mercredi 23 décembre 2020
Christophe Maé - Bouquet de roses (Session acoustique)
mercredi 9 décembre 2020
*Le sens
lundi 7 décembre 2020
Heureux anniversaire Gabri 8 ans !
8 ans
le 7 décembre 2020
Dans un coin de la toile
j'ai cueilli ces mots aimés pour toi
ce coeur 💗
Gabri
parfumé vivant et l'amour
fin velours
dans ton si-aile velouté
de musique égayée
papillonne
sur ta parfaite portée
en cascade dévalant
sur ton fond intérieur qui scintille
décroche ton étoile
sur un sentier de soie
ton bel abri d'or.
Ton amour mon horizon rougit
simple accent simple décor
m'agrandit,
me pelote
et m'en-ivre
dans le creux de tes mains
ton oeil pétillant
de mes pas sur ton chemin.
Mamy Den 💓
Les gens qui doutent - Anne Sylvestre
mercredi 2 décembre 2020
mardi 1 décembre 2020
*"Les villes de papier"
Dominique Fortier, avec "Les Villes de papier" (Grasset), a remporté le Renaudot de l'essai.
(2020)
À Fred et Zoé – ma maison
To make a prairie it takes a clover and one bee,
One clover, and a bee,
And revery.
The revery alone will do,
If bees are few.
Emily
Emily est une ville de bois blanc nichée au milieu de prairies de trèfle et d’avoine. Les maisons carrées y ont des toits en pente, des volets bleus qu’on ferme à l’approche du soir et des cheminées par lesquelles il arrive que s’engouffre un oiseau qui volera, éperdu, les ailes pleines de suie, par toutes les chambres. Plutôt que de tenter de le chasser, on l’adoptera pour apprendre son chant.
La ville compte dix fois plus de jardins que d’églises, lesquelles sont toujours désertes. Dans leur ombre tranquille poussent les campanules et les champignons. Les habitants se parlent par signes mais, comme chacun utilise ceux de son invention, ils ne se comprennent guère et préfèrent le plus souvent s’éviter.
À la saison froide, Emily se couvre de neige, et les doctes mésanges, de leurs pattes fines, viennent y écrire des poèmes tout blancs.
Amherst
Amherst, au Massachusetts, est une ville – un village – hors du temps comme de l’espace.
À la naissance d’Emily, en 1830, on y compte 2 631 habitants. À l’époque, la ville de Chicago n’existe pas. En 1890, quatre ans après la mort d’Emily, Chicago abrite 1 099 850 habitants, tandis qu’Amherst ne compte pas encore 5 000 âmes – moins une.
C’est une bourgade lettrée, qui a vu se succéder des générations d’éminents Dickinson. La ville est nommée en l’honneur de Jeffery Amherst, premier baron du nom, le même qui suggéra, lors des guerres indiennes, d’offrir aux sauvages des couvertures ayant servi à envelopper les malades de la petite vérole afin d’en finir au plus vite avec cette race exécrable.
On aurait pu mieux choisir.
Aujourd’hui, alors que nous sommes assaillis par des images qui se démultiplient à l’infini, il est stupéfiant de songer que, de celle qui fut l’une des plus grandes poètes de son pays, il n’existe qu’une seule photographie, prise à l’âge de ses seize ans. Sur ce cliché célèbre, elle apparaît mince et pâle, son long cou ceint d’un ruban de velours sombre, ses yeux noirs largement écartés exprimant une attention tranquille, avec, aux lèvres, l’ombre d’un sourire. Ses cheveux séparés au milieu sont ramenés en arrière. Elle porte une robe rayée très simple, au col clair, froncée à la taille, et tient dans sa main gauche quelque chose qui peut être un petit bouquet de fleurs. Sur une table, près d’elle, est posé un livre dont on ne distingue pas le titre. Il n’y a pas d’autre photographie la montrant plus jeune ou plus vieille, ailleurs, ou debout – ou alors elles ont été perdues, détruites. Elle n’a pas, elle n’aura jamais de jambes.
