pleine de vie, radieuse qui semble écouter celle qui la vue naître.
Je suis touchée par ses traits réguliers, les miens, le front est bombé, de belles petites oreilles bien placées, des yeux bridés qui voient loin, un petit nez court occupe peu d'espace dans ce visage harmonieux, juste ce qu'il faut. Le tout agrémenté d'un large sourire.
Légèrement tournée, je n'apparais pas de face, entièrement, mais j'essaye déjà de construire avec toi, maman, ce lien indéfectible qui relie une mère à son enfant. Qui devrait...
Premier plan.
Le second plan ne laisse rien deviner.
C'est une masse sombre.
Sur la deuxième photo (sur le billet de mardi)
Au premier plan, on nous voit toutes les deux. La photo a du être prise le même jour, à la maisonnette, là aussi près de la voie ferrée, puisque Justin, mon papa, est employé à la SNCF.
On est toujours en 1946. Je porte la même robe claire, sur les genoux de maman qui sourit à l'objectif de mon père, et je joue, en mouvement sur la photo, ne fixant pas mon géniteur.
Peut-être que le soleil présent ce jour là me gêne. La photo est prise en extérieur, sous la tonnelle ; en arrière-plan, un arbuste est feuillu.
Au premier plan, maman apparaît lumineuse, très heureuse de pouvoir montrer sa progéniture. C'est une femme charmante, -ce qui a toujours été, possédant un je ne sais quoi qui la faisait remarquer-. Très à la mode, certainement, vêtue d'une robe pieds de poule épaulée comme il faut, laissant découvrir un bras gracile sous une manche légèrement descendante.
Un dessin sur le devant de la robe, au niveau de la poitrine montre en apparence un buste plaisant, un corsage très féminin.
Des chaussures claires, à talons, prolongent la fine cheville, laissant voir une languette proéminente, qui ressort bombée de la chaussure comme à l'époque.
Les cheveux noirs de maman font découvrir un beau visage régulier. Il sont coiffés crantés sur le dessus de la tête, en hauteur.
A ses pieds, un large bouquet de marguerites habille la photo. C'est jour de fête puisqu'on présente l'enfant.
Je suis émue par ce passé recomposé.
Ces deux photos vont ensemble.
Deux par deux.
Les deux autres photos aussi (sur le billet de mardi) .
Elles ont été prises à la Foire de Marseille.
Soit j'ai 3 ans et demi.
On est alors en septembre 1949 : ma soeur est née en juin de cette année : mais trop petite elle n'a pas pu effectuer le déplacement et a été gardée par une personne de confiance, à la maison.
Soit j'ai 4 ans et demi.
On est en septembre 1950.
De toutes les façons, on est en septembre 49 ou 50. Comme toutes les années, la Foire au Parc Chanot se tient à la rentrée scolaire.
Au premier plan, et sur la première photo, mes parents me donnent la main, chacun de part et d'autre, protecteurs. En habits de ville, entourés par deux de mes oncles, les frères de Justin, Aimé et Gustave, eux aussi en habits de ville.
Peu de sourires des uns et des autres. Peut-être des soucis ou la prise inattendue par un objectif qui vole l'intimité qu'on refuse.
Une enfant sérieuse, moi aussi, entourée d'une famille bienveillante, ça se voit.
Ils avancent, nous avançons vers la sortie de la Foire, puisqu'on aperçoit dans le fond de l'image les grilles du Parc, au second plan.
La deuxième photo est à l'identique, et ne montre que la petite. Moi, Den, plutôt boudeuse ce jour-là.
Elle raconte une partie de mon/notre histoire familiale. 1949-1950.
En marche avec eux, ils guident mes pas, tous attentionnés.
J'apparais volontaire, mais réfléchie. Ce que je suis toujours. Trop peut-être.
N'ai-je pas joué au caprice ce jour-là ? Ou bien un désir n'a-t-il pas été assouvi ?
Le regard est plutôt sombre. Aucun sourire marqué à la commissure des lèvres. Pourtant la journée a été bonne, et la promenade devait bien finir par se terminer, assurément.
L'absence de ma soeur a-t-elle pesée dans l'histoire racontée de cette journée ?
Le baiser que je ne lui ai pas donné avant de partir, m'a-t-il manqué ce jour-là, comme il a pu lui manquer de ne pas le recevoir ?
Je retourne dans ma mémoire et revis ces instants bien lointains, mais vivants en moi. Des fantômes chuchotent et racontent les retrouvailles joyeuses des deux soeurs, ici sur la page enroulée dans le soir, et au retour, après cette expédition à la Foire de Marseille.
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Je m'éloigne de la photo puis la retrouve aussitôt, tentant de détecter la moindre ressemblance, le moindre indice entre maman et moi, enfant, celle qu'elle a pu être, au même âge, dans la représentation de sa réalité, sans embellissement pour la rendre plus attrayante.
Un trait reconnaissable parmi d'autres, une similitude visuelle, une ressemblance physique en héritage détectée, criante dans son identité, extrême, profonde.
Une belle image pour se souvenir.
Ne jamais oublier l'amour des êtres entre eux.
Je t'aime maman.
Den
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....Petit livret écrit et offert à maman, mes deux filles, mes 3 petits-enfants pour les 90 ans de Mamy Camille,
il y a 5 ans.
Le 30 décembre de cette année, maman a eu 95 ans.
"Du plus profond de ma mémoire"
C'est ce dont j'ai souhaité me souvenir en coeur'.
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Ce livret raconte son histoire et celle de mon papa Justin... de mes aïeux également.
En hommage rendu pour leur amour distribué sans compter, pour le temps qui passe malgré nous,
ce que l'on ne peut oublier.
Den.
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