L'air est calme. Pas un souffle de vent, si bien que les grands arbres qui se reflètent dans l'eau du lac ont des contours plus définis à la surface de l'eau que dans l'air. René rame vigoureusement. Il espère impressionner Kristina par la souplesse de ses articulations, la force de ses bras, la longueur de son souffle. S'il le faut, il mènera cette barque jusqu'à la rive opposée sans marquer de pause, sans reprendre haleine.
Ce qu'il respire, n'est pas de l'oxygène, c'est de la beauté. La beauté du lac, de la forêt autour, de l'or menu des feuilles se détachant sur le plomb des nuages ourlés d'argent.
La beauté de Kristina dans le combat que la jeune femme livre au panorama et que, levant de quelques centimètres le menton pour étirer son cou, elle remporte soudain, dans la même surprise cocasse que dans le knock-out infligé par un boxeur. René perd le rythme, engourdi, terrassé par le pouvoir de Kristina, qui penche encore un peu la tête vers l'arrière. Les poignets de René tremblent, le bois des rames dans ses mains devient liquide. Il imagine les seins de Kristina, entraînés par l'étirement, glisser hors du corset sous la combinaison, puis sous le taffetas, de son corsage pour atteindre les clavicules, le téton se durcissant au contact de l'étoffe de soie serrée et crissante. Sans le vouloir, il avance vers elle qui se penche encore, comme si elle tombait très lentement vers un sommeil heureux, car ses lèvres s'entrouvrent sur un sourire qui découvre ses ravissantes dents nacrées presque transparentes, semblables à celles d'un bébé. Les épaules de Kristina viennent toucher le bord de l'embarcation. D'un geste somnambulique, elle tire l'épingle en corne qui nouait son chignon.
Sa chevelure, libérée, se déploie, hirsute, volcanique, et un instant, elle a l'air idiot d'un diablotin. Sous les boucles auburn, la crinière ploie et plonge enfin dans l'eau. René observe, il réfléchit. Le lac gèlera bientôt. La surface se crispera dès le crépuscule, une soie qui se gaufre. Les cheveux de sa bien-aimée resteront prisonniers de la glace. "C'est le dernier beau jour avant l'hiver" lui a confié le gardien du domaine qui, par chance est anglais, comme tout le personnel de la maison Matthisen. En prononçant le mot "winter", cet homme à la mine pourtant hardie, aux longues, longues jambes faites pour engloutir les kilomètres, au torse court et large, à la grosse tête rouge ornée de sourcils libres et fournis comme des algues, a froncé le nez en une grimace douloureuse. "L'hiver ici est sombre, a-t-il ajouté, comme en Ecosse. Moi, je suis originaire de Bournemouth. On a le soleil toute l'année". René n'a pas été convaincu par les talents météorologiques du gardien. "J'arrive d'Afrique", lui a-t-il répondu. "Mouais, a fait l'autre. C'est sec par là-bas".
Ce qu'il respire, n'est pas de l'oxygène, c'est de la beauté. La beauté du lac, de la forêt autour, de l'or menu des feuilles se détachant sur le plomb des nuages ourlés d'argent.
La beauté de Kristina dans le combat que la jeune femme livre au panorama et que, levant de quelques centimètres le menton pour étirer son cou, elle remporte soudain, dans la même surprise cocasse que dans le knock-out infligé par un boxeur. René perd le rythme, engourdi, terrassé par le pouvoir de Kristina, qui penche encore un peu la tête vers l'arrière. Les poignets de René tremblent, le bois des rames dans ses mains devient liquide. Il imagine les seins de Kristina, entraînés par l'étirement, glisser hors du corset sous la combinaison, puis sous le taffetas, de son corsage pour atteindre les clavicules, le téton se durcissant au contact de l'étoffe de soie serrée et crissante. Sans le vouloir, il avance vers elle qui se penche encore, comme si elle tombait très lentement vers un sommeil heureux, car ses lèvres s'entrouvrent sur un sourire qui découvre ses ravissantes dents nacrées presque transparentes, semblables à celles d'un bébé. Les épaules de Kristina viennent toucher le bord de l'embarcation. D'un geste somnambulique, elle tire l'épingle en corne qui nouait son chignon.
Sa chevelure, libérée, se déploie, hirsute, volcanique, et un instant, elle a l'air idiot d'un diablotin. Sous les boucles auburn, la crinière ploie et plonge enfin dans l'eau. René observe, il réfléchit. Le lac gèlera bientôt. La surface se crispera dès le crépuscule, une soie qui se gaufre. Les cheveux de sa bien-aimée resteront prisonniers de la glace. "C'est le dernier beau jour avant l'hiver" lui a confié le gardien du domaine qui, par chance est anglais, comme tout le personnel de la maison Matthisen. En prononçant le mot "winter", cet homme à la mine pourtant hardie, aux longues, longues jambes faites pour engloutir les kilomètres, au torse court et large, à la grosse tête rouge ornée de sourcils libres et fournis comme des algues, a froncé le nez en une grimace douloureuse. "L'hiver ici est sombre, a-t-il ajouté, comme en Ecosse. Moi, je suis originaire de Bournemouth. On a le soleil toute l'année". René n'a pas été convaincu par les talents météorologiques du gardien. "J'arrive d'Afrique", lui a-t-il répondu. "Mouais, a fait l'autre. C'est sec par là-bas".
René lève les yeux vers le ciel pour espionner la course du soleil entre deux nuages. Le zénith est à peine passé. Il n'y a pas lieu de s'affoler. Le jeune homme tient à sa contenance, il veut faire preuve de sang-froid. Militaire de père en fils. Et son propre fils après lui. ... Ah le fils que lui donnera Kristina, comme il sera grand, comme il sera beau. Il aura le cuivre foncé de ses cheveux à elle, et ce teint étonnant, presque méditerranéen, un teint de poterie ancienne, il aura aussi ses mains élégantes et déliées, aux jolis ongles bombés. Il ressemblera à sa mère, bien sûr. Pas le museau de son père, ni ses courts battoirs aux doigts raides,. Mais pour cela, il faudra qu'elle l'aime. M'aimera-t-elle ? se demande René redoublant son effort....
Agnès Desarthe
Ce coeur changeant
Tellement beau, ton billet est magnifique!!! Bise et bon mardi tout doux!
RépondreSupprimer... Beau ce coeur changeant.... merci Maria-Lina.... je t'embrasse, avec beaucoup de retard..
SupprimerDouce soirée à toi.
Den
Bonjour Den ! De jolies photos ... ces barques j'aime ! Bien entendu que Kristina va l'aimer !!! Bon mardi ici ensoleillé entre les nuages ! Bisous !
RépondreSupprimerMerci Nicole...avec beaucoup de retard pour te répondre...
Supprimermais le coeur y est...
Bisou.
Den