Pour toujours et à jamais, elle ne sera que ce visage. Mieux, ce masque.
Emily Dickinson est un écran blanc, une page vierge. Eût-elle plutôt choisi, à la fin de sa vie, de passer une robe bleue, nous ne pourrions rien dire d’elle.
À cinq ans, la petite Emily Elizabeth va passer quelques jours chez sa tante à Boston. En chemin, leur voiture traverse un orage violent. Des éclairs déchirent le ciel noir, la pluie frappe les vitres avec un bruit de gravillons. La tante serre l’enfant contre elle pour la rassurer. Mais la petite n’a pas peur. Fascinée, elle se penche vers la vitre froide, y appuie le front et souffle :
« Feu. »
Chez la tante, les fenêtres sont percées si haut que même en se dressant sur la pointe des pieds elle n’arrive pas à voir autre chose qu’un bout de ciel blanc. Elle grimpe sur son lit pour découvrir la rue en contrebas, les deux arbres jumeaux qui poussent de l’autre côté, les gens qui se pressent sur les trottoirs.
Elle fait un premier bond prudent, puis un deuxième, et un troisième encore, de plus en plus haut, sur le matelas en plumes d’oie qui s’enfonce mollement sous son poids. La rue saute au même rythme qu’elle, avec tous ces petits personnages, comme des soldats de plomb qu’on agite dans une boîte.— Elizabeth !
Dans l’encadrement de la porte, la tante a l’air courroucée. L’enfant cesse aussitôt de sauter et, bien droite, campée sur ses jambes courtes, répond à haute et intelligible voix :
— Je préférerais que l’on m’appelât Emily.
Un merle se pose sur l’appui de la fenêtre où Emily a semé des miettes de pain. Il a le ventre semblable à l’une de ces oranges miraculeuses qui gonflent les bas suspendus à la cheminée, la veille de Noël.
Il gobe un bout de pain, puis, en une série de trilles, se lance dans de longues histoires d’oiseau. Il y est question de vers de terre, d’une oiselle volage, d’un chapelet d’œufs bleu-vert dont l’un a mystérieusement disparu. Emily l’écoute, frémissante, tête inclinée de côté, l’œil brillant. Elle aussi prend une miette, entre le pouce et l’index, et la porte à ses lèvres. C’est son repas préféré de la journée.
Quand elle faute, c’est toujours le même péché : la gourmandise, qui la pousse à chiper une part de la tarte qui refroidit à la cuisine, ou à dérober le volume interdit dormant sur une des étagères dans le bureau de Père. Mère ne s’y trompe pas, et la punit chaque fois de la même façon, en l’enfermant seule dans une pièce, sans aucune des distractions propres à amuser les enfants. Lorsque la punition est terminée, la mère ne voit pas que sa fille en sort à regret. Il faut bien mal connaître Emily Dickinson pour s’imaginer la châtier en l’enfermant dans le silence seule avec ses pensées.
Si elle arrivait à passer une journée, une seule, sans bêtise, sans mauvaise action ni pensée méchante, sa vie entière serait rachetée par cet unique jour parfait. Mais voilà : elle n’est pas certaine de vouloir être sage. Les marguerites ne sont pas sages, pas plus que les outardes qui passent en V dans le ciel. Elles sont mieux : sauvages comme la moutarde, folles et mauvaises comme l’herbe.
Le jardin bruisse des murmures des fleurs. Une violette ne se remet pas d’être si fripée. Une autre se plaint de ce que les grands tournesols lui font de l’ombre. Une troisième lorgne les pétales de sa voisine. Deux pivoines complotent sur la façon d’éloigner les fourmis. Un lys long et pâle a froid aux pieds, la terre est trop humide. Les roses sont les pires, énervées par les abeilles, incommodées par la lumière trop vive, soûlées de leur propre parfum.
Seuls les pissenlits n’ont rien à dire, trop heureux d’être en vie.
lundi 30 novembre 2020
Gary Jules - Mad World (live)
samedi 28 novembre 2020
*Et pourquoi moi je dois parler comme toi
Elle est comédienne et vient de faire paraitre "Et pourquoi moi je dois parler comme toi", une constellation de textes écrits par des hommes et des femmes relégués dans les marges des institutions psychiatriques. Anouk Grinberg est l'invitée d'Augustin Trapenard.
