lundi 6 novembre 2017

*Emigrer......


J'ai................




J'ai
La mêle-ancolie
Migrant
Sur la route errante de ton ex-île
Ton pays déserté
Ton lien uni à ta mère utérine
Toujours présente avec son sourire ténébreux
A ta mer, ta culture
Tu fuis en flux d'exode en grand repli
Sur un pont sus-pendu
Et cherches cet ailleurs chimérique
Ces espaces ces îlots que tu sillonnes
Ces chemins entrevus
Ce miroir éteint-scellant
Pour un château de sable emporté par le remous vague.

Passeras-tu l'autre rive, l'autre côté ?
Etranger retenu
Sans domicile fixe
Abandonné 
Tu accostes pieds nus au bout
Tu émigres en foule
Groupé pèle-mêle sur les planches le visage serré,
Douloureux, angoissé.

Ta route est opaque, tu croupis dans la fange,
Embarqué, débarqué, maltraité
Dans la cohue les nuées
Traversée houleuse, tu baignes au creux de la tempête
Tu traces ton chemin en horde humaine
Reconforté si peu ou prou.

Quel sera ce chemin ?
Toi Frère des Hommes en route vers ton destin.
Passeras-tu loin dans le noir brûlé du soleil.

Je pleure avec toi.
De rive en rêve
Ami, souviens-toi.

Tant de temps pour parler quand la mer brûle.

Tu découvres en maux l'île perdue devenue ossuaire
Tu souris et tu deviens les flots.

Que ta route soit ouverte.

Ta solitude est un brin d'après et se construit.

"Il n'y a que l'Histoire des Grands qui s'écrit,
Nous on n'existe pas".

Tu te  lies avec les autres.

Tu te  dis et tu t'écris.
Tu  parles d'un passage, d'un trajet, d'un cheminement, d'une initiation.

Tu t'accroches émigrant en trans-portant ta vie ton corps ton coeur.

Et tes yeux regardent de l'autre côté de la mer, de la mère...
de la terre,
Plus loin, plus haut...
Au gré des nuages.

Pourquoi rompre quand on est attaché si fort ?

Saurons-nous jamais comprendre le sens de ce voyage, de ce franchissement,
Même si  l' angle de vue s'est élargi sur les rides de nos yeux.

Entre deux mers.

Den
(billet du 25 juillet 2016)


"Catane s'éloignait
Dans sa barque silencieuse, il se sentait à la dimension du ciel. 
Il était une infime partie de l'immensité qui l'entourait, mais une partie vivante.
Il avait peur, bien sûr, mais d'une peur qui lui fouettait les sangs.
Il partait là-bas, dans ce pays d'où ils venaient tous.
Il allait faire comme eux : passer des frontières de nuit, aller voir comment les hommes vivent ailleurs, trouver du travail, gagner de quoi survivre. 
Il avait mis  le cap sur la Libye. Il ne savait pas ce qu'il ferait une fois là-bas.
Il n'avait plus aucun plan. L'instant imposerait son rythme. 
Il resterait peut-être sur les côtes libyennes pour travailler ou  plongerait plus avant dans le continent africain.
Cela n'avait pas d'importance. Pour l'heure, il laissait sa barque fendre la mer.

Plus tard dans la nuit, il aperçut une masse énorme à l'horizon.
C'était l'île de Lampedusa. Il ne voulut pas s'y arrêter.
La silhouette noire de l'île lui fit l'effet d'une dernière bouée de port avant la haute mer.
Le rocher qu'ils rêvaient tous d'atteindre, le rocher qu'il avait si longtemps gardé comme un cerbère fidèle lui sembla un caillou laid qu'il fallait abandonner derrière soi au plus vite.

"Je suis nu, pensa-t-il. Comme seul un homme sans identité peut l'être"
La nuit l'entourait  avec douceur. Les vagues berçaient son embarcation avec des attentions de mère.
Lampedusa disparaissait. Il repensa à ce qu'avait dit l'inconnu au cimetière : "l'herbe sera grasse et les arbres chargés de fruits... Tout sera doux là-bas. Et la vie passera comme une caresse". L'Eldorado.
Il ne pensait plus qu'à cela. Il savait bien qu'il allait à contre-courant du fleuve des émigrants.
Qu'il allait au-devant de pays où la terre se craquelle de faim.   Mais il y avait l'Eldorado tout de même, et il ne pouvait s'empêcher s'y rêver. La vie qui l'attendait ne lui offrirait ni or ni prospérité. Il le savait. Ce n'est pas cela qu'il cherchait. Il voulait autre chose. Il voulait que ses yeux brillent de cet éclat  de volonté qu'il avait souvent lu avec envie dans le regard de ceux qu'il interceptait.

L'air, déjà, était plus vif autour de lui. Les instants plus intenses. Il allait devoir penser à nouveau, élaborer des plans, se battre. Il ne pouvait compter que sur ses propres forces. Comment fait-on pour obtenir ce que l'on veut lorsque l'on n'a rien ? De quelle force et de quelle obstination faut-il être ?

