J'ai................
J'ai
La mêle-ancolie
Migrant
Sur la route errante de ton ex-île
Ton pays déserté
Ton lien uni à ta mère utérine
Toujours présente avec son sourire ténébreux
A ta mer, ta culture
Tu fuis en flux d'exode en grand repli
Sur un pont sus-pendu
Sur un pont sus-pendu
Et cherches cet ailleurs chimérique
Ces espaces ces îlots que tu sillonnes
Ces chemins entrevus
Ce miroir éteint-scellant
Pour un château de sable emporté par le remous vague.
Passeras-tu l'autre rive, l'autre côté ?
Etranger retenu
Sans domicile fixe
Abandonné
Tu accostes pieds nus au bout
Tu émigres en foule
Groupé pèle-mêle sur les planches le visage serré,
Douloureux, angoissé.
Douloureux, angoissé.
Ta route est opaque, tu croupis dans la fange,
Embarqué, débarqué, maltraité
Dans la cohue les nuées
Traversée houleuse, tu baignes au creux de la tempête
Tu traces ton chemin en horde humaine
Reconforté si peu ou prou.
Quel sera ce chemin ?
Toi Frère des Hommes en route vers ton destin.
Passeras-tu loin dans le noir brûlé du soleil.
Je pleure avec toi.
De rive en rêve
Ami, souviens-toi.
Tant de temps pour parler quand la mer brûle.
Tu découvres en maux l'île perdue devenue ossuaire
Tu souris et tu deviens les flots.
Que ta route soit ouverte.
Ta solitude est un brin d'après et se construit.
"Il n'y a que l'Histoire des Grands qui s'écrit,
Nous on n'existe pas".
Tu te lies avec les autres.
Tu te dis et tu t'écris.
Tu parles d'un passage, d'un trajet, d'un cheminement, d'une initiation.
Tu t'accroches émigrant en trans-portant ta vie ton corps ton coeur.
Et tes yeux regardent de l'autre côté de la mer, de la mère...
de la terre,
Plus loin, plus haut...
Au gré des nuages.
de la terre,
Plus loin, plus haut...
Au gré des nuages.
Pourquoi rompre quand on est attaché si fort ?
Saurons-nous jamais comprendre le sens de ce voyage, de ce franchissement,
Même si l' angle de vue s'est élargi sur les rides de nos yeux.
Entre deux mers.
Entre deux mers.
Den
(billet du 25 juillet 2016)
"Catane s'éloignait
Dans sa barque silencieuse, il se sentait à la dimension du ciel.
Il était une infime partie de l'immensité qui l'entourait, mais une partie vivante.
Il avait peur, bien sûr, mais d'une peur qui lui fouettait les sangs.
Il partait là-bas, dans ce pays d'où ils venaient tous.
Il allait faire comme eux : passer des frontières de nuit, aller voir
comment les hommes vivent ailleurs, trouver du travail, gagner de quoi
survivre.
Il avait mis le cap sur la Libye. Il ne savait pas ce qu'il ferait une fois là-bas.
Il n'avait plus aucun plan. L'instant imposerait son rythme.
Il resterait peut-être sur les côtes libyennes pour travailler ou plongerait plus avant dans le continent africain.
Cela n'avait pas d'importance. Pour l'heure, il laissait sa barque fendre la mer.
Plus tard dans la nuit, il aperçut une masse énorme à l'horizon.
C'était l'île de Lampedusa. Il ne voulut pas s'y arrêter.
La silhouette noire de l'île lui fit l'effet d'une dernière bouée de port avant la haute mer.
Le rocher qu'ils rêvaient tous d'atteindre, le rocher qu'il avait si
longtemps gardé comme un cerbère fidèle lui sembla un caillou laid qu'il
fallait abandonner derrière soi au plus vite.
"Je suis nu, pensa-t-il. Comme seul un homme sans identité peut l'être"
La nuit l'entourait avec douceur. Les vagues berçaient son embarcation avec des attentions de mère.
Lampedusa disparaissait. Il repensa à ce qu'avait dit l'inconnu au
cimetière : "l'herbe sera grasse et les arbres chargés de fruits... Tout
sera doux là-bas. Et la vie passera comme une caresse". L'Eldorado.
Il ne pensait plus qu'à cela. Il savait bien qu'il allait à contre-courant du fleuve des émigrants.
Qu'il allait au-devant de pays où la terre se craquelle de faim. Mais
il y avait l'Eldorado tout de même, et il ne pouvait s'empêcher s'y
rêver. La vie qui l'attendait ne lui offrirait ni or ni prospérité. Il
le savait. Ce n'est pas cela qu'il cherchait. Il voulait autre chose. Il
voulait que ses yeux brillent de cet éclat de volonté qu'il avait
souvent lu avec envie dans le regard de ceux qu'il interceptait.
