"Le rêve est de la pensée qui a bu,
et qui est partie dans la nuit"
(papa, 16 ans,
Lycée Louis-le-Grand
Classe de Philosophie)
*****
Nous passions les vacances à l'Aber-Ildut, trois mois d'éternité dans une grande maison blanche reliée à l'océan par un majestueux escalier de granit jeté entre grève et jardin.
J'étais assis sur le quatrième degré, flexos blancs aux pieds, mon voilier sans voilure sur les genoux, quand papa derrière moi, respirant fort.
- qu'est-ce que tu fais là ?
- moi ?
Qu'est-ce que je fais là. Moi rien. Moi je ne fais rien. Moi rêvasse. Moi suis là, c'est tout. Moi regarde monter la mer. Moi content. Et moi content quand elle redescend. Si je réponds à papa : "moi content", il m'en cuira.
Dès qu'il m'aperçoit, il estime que ma place est ailleurs. Normal, je me suis trompé de famille.
- viens, nous allons nous baigner à Mazout. Moi, me baigner avec papa. Moi seul avec papa dans la mer.
A Mazout.
Moi.
Papa.
Je sais nager depuis hier. Je n'ai plus besoin de maman pour me tenir par l'élastique de mon maillot de bain. Papa ne m'a encore jamais vu nager. Je vais l'épater.
Papa, chemise blanche, pantalon blanc, sa tenue d'espion anglais, dit maman, me prend sur ses épaules et je respire à pleins poumons l'odeur de sa chevelure aussi délectable que le vent marin sur la dune.
Quand m'a-t-il déjà perché en haut du mètre quatre-vingt-trois, sa nuque entre mes cuisses ? Aucun souvenir.
Kodak, s'il vous plait.
- tu es trop lourd, descends.
Nous y allons à pied sous le crachin à Mazout, une grève à trois kilomètres de là. Mazout, quel nom !
Je n'ai jamais su pourquoi une portion du littoral entre Garch'in et Penfoul - deux toponymes bien frappés en brézhouneg..
- s'appelait Mazout. S'il s'agit d'un nom breton, c'est raté. S'il s'agit d'un nom français, il a tort de s'intéresser au cargot poubelle venu dégazer un jour dans les parages.
Je suis fier. Je marche avec papa. Il me donne la main. Je suis le fils d'un marcheur qui n'a pas le permis, pas d'auto, et qui fera tôt ou tard un grand feu de toutes les Peugeot, Simca, Ford, Hotchkiss de mes oncles et tantes, et aussi les Dyna Panhard, dès qu'il aura une minute à lui pour se procurer un bidon d'essence.
Il marche vite, je dois trottiner pour le suivre.
Le premier kilomètre, ça va. Nous arrivons à Porzmeur et je commence à fatiguer, un peu seul et perdu sur ses talons. Il m'a lâché la main. Que se passerait-il si je tombais d'épuisement ?
Est-ce qu'il irait se baigner sans moi ?
De temps en temps, il se retourne et dit : "qu'est-ce que tu fabriques ? A ton âge, j'y allais au pas de course, à Mazout".
C'est exactement ce que je suis en train de faire, non ?
Il ne sait même pas l'âge que j'ai, quel jour je suis né. Moi je sais qu'il a quarante-sept ans, et qu'il est du 13 janvier 1910.
Au 12, je dis qu'il en a trente-sept. Et l'an prochain je dirai qu'il en a trente-sept. Trente-sept est un âge qui lui va bien. C'est vieux, mais ça va. Je ne veux pas qu'il soit mort. L'autre jour, j'ai vu une chouette inanimée sur des pétales de camélia dans le jardin. J'ai imaginé papa gisant les yeux fermés sur des pétales de camélia. J'ai passé la nuit à pleurer, à me lever pour m'assurer qu'il ronflait.
Je n'en peux plus. Nous arrivons à la grève par le sentier du douanier. Il pleut serré, la mer n'est pas belle à voir, toute grise, avec les moustaches d'un courant sinistre rebiquant au loin sur une balise de fer noir qui mugit ses promesses de mort. Papa disparaît derrière un rocher, reparaît en maillot de bain bleu foncé - j'ai mon slip de bain sur moi, je me déshabille et le vent d'ouest s'abat sur mes épaules de freluquet.
