La maison, ou ce qu'il en reste, surplombe la vallée.
Ses fenêtres, quatre grands yeux vides, veillent, à l'est du massif des Trois-Gueules.
Les Fontaines, ce village minuscule, tachent le paysage, morceau de craie dérivant d'une mer végétale et calcaire.
La forêt crache des hommes comme des pépins, les bois bruissent, des traînées de brume couronnent leurs faîtes au lever du soleil, la lumière les habille. A l'automne, des vents furieux secouent les arbres. Les racines émergent alors du sol, les cimes retournent à la poussière, le sable, les branches et la boue séchée s'enlacent en tourbillons au-dessus des toits. Les fourmis s'abritent dans le ventre des collines, les renards trouent le sol, les cerfs s'enfuient ; les corbeaux, eux, résistent toujours à la violence des éléments.
Les hommes, pourtant, estiment pouvoir dominer la nature, discipliner ses turbulences, ils pensent la connaître. Ils s'y engouffrent pour la combler de leur présence, en oubliant dans un terrible excès d'orgueil, qu'elle était là avant eux, qu'elle ne leur appartient pas, mais qu'ils lui appartiennent. Elle peut les broyer à la seule force de sa respiration, elle n'a qu'à frémir pour qu'ils disparaissent.
Les Fontaines.
Je vous parle d'un endroit qui est mort mille fois avant mon arrivée, qui mourra mille fois encore après mon départ, d'un lieu humide et brumeux, couvert de terre, de pierre, d'eau et d'herbe.
Je vous parle d'un endroit qui a vu des hommes suffoquer, des enfants naître, d'un lieu qui leur survivra, jusqu'à la fin, s'il y en a une.
Je suis né dans une église. Une église de grande ville. Je mourrai dans une église. Une église de village.
Celle des Fontaines. Plantée au milieu.
Je m'appelle Clément, je suis vieux, comme tous les hommes d'église. Et comme tous les hommes d'église je n'ai pas d'histoire. J'ai abandonné la mienne pour entendre quotidiennement celle des autres. Mais la plus étrange, la plus terrifiante, l'histoire qui m'a empêché de dormir la nuit, qui m'a meurtri, moi l'homme sans passé, celui qui marche sans bruit, rassure sans toucher, écoute sans souffler, l'histoire qui a effacé toutes les autres, c'est celle d'une famille. Elle n'était ni la plus riche, ni la plus puissante, ni la plus aimée du village, mais comme la plupart des familles, elle s'était construite sur les faiblesses des uns et les silences des autres, sur les malheurs qu'on veut oublier et les craintes de l'avenir. Elle portait les reliques du passé de ses membres, jusqu'au jour où ces traces ont explosé, inondé les rumeurs et les chuchotements au plus profond de la vallée.
Je vis dans une église ; je connais la pierre, ses courbes, les angles, je connais le bruit du vent qui s'engouffre dans les artères sombres et siffle en montant. Je suis ici depuis presque quarante ans, mais je ne suis pas né ici.
Je serai toujours l'étranger. Je l'ai accepté...
Je serai toujours un étranger, pourtant je suis la grande oreille du village, la bouche cousue sous l'oeil de Dieu. Je connais les Fontaines comme si j'y étais né. Je connais leur histoire, leurs blessures, leurs carrières de pierre. Je connais chacun de leurs habitants, chaque ancêtre de leurs habitants. Mais je suis un étranger.
Le jour où je mourrai, quand bien même cette église aura été mon refuge, on m'enterrera loin d'ici, dans un cimetière de ville, et le village, lui, continuera d'exister.
Les Fontaines, une pierre cassée au milieu d'un pays qui s'en fiche. Un morceau du monde qui dérive, porté par les vents et les orages. Une île au milieu d'une terre abrupte. Je connais les histoires de ce village, mais une seule, une seule les rassemble toutes. Elle doit être entendue. L'histoire d'André, de son fils Benedict, de sa petite-fille Bérangère.
Une famille de médecins.
L'histoire de Maxime, de son fils Valère, et des ses vaches. Une famille de paysans. Et au milieu une maison.
Ou ce qu'il en reste.
Cécile Coulon
Trois saisons d'orage.
éditeur : Viviane Hamy
*****
(cf France Culture - émission les Nouvelles Vagues
de 14 h à 15 h)
de 14 h à 15 h)
Marie Richeux
du 09 février 2017 à réécouter en replay
59 minutes
Roman au grand air
Le village 4/5
"Aujourd'hui le village est situé par le roman.
Sur fond de Massif Central, Cécile Coulon y raconte l'histoire d'une famille de médecins et d'une famille de paysans.
Le personnage principal qui se détache d'une trame reliant trois générations.
Reste le lien : les clairières, la nature, la roche".
*****
Tellement touchant... Bise, bon samedi tout en douceur!
