*Des points de suspension...
Riches en suppositions, en interrogations, ils marquent l'interruption
de la phrase, l'indécision, l'hésitation, le respect des convenances,
les réticences, l'inachèvement....
...
sollicitation de l'imaginaire.
...
C'est le flou quasiment intégral de l'histoire.
Pour l'instant, devrai-je dire.
On oublie des instants....
On y reviendra. Ou pas.
On s'en souviendra, peut-être un jour, et on rajoutera alors d'autres paragraphes.
Je laisse des espaces sur la page, pour occuper le temps.
-=-=-=-
On se remémore des noms, pas les uns après les autres, pas toujours dans
l'ordre chronologique, mais ça ne fait rien, on mettra de l'ordre plus
tard.
Pour l'instant on amasse un maximum de notes, des instants, des noms, on
emmagasine le plus de détails possibles, par crainte de manquer de
temps, justement.
Et elle parle, elle parle, Camille, rajoutant du sens à son histoire.
"A Aleysson, je me souviens encore aujourd'hui du goût des tartines de
beurre... le pain de seigle ; quand on tuait le cochon... le boudin, le
jambon. Les rires mêlés aux pleurs : ça c'était chez les R."..
"Plus tard, quand on a déménagé à Tence, ce n'était plus pareil. C'était la ville".
"Avec.... et leurs jumelles, les fêtes au Mont Gerbier des Joncs, toutes
les années, là où la Loire prend sa source... J'en garde un bon
souvenir, à humer le bon air, là-haut..."
"Des noms reviennent... je dois avoir à l'époque seize, dix-sept ans : eux non plus n'ont pas d'enfant, comme .......
... c'est un peu plus tard... j'ai dix-sept, dix-huit ans, je me rappelle un crémier..
La mémoire garde en elle, au plus profond englouti, après réflexion,
telle chose qu'elle fixe à jamais, et laisse échapper au loin, telle
autre qu'elle gomme, probablement parce qu'elle ne souhaite pas
l'intégrer..
Elle ordonne en connaissance de cause dans de petits casiers, et trie
avec discernement et sagesse, par ordre d'importance. Elle perd
l'inutile souvenir de ce qu'elle a condamné à l'oubli, et ce depuis bien
longtemps. Ce dont elle ne souhaite pas se souvenir.
Elle cède.
Peu importe, je veux moi conserver pour les miens, ce dont maman se remémore, seulement cela.
Je lui laisse en abandon, le choix de ses souvenirs, le monde dans
lequel elle a grandi -reflet de sa vie-, afin que ceux-ci ne sombrent,
oubliés dans les ténèbres de son histoire.
Et en secret, sans lui dire, je ne peux m'empêcher de m'étonner de
l'abondance condensée dans cette parcelle intime -étroit espace- aux
tiroirs ouverts, quelques fermés à double tour.
Ainsi, je l'accompagne dans sa recherche, devenue contemporaine
privilégiée de sa vie, tentant de rédiger et de donner forme à tout ce
dont elle se souvient. Uniquement.
Je m'élance hors de la page, essayant une fois encore de comprendre et
de rattraper par la main, et au dernier moment, l'enfant et la jeune
fille qu'elle fut. Je reviens sur la page, relis mon travail d'hier,
creux, je le corrige, le réécris.
Là, c'est mieux. Je recommence la lecture depuis le début dans un silence quasi-monacal.
Une petite fille, d'à peine trois ans et demi, comme moi sur la photo,
au même âge, pas plus, accompagnée de sa première mère nourricière,
celle de qui elle va bientôt se séparer, s'arrête, joue près d'un
parapet, s'accroupit et se glisse facilement entre l'ouverture en bois
flotté, elle lance le jouet qu'elle tient confusément entre ses doigts
menus et ronds, le regardant tomber dans l'eau.. Camille. Oh !.. Elle
pleure, pleine d'un chagrin d'enfant qu'elle ne peut contenir. Pressée
d'avancer, Mme A.. la somme de ne pas s'attarder à regarder le jouet
emporté par les flots, supprimant ainsi cette vision malheureuse. Elle
s'accroche à la jupe de son accompagnatrice, la petite, pleine de larmes
et de cris qui arrachent le coeur.
Le ciel pommelé est chargé de nuages prêts à se transformer en une pluie bienfaisante. Plus haut.
Allez, Camille. Il est temps de rentrer.
Tant pis pour le jouet disparu. Les eaux ridées l'ont emporté.
Den
****
La mémoire, terre magique de nos parents!
RépondreSupprimerLa notre, plus tard, aura le même goût sucré du "tout fou le camp".
Tout noter pour ne rien perdre.
Comme j'aurai aimé. Mais la vie, quelques fois, ruines les rires des enfants que nous n'avons pas eu le temps d'être. Et les blessures sont longues à soigner. Le sont-elles vraiment un jour.
Je pleurniche sur mon enfance, alors qu'elle m'a aidé à construire l'adulte que je suis.
Sans rancune la vie.
Touché par ton texte généreux où je te retrouve bien.
Je t'embrasse.
Retrouver les cartes postales "échangées" entre mes grands-parents paternels pendant la guerre de 14-18 puis avoir envie de ne pas oublier les souvenirs de maman, ceux de mon papa, ceux racontés dans l'oral du temps... se rendre compte que maman avance en âge, et qu'elle a oublié certains points précis... c'est ainsi qu'est né "du plus profond de ma mémoire", pour la famille, mes petits-enfants, fascicule de presque 300 pages offert à maman pour ses 90 ans et à chacun d'entre nous. C'était en 2011... Je savais ainsi que les mots ne disparaîtraient pas... ils vivaient sur la page... pour notre mémoire familiale.
SupprimerMerci letienne.
douce journée à toi.
J'aime aussi les points de suspension qui laissent planer une interrogation, un doute.
RépondreSupprimerTon texte est superbe. Notre enfance est là en nous, elle a fait ce que nous sommes (avec la lecture) mais nous l'avons quittée, souvent brutalement. elle nous a lâché comme le jouet dans le flot des souvenirs.....
Le point de suspension indique que la phrase précédente aurait pu être poursuivie, il laisse libre cours à l'imaginaire, l'hésitation, le sous-entendu, le non-achevé. Il laisse des espaces sur la page...laissant échapper plus de précisions, l'englouti au plus profond.L'ignorance.Les reflets de la vie, notre enfance qui nous a construit.
SupprimerMerci ma chère Anne pour ta bienveillance...
L'écriture a permis tant de choses !
Les mots sur une page pour ne pas oublier et transmettre
RépondreSupprimerC'est cela, Marie, "pour ne pas oublier, et transmettre".
SupprimerMerci à toi.