J'ai commencé ce cahier en septembre, comme je le fais depuis plus de trente ans, après les grosses chaleurs de l'été et surtout lorsque ma fille retournait à l'école et que je restais seul dans le silence de notre appartement. J'ai toujours détesté l'école depuis le premier jour, je n'aime que la lumière des champs.
A l'époque nous rentrions à l'école le 1er octobre, et ce mot, octobre, était sombre et froid. Il le demeure. Septembre est un mot très doux, il glisse comme une rivière, dans une plaine encore toute dorée où les poussières des moissons ont disparu.
Mon père prenait ses congés en septembre pour aller chasser et nous passions ce mois dans le petit village de Saint-Maime, au coeur des Basses-Alpes. J'aurais aimé qu'il dure éternellement.
Il faisait encore nuit quand il me réveillait. J'attrapais mes vêtements sur le dossier de la chaise et nous filions.
Nous escaladions les ruelles du village qui sentaient la cave, le coulis de tomates et le poulailler.
Très vite nous atteignions une chapelle recouverte de lauzes et pleine de pigeons, nous contournions ce que l'on appelait le château, qui n'était plus qu'un moignon de tour fortifiée, toutes les pierres de taille ayant servi à construire le village, deux cents mètres plus bas. Nous étions sur la crête d'un éperon rocheux.
A notre gauche, là-bas dessous, la nuit n'était éclairée que par les fleurs blanches des tombes, sous les cyprès du petit cimetière. Devant nous, très loin, du côté du plateau de Valensole, le ciel était vert.
Les aubes sont très fraîches en septembre, la brume reste longtemps immobile au fond des vallons et encore plus laiteuse le long des rivières. Il y en avait deux ici, la Laye et le Largue, où j'allais pêcher et me baigner. Les après-midi sont encore torrides, au milieu des collines.
On entendait sous la brume la cloche d'un troupeau que l'on ne voyait pas. On retrouvait un peu plus loin le chemin des vignes. C'était une suite de petites vignes, pas plus grandes que la main, à flanc de coteau. Chacune avait son petit cabanon en pierres sèches recouvert de trois tuiles recuites par les étés et son grand fût rouillé pour recueillir l'eau de pluie.
Je pensais toujours que le soleil ne sortirait jamais tant le froid piquait mes jambes nues et soudain il éclairait les plus hauts rochers et glissait vers nous sur les raies des vigne étincelantes de rosée. Un peu plus tard, toute la vallée s'ouvrait sur notre droite et l'on découvrait les sombres allées de marronniers qui dissimulaient l'ancienne petite gare.
Nous suivions un bon moment ce chemin quand mon père commençais à transpirer dans sa veste de treillis, nous nous arrêtions pour déjeuner.
Ces petites vignes aux grappes violettes, aussi dures que les plombs dans la cartouche, donnaient un vin âpre et râpeux, que faisaient semblant d'apprécier les propriétaires de tous ces cabanons. Mon père avait repéré deux ou trois treilles de muscat ou de clairette. Il appuyait son fusil contre un muret, coupait deux belles grappes noires ou blondes avec son Opinel et on s'installait dans l'herbe, entre deux raies de vignes. C'était pour nous deux le meilleur moment de la matinée.
un morceau de pain qu'il partageait, et à part peut-être de ramener un beau lièvre de cinq kilos, rien n'égalait cet instant magique. Une tomme de chèvre, une grappe de muscat et un bout de pain, juste avant l'automne, dans le silence doré des collines, si loin de l'odeur de la craie, de l'encre, de la peur physique d'être interrogé. Mon père ne disait pas un mot. Nous écoutions septembre. Mon père ne m'a jamais dit un mot. Nous marchions en silence, nous mangions en silence et chacun faisait sa vie.
Je me souviens de tous vos rêves.
René Frégni
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Je suis très émue de lire ces phrases de tendresse vis-à-vis de son père. Je ne peux m'empêcher de penser à mon propre père, et à nos balades dans la montagne, enfant, quand mon père s'asseyait en haut, en silence et mordait dans sa tomate comme dans une pomme...