La comédienne Anouk Grinberg au Musée Granet à Aix-en-Provence en juin 2019 © Maxppp / Serge Mercier
Elle vient de faire paraitre Et pourquoi moi je dois parler comme toi, une constellation de textes écrits par des hommes et des femmes relégués dans les marges des institutions psychiatriques. Anouk Grinberg est dans Boomerang. (Augustin Trapenard) (émission du 27 novembre 2020) France Inter
(à la folie)
"La vie fait de l’effet. Il faut l’encaisser, et parfois, on n’y arrive pas. Elle déglingue les gens. Il y a un droit très restreint à la singularité, et on finit par dire des gens différents qu’ils sont fous."
"Je suis née d’une femme qui avait un rapport difficile à la vie. On l’a mise dans des endroits pour fous. Je ne l’ai pas aimée, je n’ai pas réussi. Maintenant qu’elle est morte, j’ai fini par arrêter d’avoir honte d’elle, et de moi venant d’elle."
"C’est comme s’il y avait constamment en moi une bagarre, qui peut parfois être une danse, entre les forces qui veulent se replier et celles qui veulent se déployer."
"Tous les textes que je réunis sont de l’art brut. Ce sont des gens qui ont été décrétés fous. Mais certains, au lieu d’être abattus, ont fait de leur esprit une fête, se sont libérés par un langage qui est poésie à l’état pur."
"Moi, comme pour les gens dont je parle, personne n’a le droit de dire qu’on me connaît. En moi, oh la vache, c’est un bordel ! Mais laissez-moi être un oiseau, sinon je meurs. Il me faut de l’art sur la terre !"
"C’est comme si tous les humains se disaient : pour survivre dans ce monde, il faut que je sois masqué. Parce que si on voit mon vrai visage, on risque de me juger, de m’abîmer..."
Prologue :
..."Ma vie était comme ça. Une petite femme fine, intelligente, mal adaptée à la vie bourgeoise. Elle aurait voulu peindre, et elle a été mère, épouse. Comme beaucoup de ces auteurs, elle avait reçu en héritage, trop de sensibilité, et parce qu'elle n'a pas trouvé le courage d'être elle-même, ses forces se sont retournées contre elle, et c'est devenu le désespoir. Elle n'a pas su dire non à la famille qui faisait une croix sur ses désirs, elle n'a pas su dire oui à la petite voix qui devait lui parler tout bas, et elle est descendue marche après marche dans le malheur, comme dans un refuge où on n'irait plus la chercher. On la mise dans des endroits pour fous, le désespoir a prospéré avec sa litanie de délires, alors qu'elle était une lumière sur cette terre. Jusqu'à sa mort j'ai vu les gens ricaner sur son passage, la singer derrière son dos, ou l'aimer avec pitié, ou ne pas l'aimer parce qu'on n'aime pas ce qui ressemble à la folie, même quand ce n'en ai pas.
Je ne l'ai pas aimée. Je n'ai pas réussi. J'étais de la famille humaine qui se détourne.
Maintenant qu'elle est morte, sa souffrance a enfin cessé, et a cessé de me transpercer. J'ai fini d'avoir honte d'elle, et de moi venant d'elle.
On ne sait jamais bien pourquoi certaines oeuvres nous rattrapent, quelles parts de nous elles réveillent. Par un grand détour, ce sont ces hommes et ces femmes qui m'ont conduite vers cette mère, cette femme, et si j'ai négligé de son vivant toutes ses lettres affamées, je suis heureuse d'être aujourd'hui passeuse de ces textes jamais lus.
Ces êtres à fleur de peau parlent de nous tous - car qui donc est normal ?, et parlent dans des langues qui méritent une vraie place dans la littérature, pas seulement celle des fous.
