jeudi 24 septembre 2020
Juliette Gréco"Jolie môme" (live officiel) | Archive INA
dimanche 20 septembre 2020
Une rose seule
Une rose seule, de Muriel Barbery, paru aux éditions Actes Sud le 19 août 2020
Extrait : "La musique des pins l’enveloppa comme
une liturgie, la noya dans les branches griffues, les torsions en pointe
d’aiguilles souples ; une atmosphère de cantique flottait, le monde
s’aiguisait, elle perdait la notion du temps. La pluie reprit, fine et
régulière, elle ouvrit son parapluie transparent – quelque part en
lisière de sa vision, quelque chose s’agita. Ils passèrent le porche, il
y eut un autre coude vers la droite puis, devant eux, une allée.
Longue, étroite, bordée de buissons de camélias et de rampes de bambous
par-dessus une mousse argentine, cernée, à l’arrière, de hauts bambous
gris, surplombée d’un arceau d’érables, elle menait à un portail à toit
de chaume et de mousse où on avait planté des iris et où s’alanguissait
la dentelle des feuilles. C’était, en réalité, plus qu’une allée ; un
voyage, se dit Rose ; une voie vers la fin ou vers le commencement."
samedi 19 septembre 2020
jeudi 17 septembre 2020
*Nous vivons une période nouvelle

Le sentiment de l’âge
Le Livre contre la mort
L’âge est un sentiment et non une réalité. Cela peut se passer un beau jour au réveil, ou quand une fatigue inexpliquée vous submerge, ou au détour d’une rue lorsque vous voyez par inadvertance dans le reflet d’une devanture votre silhouette, plus voûtée que vous ne l’imaginiez. Cela peut aussi vous être infligé par autrui. Les enfants sont les rois de la cruauté en ce domaine et vous relèguent sans aucune culpabilité dans le camp des has been. Il y a aussi les jeunes gens bien élevés qui, pensant faire leur devoir de civilité, vous expédient sans coup férir dans le camp des faibles qu’il faut protéger. Ainsi de ce jeune homme dans ce bus bondé qui m’a laissé sa place, ce qui a détruit pour la journée mon humeur primesautière. A contrario, je n’ai aucune envie d’oublier cette matinée où, marchant dans la rue et longeant un chantier, des ouvriers m’ont sifflée joyeusement. Il est vrai qu’ils me voyaient de dos et que je ne me suis pas retournée, n’empêche que je me suis sentie bêtement ragaillardie jusqu’à la fin du jour.
Jean-Luc Godard, dans Adieu au langage, journal de bord d’un homme à qui le réel échappe de plus en plus, ode à la liberté que donne l’âge de saborder toutes les convenances, poème rageur contre tout type de renoncement, cri d’amour pour la peinture, largue les amarres et invente, justement, un nouveau langage avec, comme viatique, cette phrase de Claude Monet au moment où il devient aveugle, lors de l’exécution de ses Nymphéas : « Ne pas peindre ce qu’on voit, puisqu’on ne voit rien, mais peindre ce qu’on ne voit pas. »
Ce n’est pas le nombre d’années qui nous définit. Ce n’est pas l’état civil qui fabrique notre identité. Ce n’est pas l’expérience ni le souvenir de ce qu’on a vécu et emmagasiné qui construit notre rapport au monde. On a beau – quand on l’est – se savoir vieux, on ne l’éprouve pas pour autant. En tout cas pas en permanence. Jeunes, nous pouvions nous sentir vieux. Et vieux, de temps en temps, nous sentir jeunes, très jeunes. Le fait d’être vieux – car c’est une réalité objective que personne ne peut contester – ne se confond pas avec la perception que nous en avons. C’est en ce sens qu’il existe pour moi ce que je nomme le sentiment de l’âge. Chacun d’entre nous ne se réduit pas à l’âge qu’il a. Nous pouvons d’ailleurs, dans une même journée, avoir plusieurs âges. Dans notre for intérieur, même si la société nous adresse sans arrêt des signaux d’alerte nous assignant à notre âge, nous pouvons nous en échapper et, le plus généralement, nous le faisons pour vivre ce que le présent nous propose.
