"L'amour, tu sais, ce dont il a le plus besoin, c'est l'imagination.
Il faut que chacun invente l'autre avec toute son imagination, avec toutes ses forces et qu'il ne cède pas un pouce de terrain à la réalité ;
alors là, lorsque deux imaginations se rencontrent.... il n'y a rien de plus beau".
Romain Gary
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J'ai eu peur de la nuit, peur des formes qui s'invitaient dans les ombres du soir, qui dansaient dans les plis des rideaux, sur le papier peint d'une chambre à coucher. Elles se sont évanouies avec le temps. Mais il me suffit de me souvenir de mon enfance pour les voir réapparaître, terribles et menaçantes.
Un proverbe chinois dit qu'un homme courtois ne marche pas sur l'ombre de son voisin, je l'ignorais le jour où je suis arrivé dans cette nouvelle école. Mon enfance était là, dans cette cour de récréation. Je voulais la chasser, devenir adulte, elle me collait à la peau dans ce corps étroit et trop petit à mon goût.
***
"Tu verras, tout va bien se passer...."
Rentrée des classes. Adossé à un platane, je regardais les groupes se former. Je n'appartenais à aucun d'eux. Je n'avais droit à aucun sourire, aucune accolade, pas le moindre signe témoignant de la joie de se retrouver à la fin des vacances et personne à qui raconter les miennes. Ceux qui ont changé d'école ont dû connaître ces matinées de septembre où gorge nouée, on ne sait que répondre à ses parents quand ils vous assurent que tout va bien se passer. Comme s'ils se souvenaient de quelque chose ! Les parents ont tout oublié, ce n'est pas de leur faute, ils ont juste vieilli.
Sous le préau, la cloche retentit et les élèves s'alignèrent en rangs devant les professeurs qui faisaient l'appel. Nous étions trois à porter des lunettes, ce n'était pas beaucoup. J'appartenais au groupe 6C, et une fois encore, j'étais le plus petit. On avait eu le mauvais goût de me faire naître en décembre, mes parents se réjouissaient que j'aie toujours six mois d'avance, ça les flattait, mois je m'en désolais à chaque rentrée.
Etre le plus petit de la classe, ça signifiait : nettoyer le tableau, ranger les craies, regrouper les tapis dans la salle de sport, aligner les ballons de basket sur l'étagère trop haute et, le pire du pire, devoir poser tout seul, assis en tailleurs au premier rang sur la photo de classe : il n'y a aucune limite à l'humiliation quand on est à l'école.
Tout cela aurait été sans conséquence s'il n'y avait pas eu, dans le groupe 6C, le dénommé Marquès, une terreur, mon parfait opposé.
Si j'avais quelques mois d'avance dans ma scolarité - au grand bonheur de mes parents -, Marquès avait deux ans de retard et ses parents à lui s'en fichaient totalement. Du moment que l'école occupait leur fils, qu'il déjeunait à la cantine et ne réapparaissait qu'à la fin de la journée, ils s'en satisfaisaient.
Je portais des lunettes, Marquès avait des yeux de lynx.
Je mesurais dix centimètres de moins que les garçons de mon âge, Marquès dix de plus, ce qui créait une différence d'altitude notoire entre lui et moi ; je détestais le basket-ball, Marquès n'avait qu'à s'étirer pour placer le ballon dans le panier ;
j'aimais la poésie,
lui le sport, non que les deux soient incompatibles, mais tout de même ; j'aimais observer les sauterelles sur le tronc des arbres, Marquès adorait les capturer pour leur arracher les ailes.
Nous avions pourtant deux points en commun, un seul en fait : Elisabeth ! Nous étions amoureux d'elle, et Elisabeth n'avait d'yeux pour aucun de nous. Cela aurait pu créer une sorte de complicité entre Marquès et moi, ce fut hélas la rivalité qui prit le dessus.
Elisabeth n'était pas la plus jolie fille de l'école, mais elle était de loin celle qui avait le plus de charme. Elle avait une façon bien à elle de nouer ses cheveux, ses gestes étaient simples et gracieux et son sourire suffisait à éclairer les plus tristes journées d'automne, quand la pluie tombe sans cesse, quand vos chaussures détrempées font flic floc sur le macadam, ces journées où les réverbères éclairent la nuit sur le chemin de l'école, matin et soir.
Mon enfance était là, désolée, dans cette petite ville de province où j'attendais désespérément qu'Elisabeth daigne me regarder, où j'attendais désespérément de grandir.
Le voleur d'ombres
Marc Levy
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Très joli extrait, qui parle à mon coeur de petite fille, de mère, de maîtresse d'école et d'amoureuse...
RépondreSupprimerMerci Den.
Tes illustrations sont tellement bien choisies en plus...
¸¸.•*¨*• ☆
Merci Célestine pour tes mots.... heureuse que tu aimes mes images "bien choisies"... et ce texte de Marc Levy, qui atteint nos coeurs d'écolière, de maman, d'amoureuse, écris-tu... et pour toi de maîtresse d'école... .