Papa marche vers l'eau. Il cherche le bon endroit pour entrer dans la mer, une éclaircie de sable au milieu des goémons. Il y va les bras en croix, il ne ralentit pas, il nage en direction d'une barque noire à chiffres blancs.
Personne, aucun bruit, si ce n'est le froissement des nappes de guémons soulevées par la respiration du ressac. Si ce n'est le souffle court de la bouée qui pleure les bateaux disloqués sur les récifs.
Je fais trois pas dans la mer, j'ai mal, je grelotte. Encore trois pas sur les galets glissants, l'eau m'arrive aux tibias, au nombril, au sternum. Je m'arrête, le froid m'aveugle. Je sais nager, je sais nager, depuis hier. Je sais nager, je peux nager, je veux que papa me voie nager, je veux nager jusqu'à la barque noire où il m'attend suspendu à la chaîne d'ancre, j'en ai les larmes aux yeux. Eh bien tant pis, il me verra une autre fois, je reviens sur mes pas, je sors de l'eau. Je m'assieds frissonnant sur les galets en contrebas des bruyères, écoutant chantonner les minuscules vaguelettes de la baie, seuls témoins.
Papa fond sur moi, ruisselant, soufflant, furieux, sa mèche blonde collée en travers du front
- plonge-toi !
- j'ai froid.
- si tu ne te plonges pas, tu ne seras jamais qu'un raté !
J'y vais, je nage enfin, je brave l'eau, je compte mes brasses avec soin. J'arrive à 10, 12... Est-ce qu'il me regarde au moins ? Je perds pied. "J'ai perdu pied, papa, regarde !"
Tu parles ! Il est remonté sur la grève, il m'a oublié. Il fait ses moulinets de gymnaste suédois, sautille sur place en levant haut les genoux, en expirant avec bruit, ouvre grand les bras au dieu océan épars sur la houle.
Je sors à mon tour, je fais comme lui, les bras, les jambes, la respiration, je pianote en l'air, cherchant à saisir au vol les gouttelettes du crachin. Je suis un Henri Queffélec miniature, prêt à lui voler son mètre quatre-vingt-trois comme j'ai déjà volé son stylo, ses chaussettes, à parler des langues disparues, à jouer du piano, toujours en quête du pas suivant, du mot suivant, avec des personnages à mes trousses. Tu peux tempêter, papa, me brûler au feu de tes yeux bleus, un jour je deviendrai toi : toi et personne d'autre, et surtout pas moi.
Nous nous rhabillons. Nos deux maillots détrempés sont roulés ensemble dans la serviette éponge à tordre.
- Depuis quand sais-tu nager ?
- Depuis longtemps.
- C'est maman qui t'a appris ?
- J'ai appris tout seul.
Retour par la route goudronnée, cette fois, un raccourci. Papa vole devant mes pas exténués. Il chantonne un tube à lui qui mériterait des tomates : A la vanille pour les petites filles, un citron pour les garçons, un chocolat pour les gentils papas. Les gentils papas, c'est ça ! Et les mamans alors ? A quoi les mamans ? Il se retourne et dit : "tu entends la corne de brume ? Le chenal du Tour, p'tit vieux"... L'ancien prof se met à dégoiser un couplet à rallonges sur le chenal le plus avancé d'Europe, une voie maritime empruntée par les vaisseaux de guerre anglais, français, après que François 1er eut choisi la rade de Brest pour havre royal de la flotte, blabla... militaire - blablabla.. royaume..
Il pleut serré, venteux. Papa dit qu'il va nous falloir continuer au pas de gymnastique, c'est-à-dire en courant (ne comptez pas sur lui pour dire footing). "il reste deux kilomètres à peine, tu risques d'attraper mal". Il démarre au petit trot et j'ai l'impression de m'essouffler en vain derrière une girafe. Je galope à cracher mes poumons pour maintenir l'intervalle entre nous, je n'y arrive pas, j'ai envie de pleurer. J'enlève mes flexos, la route est tiède.
Arrivé à l'Aber, pas plus éprouvé que ça, papa s'accoude au muret devant la marée haute. Il se repeigne avec soin, tape ses mèches recoiffées, hoche la tête avec satisfaction. Je le rejoins, lessivé, heureux comme jamais.
J'ai tenu les deux kilomètres sans m'arrêter, sauf une petite fois pour me déchausser. J'ai fait mon entrée au port en courant d'un air triomphal sous la pluie qui vient à l'instant même de cesser, les oiseaux chantent sur les fils télégraphiques. Les plus jolies filles de l'Aber m'épient derrière les rideaux. Et demain elles rougiront à ma vue.