Leurs textes ont exprimé les surréalistes et bien d'autres auteurs reconnus, qui se sont fouillés les méninges pour atteindre leur liberté.
Les voilà réunis dans ce livre, dédié à tous ces lumineux que le monde ne doit pas oublier.
Anouk Grinberg
jeudi 26 novembre 2020
*L'or céleste orangé
..* L'or céleste orangé...
Soleil rentré. Soleil couché.
Sans envie, sans désir.....
Suis dans l'attente de jours heureux.
Le mur en face de la fenêtre est gribouillé de graffitis d'enfants, ou jeunes adolescents en quête d'amour eux aussi.
Septembre, le 26.
Ses pampres et ses cornes d'abondance sont débordantes de fruits mûrs.
...
Je rentre de voyage. Merveilleux.
J'ai ramené dans mes bagages des figues, des oranges (mais ce n'est pas une demande en mariage !), du jasmin-roi et du sable doré pour me souvenir, et une pierre d'amour.
Toute la beauté du monde.
J'ai signé.
...
7ème jour de la perfection d'octobre.
...
Mon Amour.
Dimanche. Je désire établir pacte avec vous, et l'être subsistant. Je voudrais oublier le passé.
On nous l'a chapardé. Ce n'est pas juste.
Peut-être pourrions-nous danser ce mois-ci à la pleine lune devant la porte de notre maison où tu auras suspendu des figurines d'armoise.
C'est signé, moi.
... et nous nous sommes retrouvés sous l'arcane majeur, le temps vivant, et nos corps se sont enlacés comme avant.
Ils se sont reconnus. On n'oublie pas l'odeur de l'autre. Mais il y a toujours une petite parcelle qui ne veut pas fonctionner.
Et l'engrenage se rouille, et la machine a des ratés, et ça marche et/ou ça fatigue.
L'amour se déroule à un rythme de tortue. L'esprit a le temps de penser.
J'avais oublié.
... ça ne marche pas à tous les coups l'amour ! il faut réapprendre certains gestes, certains filtres magiques ou breuvages herbés jusqu'aux pépins de fruits.. je te flaire, mais je ne sens pas. Je te regarde sans te voir vraiment, comme à travers un sas.
Tu fais la tête, légèrement crispé.
Dénuement complet. L'amour s'est essoufflé.. il a besoin de changer d'air, d'en reprendre une bouffée.
...
... et de nouveau, je m'enfuis, loin de toi.. de nouveau je me tire, de nouveau je fais la malle dans ma tête.
D'accord pour la cavale, mais sans toi, mon Amour. Je m'escapade, seule sur mon manuscrit, à l'abri de toi, seule, là le cercle se referme sur les soucis, à l'abri d'eux.
J'ai monté un rempart entre toi et moi.
Me voilà sauvée.
Âpre joie.
...
le 10 octobre.
Le Dieu des vendanges se fatigue lui aussi après avoir transformé en une subtile alchimie les raisins mûrs en un breuvage sacré, véritable nourriture spirituelle initiatrice de la connaissance et de l'immortalité.
...
Les mots ne passeront pas la frontière.
Ils sont dans le livre, abrités.
Sauvés les mots.
Sauvée.
Den
Année 1998-1999
...
samedi 21 novembre 2020
*Plume
Douce affinée
Céleste poétesse
Du visible azuré
Murmuré
Au-delà du perceptible du connu de l'inconnu
Tu voles dans l'immensité qui touche l'âme
Dans l'illimité de l'abord de l'intime
En avant du temps
De l'infini du champ
A la pesée du coeur
Tu danses.
Tu sais l'après-vie, tu couches le soleil sa lumière son ombre
Ange du précieux du profond
De l'imaginaire
De la belle plume
Du bel écrit la messagère.
Den
*****
jeudi 19 novembre 2020
*Rougeoiement
Le rougeoiement des branches
Comme des braises de feu
Illumine la page et s'épanche
Embrasé
Sur le jour scintillant.
Le rouge à la sève des choses sucrées
Divin sacré
Aimant.
L'émeraudine emmitouflée
Le corindon et son saphir
Son rubis rare étincelle
Eclatant.