SupprimerJe n'avais jamais rien lu de cet auteur, et je découvre ici dans la magie de ses mots une infinie tendresse, le monde merveilleux de l'enfance, dans l'intime raconté, un certain romantisme..
il décrit fort bien l'enfance, qui enchante et se souvient ... c'est un hymne au rêve, à l'imaginaire. ..par son hypersensibilité il nourrit ses personnages en puisant dans son vécu. Il parle juste...et à travers ce conte philosophique qui nous touche, avec cet enfant qui se glisse dans l'ombre des autres et perçoit leurs pensées, leurs espoirs, leurs douleurs, c'est sans aucun doute un peu de lui qu'il dévoile...
bonne fin d'après-midi Célestine.
Je t'embrasse...
Je reviens, doucement.
Den
Emouvant texte !
RépondreSupprimerCeci dit, sommes nous en terre Romain Gary, ici ?
Bonne soirée, Den!
...Je l'espère, mais le savons-nous vr'aimant.... !
SupprimerMerci Binh An, bonne soirée à vous, en retour.
Den
Quel joli texte, une enfance qui aurait pu être de celle de n'importe qui d'autre. Mais racontée avec tellement de force, d'images, de souvenirs, qu'elle marque notre esprit. Merci Den pour ce petit extrait mais oh! combien palpitant. Bises nostalgiques.
RépondreSupprimer"A la peur de la nuit a succédé celle de la solitude. Je n'aime pas dormir seul et pourtant c'est ainsi que je vis, dans un studio sous les toits d'un immeuble non loin de la faculté de médecine. J'ai fêté hier mes vingt ans. Avec cette fichue avance dans sa scolarité, j'ai dû les célébrer sans avoir eu le temps de nouer des amitiés. Les horaires de la faculté ne nous en laissent guère le temps.
SupprimerJ'ai laissé mon enfance, il y a deux ans, derrière un marronnier dans la cour d'une école, dans cette petite ville où j'ai grandi.
Le jour de la remise des diplômes, ma mère était présente, une collègue de travail l'avait remplacée pour l'occasion. J'aurais juré avoir aperçu la silhouette de mon père au loin derrière les grilles, mais j'avais dû rêver, j'ai toujours eu trop d'imagination.
J'ai laissé mon enfance sur le chemin de la maison, où les pluies d'automne ruisselaient sur mes épaules, dans un grenier où je parlais aux ombres en regardant la photo de mes parents au temps où ils s'aimaient encore.
J'ai laissé mon enfance sur un quai de gare en disant au revoir à mon meilleur ami, fils d'un boulanger, en serrant ma mère dans mes bras, lui promettant que je reviendrais la voir dès que possible.
Sur ce quai de gare, je l'ai vue pleurer. Cette fois, elle n'avait pas cherché à détourner son visage. Je n'était plus l'enfant qu'elle voulait protéger de tout, y compris de ses larmes, de cette tristesse qui ne l'avait jamais vraiment quittée.
Penché à la fenêtre du wagon, alors que le convoi s'ébranlait, j'ai vu Luc lui prendre la main pour la consoler.
Mon monde tournait à l'envers. Luc aurait dû monter dans ce compartiment, c'était lui le surdoué en sciences ; et de nous deux, celui qui aurait dû s'occuper d'une infirmière qui avait consacré sa vie aux autres et surtout à son fils, c'était moi". Le voleur d'ombres (Marc Levy)
Une suite à ce premier extrait que tu as aimé, bizak, en cadeau pour toi.
Bonne soirée.
Bise.
Den
Le petit bonhomme sur la route est trop mignon !
RépondreSupprimerCertains enfants font un monde de peu de différence , il suffit qu'autour d'eux il y ait une ou deux réflexions, j'avoue que je ne me souviens pas de mon premier jour d'école, mais je me souviens de m'y être sentie seule dans les hurlements de la cour, et sans doute n'avais-je pas envie de me joindre aux autres, j'avais vu une petite fille adorable avec un garçon d'amis de ses parents et que je ne trouvais pas à mon gout qui la menait tambour battant, alors j'ai pris mon courage à 4 mains et je lui ai dis viens jouer avec moi il ne me plait pas celui là et nous sommes devenues les meilleures amies du monde, elle est morte vers l'âge de 10 ans... Et nous étions loin, j'ai eu beaucoup de peine...
Bises Den
On se souvient toujours assez bien de son enfance, de ce temps où l'on quitte sa famille pour la première fois, en rejoignant bon gré mal gré ce premier groupe, -qui est l'école- auquel il va bien falloir s'adjoindre,s'adapter, quoi qu'il en coûte, ce qui n'est pas toujours facile, connaître d'autres personnes différentes de soi...apprendre d'une autre façon, avoir des obligations... avec souvent un ressenti profond de solitude... se fondre dans ce groupe pas toujours choisi... apprendre à vivre en communauté, et quand on a six ans, ce n'est pas évident... et pourtant Marine, de cette époque, tu as conservé toute ta vie l'amitié de celle que tu a préférée parmi toutes les autres, parce que tu la sentais différente, et vous êtes devenues "les meilleures amies du monde"... jusqu'à ce que la mort vous sépare..
RépondreSupprimermerci pour tes mots matinaux ...