Tout serait dur et éprouvant, mais il ne tremblait  pas. Le froid déjà l'entourait. L'humidité rendait sa peau collante mais il avait le sentiment de vivre. La mer était vaste. Il disparaissait dans le monde. Il allait être, à son tour, une de ces silhouettes qui n'ont ni nom ni histoire, dont personne ne sait rien - ni d'où elles viennent ni ce qui les anime. Il allait se fondre dans la vaste foule de ceux qui marchent, avec rage, vers d'autres terres. Ailleurs. Toujours ailleurs. Il pensait à ces heures d'efforts qui l'attendaient, à ces combats qu'il faudrait mener pour atteindre ce qu'il voulait.
Il était en route. Et il avait décidé d'aller jusqu'au bout. Il n'était plus personne.
Il se sentait heureux.
Comme il était doux de n'être rien.
Rien d'autre qu'un homme de plus, un pauvre homme de plus sur la route de l'Eldorado".

Laurent Gaudé
Eldorado

*****




16 commentaires:

  1. Deux textes forts, à commencer par le tien, qui s'essaient à dire cette expérience de l'extrême qui choisit de vivre ailleurs. Je suis allée voir qui était Laurent Gaudé et le résumé de l'histoire.
    Merci Den pour ton beau texte et cette découverte. Bonne semaine.

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    1. L'aîné de mes petits-fils qui est en 1ère, Fifi avait hier ce texte à résumer, et il m'a rappelé mes mots écrits en ce sens, en juillet 2016... j'ai eu alors envie de les reprendre, et d'y adjoindre ceux, très beaux, de Laurent Gaudé dont j'ai entendu parler, mais rien lu de lui jusqu'à présent. Que rajouter ? je crois seulement à ressentir la souffrance de ces populations émigrées...
      Merci pour ton commentaire.
      Je te souhaite également une bonne semaine, ventée aujourd'hui encor', très fraiche, 8° tôt ce mât-teint.
      Bisou.
      Den

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  2. Je suis toujours admirative des gens comme toi qui savent écrire et font par là même vaganbonder notre esprit. Ainsi, ici, je pense à tous ces malheureux qui quittent leur pays, fuient la guerre, affrontent la mer, se retrouve sur une terre qu'ils croient hospitalière et qui ne l'est pas toujours.

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    1. L'écriture sert à exprimer, à dire, et tenter de permettre le ressenti de celui ou celle qui, de l'autre côté de la page, la lit.....
      merci Chinou pour tes mots bienveillants.
      Bisou.
      Den

      "je veux une poésie du monde, qui voyage, prenne des trains, des avions, plonge dans des villes chaudes, des labyrinthes de ruelles. Une poésie moite et serrée comme la vie de l'immense majorité des hommes". Laurent Gaudé - de Sang et de Lumière.

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  3. Deux très beaux textes (le tien est très puissant) qui n'ont malheureusement pas fini de résonner...

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    1. Merci La Baladine...

      Je t'offre, comme j'offre à chacune, chacun d'entre vous ces mots extraits du recueil poétique de Laurent Gaudé qui exprime si bien son humanisme ardent "de Sang et de Lumière"....

      (...)"Je veux un poème qui connaisse le ventre de Palerme, Port-au-Prince et Beyrouth, ces villes qui ont visage de chair, ces villes nerveuses, détruites, sublimes, une poésie qui porte les cicatrices du temps et dont le pouls est celui des foules.

      Je veux une poésie qui s'écrive à hauteur d'hommes. Qui regarde le malheur dans les yeux et sache que la chute, c'est encore rester debout" (...)

      Douce journée.
      Den

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  4. Depuis la nuit des temps, l'homme n'a fait qu'émigrer, il prenait son baluchon, et il partait pour chercher l'espace, où la vie avait un sens, où l'herbe poussait à vue d’œil, où le soleil était bien pour tous.
    Je me rappelle ces mots d'un poète syrien, Mohammad al-Maghout :
    "Mes larmes sont bleues
    tant j’ai regardé le ciel et pleuré
    Mes larmes sont jaunes
    tant j’ai rêvé des épis d’or
    et pleuré"
    Merci pour tes jolis mots Den, Ils sont pleins de charge de souffrance, mais si pleins de poésie et amour.
    Bisous chère Den

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    1. Merci Bizak pour tes mots aimables, et ceux de Mohammad al-Maghout très beaux, si colorés, si symboliques !

      A mon tour de t'offrir aussi cet extrait de Laurent Gaudé : "de Sang et de Lumière",

      "Une poésie qui marche derrière la longue colonne des vaincus et qui porte en elle part égale de honte et de fraternité. Une poésie qui sache l'inégalité violente des hommes devant la vérocité du malheur.

      Je veux une poésie qui défie l'oubli et pose ses yeux sur tous ceux qui vivent et meurent dans l'indifférence du temps. Même pas comptés. Même pas racontés. Une poésie qui n'oublie pas la vieille valeur sacrée de l'esprit : faire que des vies soient sauvées du néant parce qu'on les aura racontées. Je veux une poésie qui se penche sur les hommes et ait le temps de les dire avant qu'ils ne disparaissent" (...)