Chantant
Comme sa flamme crépite
Et grille le fusain de l'âtre
Entre brindilles et sarments.
Brûlant
L' amour accroché
dans le miroir du ciel aux yeux pâles
où le rêve est haut.
Dans le souffle esquissé de l'alizé
qui se perd réanimé.
Den
*Dans un grain de sable, un pétale de fleur
Auguries of innocence
(Présages d'innocence)
....Ecrire si beaux les mots de l'instant et de l'heure qui se reposent ... nous emmener avec eux sur les chemins de traverse occupés à regarder, , et partir haut dans des envolées lyriques quand le peu occupe l'espace, emportant ainsi la vie divertissante dans ses plus belles couleurs...le p'tit le sait d'instinct, comme le sage.. n'est-ce pas ? quand la page appelle et convie à découvrir l'infini dans les plus petites choses..
Den
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lundi 16 novembre 2020
dimanche 15 novembre 2020
samedi 14 novembre 2020
*Colette
"Peut-être que tu dis, pendant que je tremble sur le seuil retrouvé" : "Ce n'est qu'une vieille maison..". " Entre. Je vais t'expliquer".
Colette
Citation extraite de "Dimanche".
Le Voyage égoïste" - 1928
La maison de Colette : une mémoire à sauver
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Lors de son ouverture en avril-mai 2016


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mercredi 11 novembre 2020
*Pas même le bruit d'un fleuve (2)
"Simone aime ces instants où elle sent son corps s'engourdir. Puisque l'eau ne connaît pas le temps, il cesse alors de s'écouler. Elle ferme les yeux et synchronise machinalement le mouvement de ses bras à celui de sa tête qui se tourne tantôt vers la droite tantôt vers la gauche, elle respire au moment où son bras passe juste au-dessus des eaux et revient claquer contre les vagues.
Elle nage, et tant qu'on nage, se dit-elle, on ne peut pas se noyer. Elle aime sentir que chaque séquence éloigne un peu plus les pensées, car on ne pense pas lorsqu'on nage, il y a trop de mondes - celui du tumulte et de la beauté, celui du vide qui happe et du plein qui soutient - , trop de mondes pour que celui de la pensée puisse s'immiscer.
Combien de temps dure la nuit ?
La marée est haute, les vagues fortes. Mais Simone ne les voit pas, elle nage, ses jambes marquent une cadence régulière, et lorsqu'une vague survient au moment où elle ouvre la bouche pour respirer, elle recrache sans effort l'eau salée qui goûte les larmes, goût ce vide qu'aucune mer ne pourrait noyer. Elle nage - il n'y a pas de rive à atteindre, se dit-elle, c'est bon d'être un moment libérée, de ne plus lutter contre les courants qui font basculer, d'agiter les bras et les jambes sans réfléchir, et de s'en remettre à l'aiguille du temps qui tourne, quoi qu'il arrive. A moins que ce soit cela, vivre, entrer dans le courant sans contourner les récifs et les hauts-fonds, sans éviter les pierres que la marée aura tôt fait de projeter sur la grève ? Le ciel est parfois une consolation, lorsque aucun oiseau noir n'en raye la surface, ce bleu devient un refuge auquel la terre se raconte et
parfois elle paraît attendrie
qu'on l'écoute si bien,
alors qu'elle montre sa vie
et ne dit plus rien.
Simone lève la tête. A travers le brouillard léger qui frissonne au-dessus des eaux, elle croit apercevoir quelque chose, une barque ou peut-être un rocher, un de ces rochers difficiles à percevoir et qui écorchent les coques des bateaux téméraires.
Vers quelle île suis-je en train de dériver ? se demande-t-elle. Une île où l'on n'existe plus vraiment, où l'on cherche un point de clarté au milieu de la nuit, une source vers laquelle on est ramené, un rivage qui pourrait être un début du monde ou de notre propre existence, le rien qui cogne sur le rien et engendre des millénaires, quelques atomes au creux du néant, et cela suffit pour que la vie commence".