Douce journée à toi.
Bises rendues.
Den
Bien sûr tout est ici flagrant sous la plume de Marc Lévy et représentatif de ce que bon nombre d'entre nous ont pu connaître à l'école . Est ce toi l'enfant avec les lunettes et l'ébauche de ce gentil sourire ?.
RépondreSupprimerJe te souhaite une belle journée......auprès d'un feu de bois (?) avec un bon livre !
Chinou
Oui..... Chinou, merci pour ton comment-taire..... non l'enfant aux lunettes, ce n'est pas moi, mais mon petit-fils Gabriel qui a eu 4 ans début décembre... belle journée à toi en retour, avec un chauffage central, malheureusement, pas de cheminée, mais avec un bon livre, c'est possible... j'émerge la tête de l'eau, après ma chute le 29 décembre dernier... mon hématome à la joue (gros !) est encore là pour 15 j à mon avis... j'attendrais le beau temps (lol !) et puis je dois changer mes 4 pneus de voiture (dont un qui a éclaté en rentrant des courses), avant mon contrôle technique.... je suis donc encore en pointillé !
Supprimerbisou Chinou.
Den
Pôvrotte, tu as mal terminé, et mal commencé Mais maintenant...........tout le meilleur est devant toi............enfin j'espère !
SupprimerTu as raison Chinou, ... mais je ne me plains pas plus que cela, car ça aurait pu être plus dramatique encore... l'hématome est important, mais il devrait disparaître d'ici 15 j je pense, les médicaments aidant...
SupprimerMerci pour tes voeux...
Je t'embrasse.
Den
Quel beau texte si bien imagé, poignant, ça nous va droit au coeur car c'est une réalité depuis toujours... Merci pour ce partage! Bise, bon mardi tout en douceur!
RépondreSupprimerCe texte parle à chacun, chacune d'entre nous car il évoque notre enfance, si particulière, et pourtant universelle.. Des souvenirs que l'on n'oublie jamais, que l'on conserve parfois tapis au fond de soi..
SupprimerMerci Maria-Lina.
Bonne fin d'après-midi.
Je t'embrasse.
Den
Pôvrotte, tu as mal terminé, et mal commencé Mais maintenant...........tout le meilleur est devant toi............enfin j'espère !
RépondreSupprimerBonjour chère Den, c'est avec bonheur que j'ai lu ce magnifique texte. Oh oui! je me souviens de ma toute première rentrée à l'école, j'ai tant pleuré mais heureusement j'ai eu la chance d'avoir une très gentille maîtresse pleine de tendresse et cela ne s'oublie pas.
RépondreSupprimerJe ne savais pas que tu étais tombée, j'espère que tu vas mieux et je te souhaite un prompt rétablissement :-)
Gros bisous, Den ♥
merci Denise.
SupprimerDe gros bisous.
Den
"Le voleur d'ombres", je note ce titre de Marc Levy, je dois bientôt aller à la médiathèque, je regarderai s'il y est, et je le prendrai à coup sûr, car les extraits que tu as mis me donnent très envie de le lire. Ce petit garçon, plus petit que les autres, m'a fait penser à l'un de mes petits-fils qui est justement petit par rapport à la moyenne de la classe, mais lui a des copains, heureusement.
RépondreSupprimerBel après-midi à toi, chère Den. Je t'embrasse.
Merci Françoise pour ton comment-taire.... oui je pense que tu trouveras ce livre de Marc Lévy.... j'aime lire les histoires qui mettent en scène des enfants...c'est toujours fort intéressant... et quand il s'agit de nos petits-enfants, c'est encore plus ressenti.... moi aussi j'ai 3 petits-fils : 15, 11 et 4 ans... et je suis très attentive, peut-être encore plus qu'avec mes deux filles, et pourtant j'étais une maman-poule... mais les années sont là, on les compte et on sait, d'instinct maintenant, ce qui est important ou pas... ne pas blesser, faire attention, être là quand il faut... quand les enfants ont besoin de réponses, d'aide.
Supprimermerci à toi.
Douce journée dans ta si belle Haute-Loire, le pays de maman... Tence, le Chambon-sur-Lignon...
Bisou.
DEN
Bonsoir ma chère Den
SupprimerJe n'ai pas pu prendre ce livre de Marc Levy la médiathèque, il était déjà sorti, il faudra que je le réserve pour la prochaine fois.
Tence, le Chambon-sur-Lignon, des lieux qui me sont connus. J'habite environ à une heure de Tence, tout près de Monistrol-sur-Loire, tu connais peut-être ?
Je te souhaite un très beau week-end, Den, et je te fais de gros bisous.
Oui, la prochaine fois... vaut mieux le réserver alors.... Monistrol-sur-Loire, j'ai le souvenir de très bonnes omelettes aux champignons, un peu baveuses, que l'on savourait avec mon oncle, le frère de lait de maman... une jolie époque... c'était... il y a fort longtemps.... le matin s'est réveillé tôt et frais : 0° .... et mes yeux sont encore en papillotes près de leurs rêves. Douce journée à toi Françoise.
SupprimerBisous rendus.
Den