dimanche 11 octobre 2020

*l'analphabète

 

 

 

« Le ciel est un immense chagrin bleu

et les arbres éclatent en sanglots à chaque éclosion de fleurs »

« Le soir arrive avec ses bras de sapin noir

pour embrasser la ville ».

 

*

 

"Les villes, comme les montagnes, comme les forêts, les arbres, ont leur autonomie, elles vivent leur vie de ville, qui n’est pas exaltante, ni bonne pour l’entourage".

 

« Les villes lentement étranglent leurs chétifs

jardins le corps des paysages

les routes le déchirent. »


"Dans ce contexte, le « je » devient aussi un personnage de conte, Petit Poucet errant sur les routes des forêts, chassé de sa maison natale, chaussé des bottes volées à l’ogre",

« À présent inconnue parmi les ombres

furtives de la vitesse je ne sais plus

d’où je suis partie peu importe

la route sera aussi longue que la vie »,

"interrogeant les arbres sur le sort des oiseaux mais ils demeurent muets, la forêt tout entière est muette et elle « s’en fut plus loin ». Les voix, les couleurs, les senteurs du printemps sont elles aussi muettes", « elles se sont échappées au loin dans le silence ».

"Le conte est le mode d’expression de l’enfant, de celui qui ne maîtrise pas bien les mots, qui ne sait pas encore où s’arrête son corps, où commence le reste, il a le pouvoir d’aller dans les nuages mais parfois ce sont les nuages qui viennent jusqu’à lui et alors « leurs genoux pourpres ont été souillés de boue ». L’enfant que fut Agota Kristof demeure dans l’adulte un nuage humilié. Après le dernier matin", « le reste n’a pas d’importance ». " L’enfant sait aller dans le ciel et se transformer en oiseau. Tantôt il est libre mais il vole de travers, tantôt il ne parvient pas à prendre son envol, et tantôt il est grand et lourd comme s’il ressemblait lui-même à ce qu’il est en train de fuir, comme s’il était un avion larguant des bombes" :

« En été les danseurs flottaient

sous les réverbères

ils avaient peur lorsque mon ombre tombait sur eux. »

"Les contes, on le sait, sont la plupart du temps d’une grande cruauté. La mort y est présente, le meurtre (« pour l’heure j’aimerais la mort des autres / et pas la mienne »), la disparition de ceux qu’on aime" (« je revenais planer longtemps/au-dessus des fosses et des morts »).

Agota Kristof, L’analphabète, Zoé & Clous

Agota Kristof


"Je sais que je n'écrirai jamais le français comme l'écrivent les écrivains français de naissance, mais je l'écrirai comme je le peux, du mieux que je le peux.

Cette langue, je ne l'ai pas choisie. Elle m'a été imposée par le sort, par le hasard, par les circonstances.

Écrire en français, j'y suis obligée. C'est un défi.

Le défi d'une analphabète"

 

 

*

"J'aurai encore deux enfants. Avec eux, j'exercerai la lecture, l'orthographe, les conjugaisons.

Quand ils me demanderont la signification d'un mot, ou son orthographe, je ne dirai jamais:

- Je ne sais pas.

Je dirai:

- Je vais voir.

Et je vais voir dans le dictionnaire, inlassablement, je vais voir. Je deviens une passionnée du dictionnaire".

 

*

 

 "Je lis. C'est comme une maladie. Je lis tout ce qui me tombe sous la main, sous les yeux: journaux, livres d'écoles, affiches, bouts de papier trouvés dans la rue, recette de cuisine, livres d'enfant. Tout ce qui est imprimé."

 


"Il faut tout d'abord écrire, naturellement.

Ensuite, il faut continuer à écrire. Même quand cela n'intéresse personne. Même quand on a l'impression que cela n'intéressera jamais personne. Même quand les manuscrits s'accumulent dans les tiroirs et qu'on les oublie, tout en en écrivant d'autres."  

 

 *

 

"A l'usine, tout le monde est gentil avec nous. On nous sourit, on nous parle, mais nous ne comprenons rien.

C'est ici que commence le désert. Désert social, désert culturel. A l'exaltation des jours de la révolution et de la fuite se succèdent le silence, le vide, la nostalgie des jours où nous avions l'impression de participer à quelque chose d'important, d'historique peut-être, le mal du pays, le manque de famille et des amis."

 

*

 

 

"C'est ainsi que, très jeune, sans m'en apercevoir et tout à fait par hasard, j'attrape la maladie inguérissable de la lecture"

 

*

 

 

"J'ai laissé en Hongrie mon journal à l'écriture secrète, et aussi mes premiers poèmes. J'y ai laissé mes frères, mes parents, sans prévenir, sans leur dire adieu ou au revoir. Mais surtout, ce jour-là, ce jour de fin novembre 1956, j'ai perdu définitivement mon appartenance à un peuple. "

 

*

 

 

 "Pour écrire des poèmes, l'usine est très bien. Le travail est monotone, on peut penser à autre chose, et les machines ont un rythme régulier qui scande les vers."

 

*

 

 

"J'ai un peu mauvaise conscience de m'installer à la table de la cuisine pour lire les journaux pendant des heures, au lieu de ... de faire le ménage ou de laver la vaisselle d'hier soir, d'aller faire les courses, de laver et de repasser le linge, de faire de la confiture ou des gâteaux...

Et surtout, surtout! Au lieu d'écrire"

 

*

 

 

"Mars 1953. Staline est mort. Nous le savons depuis hier soir. La tristesse est obligatoire à l'internat". .  

 

 

*

 

"Quand séparée de mes parents et de mes frères, j'entrerai à l'internat dans une ville inconnue, où, pour supporter la douleur de la séparation, il ne me restera qu'une solution; écrire".  

 

 

extraits d'Agota Kristof

"l'Analphabète"

 

*

 

Agota Kristof est née en 1935 en Hongrie, à Csikvand. Elle arrive en Suisse en 1956, où elle travaille en usine. Puis elle apprend le français et écrit pour le théâtre. L’Analphabète est son seul récit autobiographique.

Onze chapitres pour onze moments de sa vie, de la petite fille qui dévore les livres en Hongrie à l’écriture des premiers romans en français. L’enfance heureuse, la pauvreté après la guerre, les années de solitude en internat, la mort de Staline, la langue maternelle et les langues ennemies que sont l’allemand et le russe, la fuite en Autriche et l’arrivée à Lausanne, avec son bébé.

Ces histoires ne sont pas tristes, mais cocasses. Phrases courtes, mot juste, lucidité carrée, humour, le monde d’Agota Kristof est bien là, dans son récit de vie comme dans ses romans.

biographie

Née en 1935 à Csikvand, Agota Kristof fuit la Hongrie en 1956 après une enfance marquée par la guerre mais aussi par la personnalité de son père instituteur et par les jeux avec ses deux frères. Le hasard veut qu’elle s’installe en Suisse à Neuchâtel, où elle travaille tout d’abord en usine. Elle y apprend le français, puis écrit pour le théâtre et réussit à faire jouer ses pièces. En 1986, Le Seuil publie son premier roman, Le Grand cahier, qui lui vaut un succès mondial. Agota Kristof est décédée en 2011.

autres titres du même auteur aux éditions ZOE

Où es-tu Mathias?L'Analphabète (livre audio)Clous

 




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Par Den :
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