L'air, déjà, était plus vif autour de lui. Les instants plus intenses.
Il allait devoir penser à nouveau, élaborer des plans, se battre. Il ne
pouvait compter que sur ses propres forces. Comment fait-on pour obtenir
ce que l'on veut lorsque l'on n'a rien ? De quelle force et de quelle
obstination faut-il être ?
Tout serait dur et éprouvant, mais il ne tremblait pas. Le froid déjà
l'entourait. L'humidité rendait sa peau collante mais il avait le
sentiment de vivre. La mer était vaste. Il disparaissait dans le monde.
Il allait être, à son tour, une de ces silhouettes qui n'ont ni nom ni
histoire, dont personne ne sait rien - ni d'où elles viennent ni ce qui
les anime. Il allait se fondre dans la vaste foule de ceux qui marchent,
avec rage, vers d'autres terres. Ailleurs. Toujours ailleurs. Il
pensait à ces heures d'efforts qui l'attendaient, à ces combats qu'il
faudrait mener pour atteindre ce qu'il voulait.
Il était en route. Et il avait décidé d'aller jusqu'au bout. Il n'était plus personne.
Il se sentait heureux.
Comme il était doux de n'être rien.
Rien d'autre qu'un homme de plus, un pauvre homme de plus sur la route de l'Eldorado".
Laurent Gaudé
Eldorado
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Coucou. Ton texte est puissant et celui de Gaudé également (j'aime beaucoup cet auteur). Nous avons de la chance de vivre ici et maintenant et de ne pas avoir à monter dans une barque pour fuir vers un Ailleurs qui ne nous accueillera qu'avec réticence, bien souvent. Quel triste destin que ces migrants sur les route et sur les mers du monde. Bises alpines.
RépondreSupprimerBeau texte, ainsi que celui de Laurent Gaudé.
RépondreSupprimerJuste dire que nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde et surtout que cet Eldorado n'en est pas un! Je suis née en Afrique. Lorsque je vois un africain sous nos ciels gris, je plains son soleil disparu! L'Afrique est à reconstruire, mais elle a un formidable potentiel, humain déjà, créatif.......Malheureusement ceux qui sont arrivés sur notre sol n'ont pas le courage de dire à quel point la vie ici est dure et triste, le rêve ne s'effondre pas.........Je dis ce que je pense et ressens, pardon sans doute, mais les mythes ont la vie dure, il faut souvent, mot à la mode, les "déconstruire".......
Le migrant cherche l'espace pour un monde meilleur, l'eldorado tout d'or vêtu, où l'herbe sera grasse.
SupprimerA-t-il le choix d'abandonner corps et âme, ses racines, pour une terre féroce qu'il pense hospitalière, un paradis ?
L'exode, la fuite vers l'inconnu, entre deux mers qu'il affronte... pour un nouveau rivage mythique de l'extrême résonne sans les ors.
Le migrant espère un autre ciel qui pourtant porte la honte et la fraternité mêlées.
...Et les mots obscurs et clairs à la fois sont là pour raconter l'indifférence des peuples, du temps pour ne pas oublier le sacré de l'esprit.
Se pencher encore et encore sur les hommes, dire leur histoire avant qu'ils ne disparaissent noyés.
Migrant courageux qui ose, s'abîmera vers le sombre et le mystérieux injustes, tombera dans les abysses oubliés.
Laurent Gaudé, tendre et fervent, pudique également, "veut une poésie du monde, qui voyage, prenne des trains, des avions, plonge dans des villes chaudes, des labyrinthes de ruelles. Une poésie moite et serrée comme la vie de l'immense majorité des hommes" (de sang et de lumière).
A hauteur d'homme il écrit, humaniste moderne qui voit dans les yeux et connaît la chute, en restant debout.
Les mots humbles et vivants ainsi déposés sur la page, sur ce que nous vivons, donnent d'autres tons à nos vies lentes, et nous sauvent de l'insignifiance et du vacarme ; parfois ils renoncent ne sachant que dire, qu'écrire. Ils n'en peuvent plus les mots, en souffrance tragique, comme des peuples nés du mauvais côté de la planète.
Ils cherchent la contrée fabuleuse de l'Amérique... ils cherchent l'eau, creusent la terre trop sèche, trop rude pour un petit bol d'infini dans un pays chimérique où tout abonde.
Mais non.
Les nuits succèdent aux jours noircis, harassés d'incertitude d'ignorance, de souffrance silencieuse, encombrante.