RépondreSupprimerDécidément, ce René Fregni est un grand poète.
Et je te remercie d'avoir une fois de plus, enchanté ton blog de ses mots si beaux.
¸¸.•*¨*• ☆
C'est dans les choses les plus simples que l'on puise les plus grands bonheurs... je veux dire ceux qui demeurent à jamais inscrits dans notre coeur... L'enfance en est un antre infini quand on a pu avoir la chance de la vivre ainsi...
SupprimerMerci Célestine de t'être déplacée jusque dans les allées de mes mots.... Je te souhaite une heureuse semaine, ensOleillée, je crois bien.
Bisou.
Den
J'avais aussi beaucoup aimé ce passage, cette complicité entre le père et le fils, la simplicité de la vie....
RépondreSupprimerBonne semaine !
Bien d'accord avec toi Bonheur du Jour... j'adore cette écriture qui coule comme l'eau d'une rivière !!
SupprimerBientôt je vais aller voir l'exposition consacrée à Turner... on en reparle....
Douce semaine à toi.
Je t'embrasse.
Den
Et je pense à Pagnol, je passe vite mais je reviendrai déguster ce beau texte, merci Den voilà un auteur que j'aimerais lire... Je pense à mon père qui amenait à la chasse mes fils et sa chienne et qui cueillait le raisin, la noisette, la pêche de vigne , les champignons, mais qui respectait la nature et leur en a donné le gout...
RépondreSupprimerQuel bonheur...
Bisous Den, merci
Pagnol bien sûr, Giono aussi, nos maîtres provençaux ceux qui ont si bien sur parler de chez nous.... PAGNOL dit : "par ma seule façon d'écrire, je vais me dévoiler tout entier, et si je ne suis pas sincère - c'est à dire sans aucune pudeur - j'aurais perdu mon temps à gâcher du papier .... René Frégni a traduit de la belle manière son amour de la lumière bleue au-dessus des collines, le rapport sympathique entre les gens... il a su fort bien tisser les liens entre ses personnages, donner du sens au sens.. d'une écriture ciselée, belle comme notre ciel est bleu lumineux...
SupprimerEt quand les auteurs permettent à leurs lecteurs de se souvenir, de retrouver les senteurs, les sentiments, tout ce qui fut l'autrefois... ça c'est formidable...
bonne après-midi Marine.
Bisou.
Den
ceux qui ont si bien su parler de chez nous..... pardon Marine...
SupprimerNostalgie et mélancolie de ces hommes rudes et simples qui nous ont façonnés, le monde avait la saveur d'une tomate ou d'une pomme..C'est un bel extrait, merci!
RépondreSupprimerCeux qui nous ont permis d'être ce que nous sommes aujourd'hui...avec l'amour de la terre, de ce qui fait notre essentiel de vie... le goût des choses simples,
SupprimerMerci Anne de rajouter ton commentaire. J'apprécie beaucoup.
Je te souhaite un bon après-midi.
ici il faut déjà très chaud....
Bisou.
Den
Bonjour chère Den, je suis ravie de lire ce beau texte où chaque mot a son importance. C'est si bien écrit... Merci Den de ton beau billet touchant et de tes photos.
RépondreSupprimerJe te souhaite un très bel après-midi.
Gros bisous ♥
Une écriture offerte dans un écrin... ciselée comme un bijou peut l'être... Heureuse Denise que tu aimes cet auteur et........ mes images.
Supprimerbel après-midi en retour.
Bisou amical.
Den
Bonjour douce Den, quel beau billet qui nous va droit au coeur, tellement beau!!! Bise et bon mardi rayonnant!
RépondreSupprimerMerci Maria-Lina.... ces mots de ma Provence ont la chance de pouvoir voyager, ailleurs, loin et haut, jusqu'à chez toi ma chère Âmie ! et j'en suis ravie.
SupprimerDouce journée.
Bisou.
Den