- remets tes flexos, p'tit vieux. Tu t'essuieras bien les pieds avant d'entrer à la maison.
Et tu suspendras nos maillots sur le grillage.
C'est drôle, je m'attendais à un compliment.
Rien, pas le moindre sourire ou clin d'oeil signifiant : "bravo, fiston, tu m'as épaté".
Un dernier regard pour approuver le majestueux spectacle de la marée haute, et papa tourne les talons. Je cours après lui, j'attrape sa main. C'est maintenant que j'ai besoin d'être son fils, maintenant. Il baisse les yeux sur moi, sourcils froncés. Que lui dis-je alors, le feu aux joues avec la naïve brusquerie du gamin qui croit pouvoir manipuler comme un vieux doudou le coeur d'un homme aussi méfiant ? Alors je lui dis quoi ?...
Ah, si maman pouvait me chuchoter à l'oreille une sage, une lumineuse idée. Bien conseillé, je m'épargnerais le pénible épisode où je vais à présent m'engouffrer tête baissée.
- tu as vu papa ? j'ai bien couru ?
Même pas. J'ai bien nagé, non même pas : j'ai bien marché, je suis fort, et si tu m'avais dit : porte-moi sur ton dos, je t'aurais porté en courant jusqu'à la maison. Même pas ça pour lui prouver que je ne me suis pas trompé de papa, et lui pas trompé de fils.
Il répond du tac au tac, l'air indigné : bien couru ? ton frère aurait couru plus vite que toi.
Il me sourit, découvrant ses dents mal rangées qu'il ne montre jamais.
- et il aurait mieux nagé, tu ne sais pas nager.
Yann Queffélec
L'homme de ma vie.
*****
- qu'est-ce que tu fais là ?
- moi ?
Qu'est-ce que je fais là. Moi rien. Moi je ne fais rien. Moi rêvasse. Moi suis là, c'est tout. Moi regarde monter la mer. Moi content. Et moi content quand elle redescend. Si je réponds à papa : "moi content", il m'en cuira.
Dès qu'il m'aperçoit, il estime que ma place est ailleurs. Normal, je me suis trompé de famille.
- viens, nous allons nous baigner à Mazout. Moi, me baigner avec papa. Moi seul avec papa dans la mer.
A Mazout.
Moi.
Papa.
Je sais nager depuis hier. Je n'ai plus besoin de maman pour me tenir par l'élastique de mon maillot de bain. Papa ne m'a encore jamais vu nager. Je vais l'épater.
Papa, chemise blanche, pantalon blanc, sa tenue d'espion anglais, dit maman, me prend sur ses épaules et je respire à pleins poumons l'odeur de sa chevelure aussi délectable que le vent marin sur la dune.
Quand m'a-t-il déjà perché en haut du mètre quatre-vingt-trois, sa nuque entre mes cuisses ? Aucun souvenir.
Kodak, s'il vous plait.
- tu es trop lourd, descends.
Nous y allons à pied sous le crachin à Mazout, une grève à trois kilomètres de là. Mazout, quel nom !
Je n'ai jamais su pourquoi une portion du littoral entre Garch'in et Penfoul - deux toponymes bien frappés en brézhouneg..
- s'appelait Mazout. S'il s'agit d'un nom breton, c'est raté. S'il s'agit d'un nom français, il a tort de s'intéresser au cargot poubelle venu dégazer un jour dans les parages.
Je suis fier. Je marche avec papa. Il me donne la main. Je suis le fils d'un marcheur qui n'a pas le permis, pas d'auto, et qui fera tôt ou tard un grand feu de toutes les Peugeot, Simca, Ford, Hotchkiss de mes oncles et tantes, et aussi les Dyna Panhard, dès qu'il aura une minute à lui pour se procurer un bidon d'essence.
Il marche vite, je dois trottiner pour le suivre.
Le premier kilomètre, ça va. Nous arrivons à Porzmeur et je commence à fatiguer, un peu seul et perdu sur ses talons. Il m'a lâché la main. Que se passerait-il si je tombais d'épuisement ?
Est-ce qu'il irait se baigner sans moi ?
De temps en temps, il se retourne et dit : "qu'est-ce que tu fabriques ? A ton âge, j'y allais au pas de course, à Mazout".