Sujet toujours brûlant, actuel, tel un conte moderne à l'oeil sec "dans un impérieux besoin de désirer".
Nos vies sont alanguies.
Lui a quitté le tombeau de ses ancêtres et le nom noble qui rend sa famille honorable, il a quitté ses proches, son pays pour un autre pays, un rêve de liberté qui réchauffe, qu'il ignore, qui l'ignore.
Il a laissé son passé qui demeure là en lui tapi sur la route.
Il est parti dans l'immensité du monde, perdu, sans nom sans identité, nu, sans histoire.
Bien sûr Anne nous "ne pouvons accueillir toutes la misère du monde".... mais le migrant est un autre moi..... que rajouter de plus à cette autre humanité....
"déconstruire" pour rendre semblable à .... par la suppression de .....
"Pourquoi ne pas déconstruire les pyramides d’Égypte, tant qu’on y est ? — (Amélie Nothomb, Une forme de vie, Éditions Albin Michel, Paris, 2010, p. 158)" diras-tu ?
Simplement il souhaite que ses yeux brillent de cet éclat de volonté qu'il a souvent lu avec envie dans le regard de ses congénères, ses frères.
Merci Dédé pour tes mots pour ceux qui fuient pour un ailleurs pas toujours accueillant.
"Il se sentait heureux.
Comme il était doux de n'être rien.
Rien d'autre qu'un homme de plus, un pauvre homme de plus sur la route de l'Eldorado".
Merci à toi aussi Anne pour ta prose qui rajoute du sens au sens.
Bonne fin d'après-midi automnale.
Je vous embrasse.
Un phénomène bien attristant que celui de l'émigration. En 2008 j'avais écrit ce poème:
RépondreSupprimerIls n’ont plus rien
Seulement leur désespoir.
Poussés par le souffle du vent
C’est pour eux le grand soir.
Ils ont quitté leur terre natale
Pour partir à la quête du graal.
Pieds nus, avec pour seul bagage
Leur âme, ils laissent leur village
Pour se confier aux voiles
D’un vieux rafiot vermoulu.
Grelotant sous les étoiles
Ce sont les clandestins
Les moins que rien, les malvenus
Qui sont prêts à tout abandonner
Pour un eldorado d’illusion.
Voyage chaloupé, sur la mer démontée,
Ils partent pour une autre prison.
Des passeurs sans scrupules et violents
Leur ouvrent les portes du néant.
Vogue, vogue, petit bateau
L’humanité court au fiasco.
Soufflez, soufflez les alizées
Un jour viendra le temps de l’égalité.
Un pied posé sur le sable fin
Voici venu le monde tant désiré.
Il ne vous tend pas la main
Si seulement vous le saviez !
Ces manifestations malheureusement ne vont que perdurer dans le temps... les migrants quittent tout pour un ailleurs chimérique... Un eldorado mythique pour serait fabuleux. Serait.
RépondreSupprimermerci Daniel pour cet écrit qui me parle.
Bonne soirée.
Ton texte est d’une sensibilité qui ne peut faire autrement que de nous toucher avec cette réalité qu’on ne connaît presque pas ici.
RépondreSupprimerMerci beaucoup Robert.
SupprimerHeureux dimanche à toi.
Un texte qui me touche beaucoup...
RépondreSupprimerJe te laisse en partage des mots De Fatou Diomé
"Un pas après l’autre, c’est toujours le même geste effectué par tous les humains, sur toute la planète.
Pourtant, je sais que ma marche occidentale n’a rien à voir avec celle qui me faisait découvrir les ruelles, les plages, les sentiers et les champs de ma terre natale.
Partout, on marche, mais jamais vers le même horizon "
"Evoquer mon manque de France sur ma terre natale serait considéré comme une trahison, je devais porter cette mélancolie comme on porte un enfant illégitime, en silence et en contrition. Enracinée partout, exilée out le temps, je suis chez moi là où l’Afrique et l’Europe perdent leur orgueil et se contentent de s’additionner sur une page, pleine de l’alliage qu’elles m’ont légué. "
Merci Marie. Je savais que ce texte te toucherait.
RépondreSupprimerJe découvre les mots formidables de Fatou Diomé. J'ai lu rapidement sa biographie, et je reconnais qu'elle vient de loin, jusqu'à des études universitaires, puis écrivaine devenue...
L'immigration elle en parle, et se retrouve en grande difficulté, abandonnée à sa condition d'étrangère sur le territoire français après son divorce, et le rejet de la famille de son mari.
"Elle s'insurge contre les intolérants, elle défend le rôle de l’école et les valeurs républicaines"..
Beau week-end à toi.