Thérèse Clerc, l’inventeuse de la maison des femmes de Montreuil puis de celle des babayagas, maison de retraite pour femmes âgées basée sur la solidarité, l’écologie, l’autogestion, créatrice de l’université de tous les savoirs sur la vieillesse, n’a commencé à naître à sa « vraie » vie que lorsqu’elle a atteint son âge mûr. Elle s’est débarrassée de ce que lui imposait la société : vie conjugale, apparences sociales, stéréotypes de comportement, a vécu ouvertement son homosexualité, est devenue ardemment féministe et, lors de la maladie de sa mère, a décidé de rendre sa vieillesse heureuse. Elle me confiait, au moment de commencer mon enquête en 2014, deux ans avant sa disparition : « Nous, les vieilles, nous sommes l’avant-garde éclairée. Le vieux monde est derrière nous et nous courons au-devant du nouveau monde. On court avec nos vieilles pattes, elles sont moins rapides, elles sont moins rapides mais elles sont efficaces et l’essentiel est que la tête reste efficace. Il faut créer, inventer, sortir des choses convenues, des idées toutes faites. Moi je trouve que ma vie est absolument passionnante parce qu’à mon âge je suis comme une vieille pouliche échappée et je galope à travers des prés que nous n’avons pas encore défraîchis. Les hommes ont plus tendance à s’agripper au passé, un passé qui leur semble prestigieux mais qui me paraît, moi, tomber en guenilles. Nous, les femmes, nous sommes les semeuses du futur, nous sommes là pour faire advenir une autre société. »
samedi 12 septembre 2020
jeudi 10 septembre 2020
mercredi 2 septembre 2020
*Des rêves à tenir

Merci aux Partisans de la Langouste,
à Jeannette et à Louise Michel.
I
Alors que la nuit tombe tout à fait, il se dirige jusqu’à une ruelle obscure, parallèle au front de mer. Il y a là une petite maison de pêcheur parmi d’autres, à croupetons, fermée depuis des lustres. Tout le monde la connaît comme « la cabane », ou « chez Armel ». Armel, pourtant, a disparu il y a des années. Il faut croire que quelque chose de lui a subsisté ici. On raconte qu’il avait dit, un soir, que quelque chose se passait au nord et qu’il voulait en être. Au matin, il n’était plus au mouillage. On ne l’avait plus revu. Peu de temps après, Job était parti lui aussi, sans qu’on sache vraiment si c’était au même endroit.
C’était très étrange, presque gênant. Lentement, nos gestes à nous aussi s’étaient suspendus d’eux-mêmes ; on avait dû sentir quelque chose. Gwen seule, qu’il ne quittait pas des yeux, lui avait rendu son « bonsoir », et il avait répété « bonsoir » – un bonsoir rien qu’à elle cette fois, comme s’il ne se rappelait même pas qu’il venait de saluer tout le monde.
Jeff, derrière son comptoir, avait juste dit : « Alors, te voilà revenu. » Job était resté là, silencieux et immobile ; son regard était comme resté accroché du côté de Gwen, je ne savais pas s’il la regardait vraiment ou s’il s’était perdu plus loin. Jeff avait répété : « Alors, te voilà revenu » ; et Job, cette fois, avait répondu « Tu vois » en faisant un pas, puis un autre. Au troisième, Jeff était sorti de sa tanière de bouteilles et ils s’étaient serrés dans les bras l’un de l’autre, longuement, avec chaleur. Le patron avait dit : « Comme dans le temps ? » et sans attendre la réponse, il avait servi un verre de Paddy, qu’il avait fait chauffer fort avec le robinet de vapeur du percolateur. Un Paddy chaud ! C’était bien la première fois que je voyais quelqu’un commander un truc pareil. On s’en souvient, d’un breuvage comme celui-là ; normal qu’un patron de bar n’ait pas oublié. L’homme avait pris le verre, remercié d’un signe de tête et s’était installé à la table près de la fenêtre. Dehors, la nuit fouettait la vitre.
Nicolas Deleau
Des rêves à tenir
chez Grasset
DU MÊME AUTEUR
Biographie
En 2012, Nicolas Deleau publie son premier roman".