lundi 5 août 2024

Charles Juliet - Cézanne

 

 

 

 

 

....un texte inédit de Charles Juliet : « Cézanne, un chercheur d’absolu ».

Si les tableaux de Paul Cézanne ramènent Charles Juliet sur les lieux de sa propre adolescence, ils provoquent aussi en lui un questionnement sur la création, qu’elle soit celle du peintre ou celle de l’écrivain. Ce livre est un face-à-face troublant entre deux œuvres, il est aussi un échange, un dialogue entre deux solitudes tendues vers l’autre et vers la vérité, au-delà du temps, au-delà de la mort. « Ce que j’essaie de traduire, écrivait Cézanne lui-même, est mystérieux, s’enchevêtre aux racines de l’être, à la source impalpable des émotions. » Pour Charles Juliet, l’œuvre de Cézanne s’adresse à notre aspiration à vivre ce qui échappe au temps, ce qui demeure à jamais.

 

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Je veux savoir,

Savoir pour mieux sentir, sentir pour mieux savoir.

Je veux être simple.

Ceux qui savent sont simples.

 

Paul Cézanne

Un grand vivant

Un chercheur d'absolu.

 

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Le combat que Cézanne va mener toute sa vie en lui-même contre la peinture, contre l’incompréhension, commence très tôt, lorsque tout jeune il apprend à son père qu’il veut devenir peintre.

Son père est banquier à Aix-en-Provence. D’abord chapelier, il a gravi les échelons de la réussite sociale à force de travail, et il prévoit que son fils lui succédera à la tête de la banque. C’est un homme avare, autoritaire, et il n’admet pas que son fils ne réponde pas à ses ambitions. De plus, la peinture est synonyme de bohème, de misère, et que son fils nourrisse de tels rêves dépasse son entendement. Mais Paul n’en est pas moins obstiné que lui, et il parvient à le fléchir.

Paul monte à Paris rejoindre Zola, son ami d’enfance qui commence à écrire. Tous deux comptent s’épauler mutuellement pour affronter les difficultés qui les attendent. Mais Paul a trop rêvé de ces retrouvailles et de cette vie à la capitale. Désillusionné, il est très vite de retour au bercail. Son père s’en félicite et le pousse à entreprendre des études de droit. Mais celles-ci sont vite abandonnées. Paul se retrouve aussitôt derrière un bureau à la banque où, pour se désennuyer, il dessine. Bientôt, le démon de la peinture le reprend et il décide de tenter à nouveau l’aventure.

Pour le jeune peintre, les années qui suivent sont difficiles. Il ne sait qui il est, ignore ce qu’il demande à la peinture, et ses premiers essais ne sont guère convaincants. Il est incertain, fougueux, instable, passionné, en proie à de violentes émotions, et il s’exaspère de ne pouvoir traduire ce qu’il ressent. Il traverse des crises de doute, de découragement, va jusqu’à penser qu’il ne sera jamais un peintre.

Ambitieux, résolu à s’imposer au plus tôt sur la scène littéraire, Zola se désole. Paul peut avoir le génie d’un grand peintre, écrit-il à un ami, il n’aura jamais le génie de le devenir.

L’aspirant peintre suit quelques cours de dessin, mais très vite il abandonne. Il comprend que dans le domaine de la création, on doit tout apprendre par soi-même.

Ses premières toiles – scènes d’orgie, enlèvements, joutes amoureuses – sont l’expression de son romantisme, de ses hantises, de ses besoins sexuels inavoués. Il est impatient, malhabile, ne peut se cacher que ce qu’il peint n’est pas à la hauteur de ce qui le ronge.

Pendant des années, il partage son temps entre Aix-en-Provence et Paris. 

 

Lorsqu’il est dans la capitale, il se rend fréquemment au Louvre où il étudie et parfois copie les Tintoret, les Michel-Ange, les Rubens, les Poussin… En les copiant, en s’approchant d’eux plus étroitement, il cherche à percer le secret de leur grandeur.

Il échoue à l’examen d’entrée de l’École des beaux-arts de Paris, où il lui est reproché de peindre avec excès.

À l’académie Suisse, où les jeunes peintres peuvent travailler d’après modèle, il fait la connaissance de Pissarro, de Claude Monet, de Renoir… ceux qu’on appellera, quelques années plus tard, Les Impressionnistes.

