samedi 4 août 2018

* C'est ainsi que les hommes vivent.;

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Première page

1.
Flamboyante de lumière dans l'incandescence de l'été finissant, la baigneuse ne l'avait pas abandonné. Elle au moins ne s'était pas engloutie avec les autres dans l'étroitesse de la faille insondable.
Une image dont il était incapable de dire si elle était le véritable souvenir d'un réel moment ou au contraire la manifestation de quelque fantasme obsédant, une hallucination de sa mémoire amputée. Un fragment de songe détaché de ses entraves nocturnes.
A son réveil, désormais, le dernier de ses rêves stagnait au fond de ses yeux un moment avant de se dissoudre au vent qui rampe, comme une marque peu profonde inscrite dans le sable.
Longtemps ses rêves n'avaient laissé la moindre trace sur l'autre bord des yeux ouverts, au point de lui faire douter même qu'il en fît.
L'image lui revenait sans peine, sans effort, à la moindre sollicitation. Sans même qu'il l'appelle ni lui ouvre la porte.

2.
Voirement, avant que gratte le bec de la plume qui écrirait deux noms et une croix au bas de la feuille de papier de linge, ce subreptice échange de regards pendu dans le silence roussi à la flamme des chandelles fut la véritable signature, le lien avéré nouant la décision prise.
Demange Desmont laissa fuser un long soupir entre ses lèvres luisantes de vieil escornifleur, soulagé d'en avoir fini avec la discussion qu'il avait craint - à l'évidence - de devoir endurer au-delà de l'heure raisonnable du souper. Il essuya du dos de la main la salive qui lui moussait aux commissures et demanda à son hôte de mettre par écrit, donc, la dénonce, et devant l'air étonné du maître des lieux, justifia de la sorte son injonction :
- Tu es bien ici chez toi, non, honnête Colas ? Dans cette maison où tu nous as mandés et où nous sommes venus…
Sa voix lasse n'interrogeait pourtant pas, et tout soudain quelque fatalité rompue semblait lui empeser la lippe après qu'il se fut comporté en impitoyable ardeur à l'encontre de toute mansuétude et de tout faux pas dans la démarche très-chrétienne qu'ils se devaient d'accomplir selon la volonté de Dieu dont ils étaient, forcement, réunis là, le trucheman.
Ce "bon" Colas Collin à qui s'adressait le massif Desmont n'avait sans doute pas dit quatre mots, depuis l'arrivée nuitantré du mayeur et de son premier lieutenant ; pas quatre mots qui ne fussent tombés de la bouche de l'un ou l'autre de ses visiteurs et qu'il attrapait au vol de loin en loin et redisait en les accompagnant d'un vigoureux acquiescement. Lui aussi soupira. Son regard esquiva celui du mayeur, glissa sur la table en bordure des tremblements de la lumière diffusée par deux copions, s'arrêta sur le cornet de plomb qui contenait l'encre et sur la plume posée à côté et les deux feuilles de papier jaunâtre. Il releva les yeux sur Demange Desmont et Claude Gros Cœur qui lui faisaient face, coudes au plateau de bois, et qui attendaient ; Demange considéra un instant le dos de sa main souillé de salive et l'essuya du bout des doigts et passa négligemment ses doigts sur sa chemise tendue par le bourrelet tombant de sa panse au-dessus de la boucle de ceinture avant de reposer la main sur la table et de saisir son verre vide qu'il fit rouler dans un sens puis dans l'autre entre ses paumes.
- Allons, dit-il, désignant les feuilles d'un mouvement du menton.
Colas hocha la tête sans pour autant s'exécuter, comme s'il voulait d'abord et avant tout montrer qu'il n'était pas à la botte de l'officier de la Secrète. Il se leva, s'appuyant des mains à plat sur la table. Le banc repoussé racla bruyamment le sol de pierre. Colas fit trois pas jusqu'à l'âtre où palpitait la braise et où de minces flammes se tordaient sous le cul de la marmite pendue par l'anse à un crémaillon de fer que des années de feu avaient corrodé ; il se pencha dans la clarté du foyer qui lui fit tout le devant des gestes comme s'ils étaient cuits et jetait par-derrière des ombres en tous sens jusqu'aux pénombres tassées dans les angles de la pièce. Il prit la peûchotte de bois dans l'écuelle posée sur la pierre du bandeau, un torchon plié en tampon dans l'autre main pour saisir et soulever le couvercle de la marmite, et touilla le bouilli, sans hâte ; l'odeur du jambon au foin et des navets et du chou se répandit jusqu'aux deux autres assis à la table qui plissèrent des paupières en écartant les narines ; puis Colas choqua la cuillère contre le couvercle et referma la marmite et reposa le torchon et la cuillère sur le bandeau, il remit deux bûches noueuses au feu et regarda monter les étincelles de part et d'autre du ventre de la marmite en même temps qu'un tournoiement de fumée aspirée vers la nuit dans le conduit de la cheminée. Au dernier pîpion envolé, Colas revint à la table en se raclant la gorge comme s'il se préparait à parler et, tout en grattant un bout de cal qu'il avait à demi épluché sur sa paume pendant la discussion, il reprit place sur le banc.
- C'est bien bon à humer, dit le mayeur.
Colas Collin se racla la gorge et annonça sans le regarder :
- Ben alors, j'vas écrire, met'nant.
- C'est ça, dit Demange Desmont. Ça sera bien vite fait. Après on mangera.



Pierre Pelot
c'est ainsi que les hommes vivent

aux éditions des Presses de la cité.

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