C'est exactement ce que je suis en train de faire, non ?
Il ne sait même pas l'âge que j'ai, quel jour je suis né. Moi je sais qu'il a quarante-sept ans, et qu'il est du 13 janvier 1910.
Au 12, je dis qu'il en a trente-sept. Et l'an prochain je dirai qu'il en a trente-sept. Trente-sept est un âge qui lui va bien. C'est vieux, mais ça va. Je ne veux pas qu'il soit mort. L'autre jour, j'ai vu une chouette inanimée sur des pétales de camélia dans le jardin. J'ai imaginé papa gisant les yeux fermés sur des pétales de camélia. J'ai passé la nuit à pleurer, à me lever pour m'assurer qu'il ronflait.
Je n'en peux plus. Nous arrivons à la grève par le sentier du douanier. Il pleut serré, la mer n'est pas belle à voir, toute grise, avec les moustaches d'un courant sinistre rebiquant au loin sur une balise de fer noir qui mugit ses promesses de mort. Papa disparaît derrière un rocher, reparaît en maillot de bain bleu foncé - j'ai mon slip de bain sur moi, je me déshabille et le vent d'ouest s'abat sur mes épaules de freluquet.
Papa marche vers l'eau. Il cherche le bon endroit pour entrer dans la mer, une éclaircie de sable au milieu des goémons. Il y va les bras en croix, il ne ralentit pas, il nage en direction d'une barque noire à chiffres blancs.
Personne, aucun bruit, si ce n'est le froissement des nappes de guémons soulevées par la respiration du ressac. Si ce n'est le souffle court de la bouée qui pleure les bateaux disloqués sur les récifs.
Je fais trois pas dans la mer, j'ai mal, je grelotte. Encore trois pas sur les galets glissants, l'eau m'arrive aux tibias, au nombril, au sternum. Je m'arrête, le froid m'aveugle. Je sais nager, je sais nager, depuis hier. Je sais nager, je peux nager, je veux que papa me voie nager, je veux nager jusqu'à la barque noire où il m'attend suspendu à la chaîne d'ancre, j'en ai les larmes aux yeux. Eh bien tant pis, il me verra une autre fois, je reviens sur mes pas, je sors de l'eau. Je m'assieds frissonnant sur les galets en contrebas des bruyères, écoutant chantonner les minuscules vaguelettes de la baie, seuls témoins.
Papa fond sur moi, ruisselant, soufflant, furieux, sa mèche blonde collée en travers du front
- plonge-toi !
- j'ai froid.
- si tu ne te plonges pas, tu ne seras jamais qu'un raté !
J'y vais, je nage enfin, je brave l'eau, je compte mes brasses avec soin. J'arrive à 10, 12... Est-ce qu'il me regarde au moins ? Je perds pied. "J'ai perdu pied, papa, regarde !"
Tu parles ! Il est remonté sur la grève, il m'a oublié. Il fait ses moulinets de gymnaste suédois, sautille sur place en levant haut les genoux, en expirant avec bruit, ouvre grand les bras au dieu océan épars sur la houle.
Je sors à mon tour, je fais comme lui, les bras, les jambes, la respiration, je pianote en l'air, cherchant à saisir au vol les gouttelettes du crachin. Je suis un Henri Queffélec miniature, prêt à lui voler son mètre quatre-vingt-trois comme j'ai déjà volé son stylo, ses chaussettes, à parler des langues disparues, à jouer du piano, toujours en quête du pas suivant, du mot suivant, avec des personnages à mes trousses. Tu peux tempêter, papa, me brûler au feu de tes yeux bleus, un jour je deviendrai toi : toi et personne d'autre, et surtout pas moi.
Nous nous rhabillons. Nos deux maillots détrempés sont roulés ensemble dans la serviette éponge à tordre.
- Depuis quand sais-tu nager ?
- Depuis longtemps.
- C'est maman qui t'a appris ?
- J'ai appris tout seul.
Retour par la route goudronnée, cette fois, un raccourci. Papa vole devant mes pas exténués. Il chantonne un tube à lui qui mériterait des tomates : A la vanille pour les petites filles, un citron pour les garçons, un chocolat pour les gentils papas. Les gentils papas, c'est ça ! Et les mamans alors ? A quoi les mamans ? Il se retourne et dit : "tu entends la corne de brume ? Le chenal du Tour, p'tit vieux"... L'ancien prof se met à dégoiser un couplet à rallonges sur le chenal le plus avancé d'Europe, une voie maritime empruntée par les vaisseaux de guerre anglais, français, après que François 1er eut choisi la rade de Brest pour havre royal de la flotte, blabla... militaire - blablabla.. royaume..