Ces peintres se retrouvent souvent au Café Guerbois où ils se livrent à des discussions passionnées. Mais trop entier, trop ombrageux, Cézanne ne participe guère à ces échanges. Prouver quelque chose à Cézanne, admet Zola, ce serait vouloir persuader les tours de Notre-Dame de danser un quadrille […]. Rien ne le plie, rien ne peut en arracher une concession. De fait, en art comme dans la vie, il n’accepte jamais le moindre compromis.
 

Il séjourne à L’Estaque, un village de pêcheurs proche de Marseille, et il y peint des toiles fort différentes de celles qu’il a exécutées quelques années plus tôt. Mais c’est encore loin d’être serein. Des doutes, des questions l’assaillent, il bute sur des obstacles qu’il ne sait identifier et il lui arrive parfois d’abandonner la toile qu’il a en chantier.

Celui qu’il appellera plus tard « l’humble et colossal » Pissarro l’invite à venir travailler à ses côtés. Pissarro habite à Pontoise et il est de neuf ans plus âgé que lui. Cézanne va profiter de son expérience et s’enrichir de ses conseils. Pissarro lui suggère d’éclaircir sa palette, de n’utiliser que des couleurs primaires – rouge, jaune, bleu – et leurs dérivés. Il lui montre qu’au lieu d’étaler la pâte il faut fragmenter les touches, leur donner tel aspect, telle forme, telle surface, telle orientation. Surtout, il l’engage à peindre ce qu’il voit, non ce qu’il se figure voir. Face au paysage à peindre, il doit oublier ce qu’il a appris, éviter toute projection, tenter de restituer le plus fidèlement possible la sensation qu’il éprouve.

De telles exigences sont faciles à énoncer, mais les vivre et leur apporter les solutions qu’elles appellent est une tout autre affaire. Ce n’est qu’à la fin de sa vie et après trente ans de travail que Cézanne pourra traduire avec aisance et spontanéité ce qu’il nomme sa « petite sensation ».

 

Ce séjour près de Pissarro est pour lui d’une importance décisive. Au cours de ces semaines, il comprend que son travail sur la toile doit être précédé par l’observation de ce qui se déroule en lui. Cette sensation qui sera à l’origine de l’acte de peindre, quelle est-elle ? Comment l’appréhender, la cerner ? S’il en prend conscience en essayant de la saisir mentalement, n’y a-t-il pas risque de la déformer ? Et quels moyens utiliser pour en donner un équivalent sur la toile ?

Dès lors que le peintre se pose ces questions, il ne lui est plus possible d’être spontané, et la sensation perd de sa fraîcheur.À partir de cette époque, Cézanne s’engage sur un chemin qu’il ne quittera plus, un chemin jalonné par ces questions qui se posent tant à l’homme qu’au peintre, tous deux indissociables : comment être vrai ? comment être authentique ? comment concilier réflexion et spontanéité ?

 Charles Juliet


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En hommage à cet immense écrivain décédé le 26 juillet dernier à Lyon à l'âge de 89 ans.

Ecrivain de l'intime, de l'introspection, le solitaire, le discret laisse derrière lui une  oeuvre  importante.

 

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4 commentaires:

  1. Je suis toujours émue quand je vois la Sainte-Victoire. Cézanne, bien sûr ; mais aussi, et surtout peut-être, Charles Juliet...

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    1. Je te comprends.
      J'aime également la Sainte-Victoire d'autant plus que ma famille paternelle a vécu à son pied dans un très joli village.... quant à Cézanne si bien décrit par Charles Juliet, le papa de mon papa le croisait sur la route entre Aix et le Tholonet avec son charreton ses chiffons et ses peintures pour peintre l'éternelle montagne... papa m'a toujours raconté ses traits d'histoires si importants pour moi..que je ne les ai pas oubliés.
      Douce journée à toi Marie.

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  2. J'aime Cézanne. Je pense souvent aux peintres, à mon peintre, peindre est un besoin, une vocation, pas si facile !

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  3. Merci Marine pour ton commentaire. Merci d'aimer Cézanne et les peintres en général.
    douce journée à toi.

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Par Den :
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