      Merci.
      Je t'en brasse en une myriade teintée de ciels et d'épis d'or.

      Den

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  5. Coucou ma poétesse. Ton texte très beau puise dans la force des mots pour décrire le parcours de ces hommes et de ces femmes qui décident de tout quitter pour un ailleurs. Il s'avère bien souvent que le voyage laboure le coeur et la destination encore plus. J'ai souvent de l'admiration pour ces êtres qui s'enfoncent dans l'inconnu. Sans savoir vraiment ce que sera demain mais toujours plein d'espoirs. Leur réalité est pourtant bien triste ici ou là-bas. Dans l'eldorado qui parfois devient enfer.

    J'ai lu de Gaudé "Ecoutez-nos defaites" Je ne peux que te conseiller la lecture. Il a une force dans l'écriture que je trouve rarement dans mes lectures. Bises alpines.

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    1. oui Dédé, "le voyage laboure le coeur et la destination".. de ces êtres courageux qui s'abîment vers l'obscur et le mystérieux..

      Merci pour "Ecoutez nos défaites".... je vais le lire ! un auteur à l'écriture très profonde que je découvre également et qui me plait.

      "Le territoire de cette poésie, c'est le monde d'aujourd'hui, avec ses tremblements et ses hésitations.
      Elle s'écrit dans un corps à corps avec les jours. Elle sent la sueur et l'effroi. Elle est charnelle, incarnée.
      Le monde d'aujourd'hui est épique, tragique, traversé de forces violentes. Il se rappelle à nous avec brutalité. Les failles idéologiques réapparaissent. Des menaces grondent. Il faut dire et tenir ce que l'on est, ce que l'on veut être".(...)

      Laurent Gaudé
      De Sang et de Lumière


      Douce journée à toi Dédé.
      De gros bisous.

      Je t'espère bien !
      Den


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  6. Rien qu'un pauvre homme de plus sur la route de l'inconnu, c'est si triste et pourtant, merci pour ce moment si émouvant face à l'injustice et la souffrance des hommes... C'est une très belle page.
    Merci Den


    J'ai attendu le matin
    Pour que mes yeux voient le jour
    Au matin le ciel était un lit de pleurs
    Le monde était figé dans le silence
    J'ai regardé la fontaine qui s'était tue
    Le pré était blanc de givre
    Le soleil ne pétillait pas
    Plus d'oiseaux plus de fleurs
    Mon coeur tombait en ruine
    Devant l'injustice des hommes
    L'enfant manquait à l'appel
    L'enfant de lumière n'était plus là
    Et les douces heures perdues
    Dégringolées dans les gouffres de l'oubli...

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  7. Deux textes qui se répondent, poésie et récit se complètent! L'acceptation du migrant est notre lointaine prochaine victoire!

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    1. Merci Marine pour tes mots, tes mots à toi si beaux !

      "L'écriture ne m'intéresse pas si elle n'est pas capable de mettre des mots sur cela.
      Qu'elle maudisse le monde ou le célèbre, mais qu'elle se tienne tout contre lui. Nous avons besoin des mots du poète, parce que ce sont les seuls à être obscurs et clairs à la fois.
      Eux seuls, posés sur ce que nous vivons, donnent couleurs à nos vies et nous sauvent, un temps, de l'insignifiance et du bruit".

      Laurent Gaudé
      "De Sang et de Lumière"

      Douce journée à toi.

      Bisou.

      Den

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    2. ...Merci... ça devrait, Alezandro, en effet, mais quand ?

      (...)

      "Les mots sont
      Vieux
      Comme la souffrance des peuples.

      Il y a des vies
      Entières,
      Passées
      Sans jamais connaître
      Répit
      Ni lumière.

      Harassement de naissance.

      Il faut aller chercher de l'eau,
      Creuser la terre
      Qui ne donnera rien,
      N'en peut plus de sécheresse
      Et voudrait mourir elle aussi
      Ou boire à l'infini.

      (...)

      Il faut vivre
      Cela s'appelle ainsi.

      Bataille de crasse contre l'oubli.

      Il faut tirer sa peine de vie
      Chaque jour recommencée.

      Il n'y a pas de regard sur eux.
      Il n'y a que des jours et des nuits qui se succèdent
      Et les mots ne savent pas dire cela :
      La vieillesse de vingt ans.

      Les mots ne savent pas
      Ou ont renoncé.

      La colère,

      Faites qu'elle ne nous quitte pas". (...)

      Laurent Gaudé
      "De Sang et de Lumière"

      Bonne journée.
      Den










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  8. Bonjour chère Den, je viens de lire ton texte et celui de Laurent Gaudé. Un grand merci pour tout, c'est très profond et touchant.
    Belle soirée Den avec toute mon amitié.
    Bisous ♥

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    1. Mais c'est moi qui te remercie pour ta fidélité depuis tout ce temps dans mes allées de mots et d'images.
      J'espère que tu vas bien.
      Je t'embrasse très fort, amicalement.
      Den

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Par Den :
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