Il pleut serré, venteux. Papa dit qu'il va nous falloir continuer au pas de gymnastique, c'est-à-dire en courant (ne comptez pas sur lui pour dire footing). "il reste deux kilomètres à peine, tu risques d'attraper mal". Il démarre au petit trot et j'ai l'impression de m'essouffler en vain derrière une girafe. Je galope à cracher mes poumons pour maintenir l'intervalle entre nous, je n'y arrive pas, j'ai envie de pleurer. J'enlève mes flexos, la route est tiède.
Arrivé à l'Aber, pas plus éprouvé que ça, papa s'accoude au muret devant la marée haute. Il se repeigne avec soin, tape ses mèches recoiffées, hoche la tête avec satisfaction. Je le rejoins, lessivé, heureux comme jamais.
J'ai tenu les deux kilomètres sans m'arrêter, sauf une petite fois pour me déchausser. J'ai fait mon entrée au port en courant d'un air triomphal sous la pluie qui vient à l'instant même de cesser, les oiseaux chantent sur les fils télégraphiques. Les plus jolies filles de l'Aber m'épient derrière les rideaux. Et demain elles rougiront à ma vue.
- remets tes flexos, p'tit vieux. Tu t'essuieras bien les pieds avant d'entrer à la maison.
Et tu suspendras nos maillots sur le grillage.
C'est drôle, je m'attendais à un compliment.
Rien, pas le moindre sourire ou clin d'oeil signifiant : "bravo, fiston, tu m'as épaté".
Un dernier regard pour approuver le majestueux spectacle de la marée haute, et papa tourne les talons. Je cours après lui, j'attrape sa main. C'est maintenant que j'ai besoin d'être son fils, maintenant. Il baisse les yeux sur moi, sourcils froncés. Que lui dis-je alors, le feu aux joues avec la naïve brusquerie du gamin qui croit pouvoir manipuler comme un vieux doudou le coeur d'un homme aussi méfiant ? Alors je lui dis quoi ?...
Ah, si maman pouvait me chuchoter à l'oreille une sage, une lumineuse idée. Bien conseillé, je m'épargnerais le pénible épisode où je vais à présent m'engouffrer tête baissée.
- tu as vu papa ? j'ai bien couru ?
Même pas. J'ai bien nagé, non même pas : j'ai bien marché, je suis fort, et si tu m'avais dit : porte-moi sur ton dos, je t'aurais porté en courant jusqu'à la maison. Même pas ça pour lui prouver que je ne me suis pas trompé de papa, et lui pas trompé de fils.
Il répond du tac au tac, l'air indigné : bien couru ? ton frère aurait couru plus vite que toi.
Il me sourit, découvrant ses dents mal rangées qu'il ne montre jamais.
- et il aurait mieux nagé, tu ne sais pas nager.
Yann Queffélec
L'homme de ma vie.
*****
Je n'ai jamais lu cet auteur. Et pourtant. Dans cet extrait on ressent la souffrance du gosse qui fait tout pour plaire à son père. Le père n'est jamais satisfait. Et semble lui aussi souffrir. C'est superbement écrit. Merci pour cette découverte. Bises
RépondreSupprimerC'est un récit doux amer empli de tendresse et d'humour... l'enfant devenu adulte et écrivain comme son père, décide de se raconter, parler de sa relation avec ce père distant, complexe...un vilain petit canard arrivé quand on ne l'attendait pas.
SupprimerDans l'ombre de ce père autoritaire, glaçant.. Une lecture sensible pour un portrait intime tissé de malentendus.
L'histoire n'est pas dure, mais triste, retracée à la saveur amère.
merci Dédé pour tes mots.
Je te souhaite une très belle après-midi dominicale.
Bises rendues.
Den
Ça m'est encore difficile de lire des textes qui parlent d'un père. mais celui, là, contrairement au mien, ne semble pas avoir beaucoup de tendresse pour son fils.
RépondreSupprimerOn souffre pour cet enfant.
On est d'autant plus admiratif que le petit garçon soir devenu ce qu'il est: un grand écrivain..
Bises, Den
¸¸.•*¨*• ☆.
