Le climat est rude en Haute-Loire.
Et avec elle, je m'envole dans l'autrefois, et revois tout... l'enfant qu'elle est.. souriante, gracieuse, pleine de vie.. les sabots, la neige, les doigts bleuis par le froid, parfaitement gelée Camille, les lanières du cartable trop lourd lui lacèrent l'épaule, la gamelle à réchauffer sur le poêle à charbon, gamelle préparée peut-être avec amour.
Une classe agréablement simple, fonctionnelle. Elle doit l'être.
Monsieur Chazot et sa classe unique. Un enseignement particulier pour chaque enfant, de l'apprentissage de la lecture à l'écriture, jusqu'à l'obtention du certificat d'études primaires, l'unique diplôme espéré.
A l'époque on trouve le temps. On a le temps. On ne s'interroge pas, pour quoi faire...
On le sait, on le fait.
Et on se tient tranquille.
On écoute avec attention et admiration, assis et immobile, le maître exceptionnel.
Chaque écolier séparé, ou placés deux par deux, sur le banc en bois au plateau droit ou penché, comme une piste de glisse, est éclairé en hiver par une lumière bleue qui vacille faiblement sur le cahier d'écriture ou sur le livre de lecture.
La fenêtre délibérément oubliée à la saison froide est trop haute l'été, et masque alors le paysage pour ne pas tenter le regard voyageur de l'élève rêveur. Derrière la vitre.
Il est instituteur le maître, et ne porte pas encore le nom surfait de "professeur des écoles". Il aime le travail bien accompli, finement ciselé, et ne rechigne pas sur son temps ni sur ses heures ; il transmet le savoir par le plaisir d'apprendre, développe la curiosité, oubliant l'invisible barrière de l'autorité.
Il est revêtu de sa sempiternelle blouse grise, la craie blanche est à la main, et le chiffon retenu au fond de la poche, pour effacer.
Monsieur Chazot n'impose pas. Il occupe l'écolier non étouffé par l'ennui, à apprendre à apprendre, apprendre à aimer.
Il le considère comme un individu à part entière, cultive ses particularités, ses meilleures aptitudes personnelles, développant ainsi avec enthousiasme une réelle confiance en lui.
Ce n'est pas encore la leçon magistrale ni le ba be bi bo bu qui transforme l'écolier en bête de lecture - pas en lecteur -, et qui en écho, répète inlassablement les lettres en cadence mesurée, entraîné par la baguette en bois du maître-maîtresse-maître de choeur et de chapelle, en une redoutable psalmodie sur le tableau noir dressé sur la redoutable estrade.
C'est la nouvelle lecture rationnelle qui occupe Camille, faisant suite au Grand Syllabaire.
Elle perpétue les procédés de cette méthode, et organise dans un petit tableau récapitulatif, en tête de chaque page de lecture, les sons composés et les équivalents, permettant à l'élève sans cesse de s'y reporter.
De plus, elle imprime, pour l'aider, en caractères maigres, les lettres nulles pour la prononciation, et un petit arc de cercle indique la liaison en l'accentuant.
Les en fants ai ment leurs pa rents.
L'explication se fait précise dans les deux premières parties de l'ouvrage ; la dernière et troisième partie, quant à elle, supprime complètement les signes, et propose une lecture aisée par de gros caractères.
En feuilletant d'assez près le livre de "la nouvelle lecture rationnelle par F.A. NOEL, - librairie Gedalge et compagnie - Paris", on peut s'en imprégner et comprendre que l'on ne sépare pas l'instruction de l'éducation. C'est une nécessité, il semble.
Ainsi, c'est la première leçon de morale qui rappelle les devoirs envers les parents dans une courte maxime en caractères saillants, afin de graver la morale dans l'esprit et dans le coeur de l'enfant.
"vos pa rents vous do nnent tout ce qui vous est né ces saire, vo tre pè re tra vai lle pour vous nou rrir et vous é le ver ; vo tre mè re vous pro di gue ses soins les plus ten dres.
Ce lui qui n'ho no re pas son pè re et sa mère man que au pre mier de ses de voirs".
L'en fant in grat est un en fant sans coeur.
Suivent, un bon fils, puis une deuxième leçon de morale : la désobéissance, la désobéissance punie ; puis frères et soeurs pour la troisième leçon de morale, le dévouement fraternel ; puis d'autres leçons de choses, reprennent le travail, le travail procure l'aisance, il faut tenir ses vêtements propres, les cinq sens.. puis d'autres leçons civiques sur la patrie terminent la leçon.
Ces paroles de bon sens, moralistes et vertueuses, étaient à l'usage des écoles enfantines et des classes élémentaires des écoles primaires... en 1930...
Elles apparaissent aujourd'hui comme anodines, quelquefois amusantes, pourtant comme une certitude que l'on n'a pas à apprendre, c'est une vérité, mais répétées sans cesse à ces écoliers qui ne demandent qu'à grandir, s'imprègnent vraisemblablement à jamais dans leur subconscient , indélébiles, faisant d'eux de futurs adultes peureux, dépendants et soumis.
On doit. Il faut.
Et à relire ces préceptes démodés et péremptoires à nos petits en 2012, ils sourient, refusant leurs arguments moraux, distanciés par leurs mots et leurs contenus...
"si vous ai mez bien vos pa rents, vous ai me rez au ssi vos frè res et vos soeurs. Ils ai ment la mê me mai son que vous, le mê me pa ys, le mê me pè re, et la mê me mè re. Ils sont vos com pa gnons de jeux. Ils par ta gent vos joies et vos pei nes. Ce sont vos pre miers a mis. Les frè res et les soeurs doi vent s'ai mer en tre eux et s'ai der mu tu elle ment. Les aî nés, sur tout, doi vent vei ller sur les plus jeu nes, et leur do nner le bon ex em ple.
Quel beau voyage tu nous fais faire...Même si je n' a pas connu ces écoles de la vie simples et tellement éducatives.
RépondreSupprimerAutrefois les images d' Épinal traitaient de ces sujets de moral , de ces leçons de vie...:-))
Comme tout a changé...On aime toujours , mais autrement surement...
Vaste sujet...
Je te dois un bisou pour ce moment hors du temps d' aujourd' hui...
Joli dimanche à toi
Une porte s'entrouvre dans un léger grincement, sur une autre époque que la nôtre, et pénètre dans une réalité inexplorée..
RépondreSupprimerLe voyage a commencé, là sur la page.
Une jeune écolière, Camille, ma maman, elle a neuf ans... on est en 1930... dans l'autrefois... et là je suis venue chercher un bout de conversation, dans un bout d'ailleurs, "hors du temps d'aujourd'hui"
Merci Mathilde..
bisou rendu.