RépondreSupprimerMerci Maria-Lina.... je ne pense pas que tu pourras visionner l'émission sur France Culture du 9 février 2017..c'est dommage,... Cécile Coulon parle fort bien de son dernier roman qui raconte une histoire surprenante, "trois saisons d'orage" ...palpitante, bien placée dans cette émission dont le thème est "le village"... en opposition à la "ville", lequel occupe une place essentielle face aux personnages de chair ... si tu as l'occasion de lire d'autres extraits.. tu ne seras pas déçue.
RépondreSupprimerBon après-midi.
Amitiés.
Den
Quel texte ! Tu imagines combien ça me parle, moi qui aime la belle écriture...Comme cette « forêt (qui) crache des hommes comme des pépins » wouaou ! de bien jolies trouvailles littéraires. ;-)
RépondreSupprimerMerci pour ce moment de lecture, Den
¸¸.•*¨*• ☆
Les Fontaines, aux abords du Massif des Trois Gueules est un village... village qui s'oppose à la ville... où l'homme lutte contre la nature, et au beau milieu... les pans d'une maison, enfin "ce qu'il en reste"... et là, une famille de médecins, et une famille de paysans.... leur destin va se déchaîner, s'enflammer, sur trois générations.. les lieux : c'est-à-dire le village, la maison, les bois, sont aussi puissants que les personnages de chair qui évoluent dans cette saga familiale.
SupprimerLes mots de Cécile Coulon, sont précis comme sa plume est experte, rude et magicienne à la fois... elle nous enchante avec son regard acéré qui explose dans ce décor qui aurait pu être paradisiaque...
Ce livre paru le 5 janvier 2017... entretient fort bien le mystère du début à la fin de ses pages... ses mots sont talentueux et racontent à merveille...,
"Aux Fontaines, on croyait toujours que le danger venait de l'extérieur, qu'on aurait le temps de l'appréhender, personne ne posait la question des tremblements intérieurs, des mouvements sous la surface, le soir, quand les cloches se taisaient".
Une belle écriture qu'il ne faut pas manquer de suivre !
Merci Célestine...
Douce soirée à toi.
Den
je vais essayer de trouver ce livre tant cette histoire de vies croisées , succédées me touche au plus profond ...
RépondreSupprimerAu pays de mon enfance la maison de famille ou plutôt ce qu' il en reste ressemble étouffé petit à petit abandonnée par celui qui aurait du la faire vivre ...Et le village des Fontaines ressemble tellement à mon village de Lozère ;;:-)
Bisous Den
J'imagine que ce roman pourra te plaire comme il m'a plu.... tu le trouveras, j'en suis sûre... et bonne lecture... tu peux essayer, avant, d'écouter en replay l'émission sur France Culture - tu trouveras ses références dans mon billet.. Marie Richeux je l'écoute pratiquement tous les jours, formidable, ainsi que l'émission qui suit d'ailleurs.. j'adore...
Supprimerbonne soirée à toi Mathilde.
Un doux week-end.
Bisous rendus.
Den
Sur fond de massif central, c'est donc dans ma région que cette histoire se situe ? Cela me donne encore plus l'envie de la lire. Merci pour ce partage, Den.
RépondreSupprimerJe te souhaite une bonne soirée, et un beau dimanche. Je t'embrasse.
Cécile Coulon est née en 1990 à Clermont Ferrand, où elle a effectué ses études...elle aura donc 27 ans en juin prochain.... brillante, elle publie son 4ème roman à l'âge de 21 ans... !
Supprimertu reconnaîtras peut-être les lieux, moi je ne sais pas, à cet instant, s'ils sont réels ou inventés de toutes pièces...dans tous les cas "sur fond de Massif Central"... avec des emprunts, peut-être ici ou là.. ce que je sais c'est que cette histoire tient debout, tout en étant terrifiante,particulière, mais on y adhère quand même tout de go ... ! ce village ressemble à un certain nombre de villages éloignés de la ville, et certains points précis ont pu nous rappeler certaines histoires dans certains villages, jusqu'au plus profond de leurs entrailles.
Merci Françoise d'apporter ton écrin de coeur ici...
bonne soirée à toi.
Je t'embrasse aussi.
Den
La photo est parlante et merci Den pour ce très bel extrait si bien écrit, on est tout de suite dans l'atmosphère et on a envie d'aller plus loin...
RépondreSupprimerTr!s bonne journée et bisous
Oui Marine... merci... et continuer la lecture...
SupprimerDouce journée à toi en ce mât-teint réveillé tôt.
Bisous rendus.
Den
Magnifique texte ma chère Den et tellement touchant. Merci pour ce superbe partage.
RépondreSupprimerC'est beau, très beau!
Mes bisous
...et ce n'est qu'un petit extrait qui donne grandement envie de poursuivre sa lecture... MERCI Denise pour tes mots.
SupprimerDouce soirée à toi de la St Valentin, fête de l'Amour ou de l'Amitié.
Bisou.
Den