Je comprends Célestine.... une grande souffrance pour cet enfant qui avait tant envie d'être aimé, reconnu par ce père, Henri Queffélec... pourtant un grand homme dans le domaine de l'écriture, lui aussi...
SupprimerMais un homme extrêmement rigide, brusque, dur.
Anne Queffélec est la soeur de Yann, la grande pianiste que nous connaissons.
Merci d'être passée chez moi.
Douce journée à toi.
Aujourd'hui je suis avec mes tous-petits.
Bise.
Den
Oufff pas facile d'avoir un tel père... Bise, bon dimanche tout doux!
RépondreSupprimerCet enfant qui recherche ce père qui le fuit sans arrêt.... difficile à lire, effectivement.. et malheureusement il existe des enfants qui vivent cela...
SupprimerMerci Maria-Lina pour tes mots.
Heureux dimanche à toi.
Je t'embrasse.
Den
Bonjour chère Den, c'est terrible pour cet enfant d'avoir un père qui critique sans cesse et le rabroue.
RépondreSupprimerMerci pour la découverte de ce texte avec mes amitiés.
Bisous ♥
On sent beaucoup de retenue dans ce père qui aurait pu faire l'effort d'aimer cet enfant qui n'attendait que cela... mais on perçoit une réelle indifférence dans ce lien père-fils, surtout du côté du père, qui connait la vie, tandis que l'enfant est vierge de ses sentiments, et ne sait pas encore quels dégâts pourront perturber sa vie à venir.
SupprimerMerci Denise pour tes mots qui rajoutent du sens au sens.
Un doux dimanche à toi.
Bisous rendus.
Den
Cette relation père , fils est toujours une ambiguïté pour le commun des mortels, surtout pour ceux de l'ancienne génération où il était difficile d'avoir entre père et fils une relation un peu plus intime que ne le font les gens de la génération d'aujourd'hui. Le fils devait montrer sa force, sa virilité, sa bravoure sinon il n'était celui que le père attendait. Un fils ce devrait être "HOMME" avant l'âge, sinon il décevait la famille.
RépondreSupprimerCet extrait Den, résume bien cette difficulté, qu'avait dans les temps passés, les fils pour être la hauteur d'un père trop exigeant et surtout de s'auto-affirmer sans coup férir.
Bien à toi Den.
Une relation ici quelque peu maléfique entre ce père et ce fils... un fils qui aurait aimé être reconnu...mais qui n'a pu l'être réellement que dans les derniers instant de vie de Henri Queffélec, le père. Un problème rencontré dans l'ancienne génération, celle de nos pères, mais heureusement pas dans toutes les familles ! il fallait être adulte avant d'être un enfant, paraître avant d'être...
SupprimerMerci bizak d'être passé chez moi. Tes mots sont un plaisir, que j'aime lire.
Bonne fin d'après-midi.
Bise.
Den
J'entends son phrasé particulier, sa voix grave et ses mots bretonnants, les villes qui me parlent ( je parle de Y Queffelec ) quand il raconte l'enfant qu'il était, ne mâche pas ses mots, dit ce qu'il ressentait et comme l'enfant emphatique qui attendait plus de démonstrations de tendresse et de reconnaissance de son père. Il y a la dureté d'un homme oui, on dit aussi que les bretons ( dont je suis ) sont pudiques et rudes à la vie. Je n'ai pas lu ce livre, l'as-tu aimé mon amie ?
RépondreSupprimerUn récit tendre, plein de regrets dans un jeu de va-et-vient, une course éperdue d'un fils vers son père. Yann Queffélec cherchera à réparer cette relation non satisfaisante avec ce père maladroit, comme lui, qui tait les mots, les gestes tant attendus par lui, enfant.
SupprimerLe regard du père est glaçant. Yann n'est pas son frère aîné Hervé, charmant, ni sa soeur Anne, la talentueuse pianiste classique.
Lui ne brille pas, n'est pas beau ! il finit par le croire, ou on veut bien le lui faire croire !
Oui Veronica, moi aussi j'ai entendu la voix de l'auteur quand je lisais.... et toi en plus, tu connais fortement les lieux dont tu es originaire... Un livre pudique qui exprime l'intime d'un fils et son père, lequel a vécu la rudesse d'une région, d'une vie, d'une époque.
Merci d'être passée.... bonne fin d'après-midi, belle d'Âme !
bisou.
Den