vendredi 4 août 2017

*Entre les fûts serrés....

Entre les fûts serrés d'arbres presque centenaires....



Entre les fûts serrés d'arbres presque centenaires, une singulière végétation s'accroche.
Une touffeur stagnante et moite flotte à travers le sous-bois se mêlant à des parfums insoupçonnés.
L'envol d'un oiseau, la fuite d'un animal apeuré froissent seuls le silence parmi quoi, s'aventure l'étranger, prudent et plein de défiance.
Ainsi va celui qui ne connaît pas la région !
Lieux difficilement accessibles. Ici c'est l'envers de la montagne où se déploie la forêt sous une ombre persistante.
De l'autre côté, l'endroit portait champs et villages, jadis.

Ce sont Dardet. Patane. L'Alibert.

*****

Un autre jour s'est levé pour Albin Delpech, un jour de plus, mais un jour de moins à vivre, lance-t-il 
plein d'humour, et oui.. ça compte, quand on additionne quatre-vingt-quatre printemps !
Le soleil s'est faufilé entre les montagnes généreuses, et est entré dans le vieux village ensommeillé de
l'Espine, niché au creux de sa verte vallée.
De Lavelanet en passant par Montségur, site moult fois visité, et apprécié, mémoire vivante du catharisme,
et en longeant les Gorges de la Frau, voici l'Espine avec ses maisons, en rue, côté ville et côté campagne, qui s'est frayé un passage le long de la rivière poissonneuse, quelque peu. Un temps.
C'est de là que partent tous les chemins, et Albin n'a pas oublié qu'au bout de celui-ci, rupestre, vivait toute une population, jadis.
En forçant son imagination, il aperçoit les bois de Dardet, où il a vécu de nombreuses années, avec ses parents, puis avec une fille de l'Alibert. Terres devenues stériles sur l'ancienne ferme d'en haut, comme il dit.
Debout, il scrute les alentours de son oeil de lynx. 
Différent des autres, sûrement, on retrouve dans sa silhouette trapue, dans son visage aux traits burinés par le soleil et la vie au grand air, accentués par les années, on retrouve une curieuse ressemblance avec les vieux du village, par quoi se révèle l'âme, également violente et dure. Comme leur vie.
Derrière lui, si loin que le regard porte, l'ensemble obscur de la sylve ondule. Si on veut bien voir, évidemment, si on prend le temps..

Au-dessus de la petite rivière à tétards et à truites, les frondaisons s'étendent, naturellement, se rejoignent, s'enlacent, et l'eau claire descendue des montagnes glisse lentement sous leur  voûte.
Immobile et muet, Albin regarde devant lui, obstinément avec l'espoir de voir soudain crever le voile qui gène les yeux.
Voir Patane d'en bas. Surveiller Patane, Dardet.
Parfois, pourtant, il tourne la tête vers sa montagne dépeuplée, gravement, à l'abri des regards indiscrets, là où il a vécu.
Une rafale souffle dans sa mémoire peu fidèle charriant des nuées qui submergent le souvenir.
Le temps précipite l'oubli, puis entre deux amnésies couleur de montagne, un fuseau oblique filtre encore, badigeonnant le village d'une large tache lumineuse. Patane, Dardet..


Albin n'a rien oublié, ou alors par inadvertance, et si, parvenu au bout de son nouveau domaine, appuyé sur sa frêle canne, il le parcourt de long en large, matin et soir, c'est pour ne pas rendre compte de son inactivité.
L'Espine n'a pas changé, ou si peu.
Des habitations s'échappent toujours les mêmes odeurs entremêlées, familières, qui lui rappellent Dardet.
Les façades, sans fierté, ont conservé leur apparence d'autrefois. Simplement.
Lui, arpente l'unique rue du village, légèrement voûté.
Il aperçoit de loin deux silhouettes floues à ses yeux qu'il ne détermine pas. Est-ce Georges ou Charles ?
Il ne peut le dire, et soudain cette vision distendue lui rappelle une certaine journée des années 1913 ou 1914.
Il doit avoir 7 ou 8 ans.


Den

*****


2 commentaires:

  1. Les souvenirs affluent dans le coeur d'Albin, pas facile à vivre tout ça et pourtant la montagne reste la même, dans sa force et son impassibilité...

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    1. Albin n'a rien oublié de sa vie avant. Il se souvient, et demeure la mémoire vivante de ce qui a vécu là-haut et en conserve le beau regard lucide.
      Merci Marine pour tes mots.
      Je t'embrasse.
      dEN

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Par Den :
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