Voici le dernier livre de Philippe Sollers, écrit jusqu’au bout d’une
main claire. Chaque phrase brûle : il médite sur sa mort, mais son cœur
s’élance avec une ivresse calme, avec drôlerie aussi, vers ce qu’il
appelle la Deuxième Vie : « Je n’ai pas été un bon saint lors de ma
première vie, mais j’en suis un très convenable dans ma Deuxième. »
Tout
Sollers est ici concentré dans la lumière dépouillée de trois heures du
matin : il parle de la médecine, de Dieu, de Venise, de ses passions
fixes, et même de Houellebecq ; il note inlassablement ses pensées, et
voici qu’elles glissent, apaisées, vers une dernière lueur qui brille
dans la nuit : « Si le néant est là, il est là, en train de voir le
monde éclairé par un soleil noir. »
Yannick Haenel
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NOTE SUR LE TEXTE
Philippe Sollers a dicté, relu et corrigé le manuscrit de son texte. Il n’a pas participé à la fabrication de ce livre, notamment à sa correction. Nous sommes restés fidèles à la dernière version qu’il a établie, même si on trouvera quelques marques d’oralité, d’hésitation, qu’il aurait peut-être corrigées.
Nous remercions Georgi Galabov et Sophie Zhang pour leur travail de saisie et de relecture du manuscrit.
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« Le passé m’encourage, le présent m’électrise, je crains peu l’avenir. »
SADE
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J’aime les insomnies de trois heures du matin, les plus dures, les plus inquiétantes, les plus éclairantes. C’est tout de suite, en sursaut, le choix entre la vie et la mort. Il faut vite saisir la vie, malgré ses brûlures, car la mort est trop longue et désespérément ennuyeuse. La mort est une condamnation éternelle à l’ennui.
On oublie que le vieux Dieu est mort d’ennui, à force de gérer l’incroyable bêtise de ses créatures humaines. Le nouveau Dieu n’a rien d’humain, et choisit ses croyants par révélation personnelle, en leur offrant, par là même, une Deuxième Vie. Ces révélations se font soit par illuminations soudaines, soit à travers des expériences multiples, dont la maladie. Le nouveau Dieu guérit, il prévient, il sauve, il est là quand on ne l’attend pas, inutile de l’appeler, il ne répond pas. Il peut surgir d’un rayon de soleil ou d’un léger coup de vent. Grâce à lui, je sais que ma Deuxième Vie fonctionne.
Le vieux Dieu a parlé d’une seconde mort, après un Jugement Dernier à tout casser, spécial hollywoodien, comme il sait le faire. Les morts, une fois ressuscités, sont jugés pour l’éternité. Les uns vont dans le feu, les autres dans une ville céleste. L’embêtant, c’est que la notion de Jugement s’est perdue dans le temps. Les Bons peuvent continuer à être Bons, les Méchants peuvent rester Méchants sans sanction. Cela indigne bruyamment les indignés de service.
Dans la Deuxième Vie, chaque jour est octroyé comme un jour de plus, ce qui change la couleur de chaque minute. Ce déséquilibre numérique correspond très bien au fonctionnement technique du Dieu nouveau, dont les pannes affolent l’humanité, puisqu’il implique des masses énormes sans jamais juger de leur provenance ou de leur valeur. Une panne mondiale d’électricité, même réparée en quelques heures, produit des dégâts considérables, comme un accident cérébral peut détruire en dix minutes un esprit supérieur.
C’est au début du XXIe siècle, en plein dérèglement général, qu’une institution aussi grandiose que vénérable, l’Église catholique, a vu des révélations accablantes sur son passé homosexuel millénaire et sur sa pédocriminalité endémique. Des milliers de cas ont été référencés, des confessions sans appel ont décrit cette activité mortifère. Au lieu du Salut promis, l’écœurante prédation subie.
J’ai toujours été protégé, par des femmes, des fausses femmes, j’ai leurs mains sur moi, je peux dormir tranquille. Elles sont plus vivantes depuis ma première mort, ce qui illumine ma Deuxième Vie.
En principe la Deuxième Vie doit condamner ou célébrer la première. L’ennuyeux, c’est que la balance générale est fausse et qu’avec elle une erreur pèse plus lourd qu’un succès. Elle égalise tout, c’est la mort démocratique elle-même. Malheur à celui ou à celle qui n’a pas célébré sa vie de son vivant. Il ou elle peut s’attendre à un concert de reproches qu’il, ou elle, se faisait plus ou moins consciemment en prenant du bon temps. La croyance comme quoi tout plaisir se paie est inculquée dès l’enfance, en contradiction complète avec l’instinct de gratuité qui anime un enfant éveillé.
En pleine explosion révolutionnaire française du XVIIIe siècle, le marquis de Sade fait dire à Juliette, son personnage criminel préféré : « Le passé m’encourage, le présent m’électrise, je crains peu l’avenir. » Le XXIe siècle entend une nouvelle Juliette postromantique répéter tous les jours : « Le passé me déprime, le présent m’accable, j’ai peur de l’avenir. » Si je publie un jour un roman intitulé La Deuxième Vie, j’inscrirais en exergue, contre toutes les évidences négatives de mon temps, la formule de la Juliette de Sade. Elle, au moins, fait longuement rêver, comme une provocation inouïe.
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Coucou Den,
RépondreSupprimerEn lisant cet article, je m'intéresse à ce livre, je vais voir si je peux me le commander quelque part, merci à toi d'en avoir parlé.
Gros bisous et bon weekend
Floralie
merci Floralie....BONNE SOIREE A TOI.
SupprimerBisous
Merci Den, cet article, ces extraits sont formidables; j'étais en Inde, j'ai beaucoup lu sur ma tablette, dont très gros que je n'ai pas encore fini. Après? On verra.
RépondreSupprimerPour ce que tu écris sur mon blog, je t'ai répondu. Mille pensées bienveillantes, car notre monde en a bien besoin, et là, je ne me force pas!
Parler de la mort ou d'une petite seconde vie, ce n'est pas facile, on a du mal souvent à s'en réjouir tout à fait, tout est paradoxe et peu de choses nous donnent le sourire !
RépondreSupprimerBises Den
Étonnant ce qui doit se passer dans notre inconscient dans les mois qui précèdent le départ final, les pensées se télescopent et nous offrent une sorte de feu d'artifice, quel cadeau ! Merci Den, douce semaine à toi. brigit
RépondreSupprimerMerci pour ces extraits, Den ! Et pour ton passage chez moi, voir les photos de fifille :-)
RépondreSupprimerLe dernier livre de Philippe Sollers. On ne comprend pas très bien ce qu'il entend par "La deuxième vie". J'ai trouvé une vidéo pour compléter ton billet : https://www.youtube.com/watch?v=YJKzMNxF8sc
Je t'embrasse.
Croire à une seconde vie j'aimerais mais je suis sceptique!
RépondreSupprimerFaire l'expérience de sa mort prochaine provoque en effet une prise de conscience. Et parfois un changement de vie radical. C'est comme ça que je vois cette "seconde vie". Les épreuves dramatiques que l'on traversent au cours de nos vies nous changent. Mais pas tous. Chez certains c'est un voile qui se déchire laissant apparaître une lumière crue qui d'un coup illumine tout. Une transformation s'effectue en profondeur. En moi la foudre fut très lente, la maturation pareille. Mais j'ai énormément changée ces vint dernières années. En bien j'espère ;) Bises Den
RépondreSupprimerJe n'ai jamais rien lu de Philippe Sollers.
RépondreSupprimerJe suis rentrée d'Inde il y a un mois, je suis encore un peu en décalage...J'ai beaucoup lu ces 3 semaines loin, je viens de finir le dernier de Delphine Horvilleur et j'attaque le dernier de Finkielkraut, pour quoi pas après celui de P. Sollers? Je lis un peu plus doucement ces livres profonds, j'aimerais m'en nourrir, pour cela, en mémoriser l'essentiel...Ton article est formidablement riche! Merci.
RépondreSupprimerMerci pour vos commentaires..
RépondreSupprimerje vous embrasse.