Hélène DORION
Pas même le bruit d'un fleuve
Alto
mardi 10 novembre 2020
*Îles
Îes Eparses vous ouvrez mes yeux
Glorieuses idylliques sur les chemins merveilleux
Vos plages sur les bancs de sable fin, rieuses
Chaudes immaculées
Miettes de corails, ilots de coraux,
Des mers et leurs joyaux,
Leurs coquillages, trésors ou épaves
En votre coeur plein de mystères....
Petit morceau de France, infimes confettis
Pastilles préservées
Aux eaux turquoises remplies d'énigmes calmes
Fantasques
Requins gardiens des mers, tortues de l'océan indien
Lointain
Poétique,
Mythique,
Refuge onirique,
Symboles du Vide et du Néant
Je pars avec toi, vous, l'équipée marine
Je me sépare de mon côté coumarine
De mon quotidien,
Je vous contemple, mer et ciel, lagon,
Le bleu l'horizon,
Le port est bon
Là où les oiseaux vagabondent
Quand l'onde pousse l'onde
Veilleurs des chemins de ronde.
L'aube relève son cap, s'allonge
Une perle au soleil couchant,
Au soir tombant.
L'écriture est fragile
Le bateau dort, avance dans la nuit du bout du monde
Il ressent les heures cosmiques
Attendant le soleil après l'astre de miel
Dans l'immanence du temps présent
"Où tout est intérieur à tout"
Qui n'oublie pas l'ancre de l'utile du vivant
La course frénétique
De l'élan du vent.
Den
lundi 9 novembre 2020
*Pas même le bruit d'un fleuve (1)
"Combien de jours vivrons-nous ?
La question est aussi brutale qu'incongrue ? Si on l'esquive, les années peuvent s'égrener sans qu'on les voie. A la fin, il ne resterait que des heures qui ont glissé comme l'eau d'une rivière rejoint le fleuve, rejoint la mer, et ne laisse aucune trace de ce passage.
Je ne crois pas que ma mère se soit jamais posé cette question. Chaque jour semblait pour elle un exercice de survie. Entre les moments où je la voyais accomplir les tâches de la maison, ceux où elle paraissait joyeuse avec ses amies, ou les autres où, avec mon père, c'était la guerre, il lui arrivait de s'arrêter, de fixer le vide comme un ailleurs qui l'aspirait. Si j'essayais alors de lui parler, je butais contre son absence. Le visage de Simone me devenait étranger, ce n'était plus ma mère qui était là, mais une inconnue. Encore aujourd'hui, je ne peux dire que je connais toute l'histoire.
Mais sait-on jamais la vérité entière de nos parents ?
KAMOURASKA, 1949
VIVRE, C'EST SUIVRE LES TRACES DE L'ENFANT QU'ON A ETE
A cette hauteur du fleuve, l'horizon est sans rivage. On peut dire la mer. Ici, les tempêtes nous dérobent le ciel, et parfois même nos rêves.
Comme les arbres, dont les branches sont d'inextricables enchevêtrements, poussent en emprisonnant d'autres arbres, chaque histoire se fraie un chemin entre la vie et la mort. On n'en devine jamais toutes les racines et les points de vacillement qui font qu'elle casse. Ou bien elle ne casse pas et se rapproche des étoiles qui l'éclairent légèrement. Nous ne sommes pas très différents de ces forêts clairsemés d'arbres hauts semblables à des amas d'ossements qui défient le ciel, mais peuvent d'un moment à l'autre se disloquer.
Nos racines courent sous le sol, invisibles, impossibles à déterrer toutes. On peut essayer d'en arracher une, espérer qu'elle nous mènera vers une autre qu'on pourra dégager, elle aussi, et ainsi de suite jusqu'à ce qu'on perçoive un sens à cette histoire, qu'on appelle notre vie .
Simone s'avance sans hésiter dans l'eau glacée. Elle sait qu'il n'y a pas de seuil, on n'y pénètre que brutalement, ses pieds s' enfoncent dans le sable froid, elle affronte les premières vagues, et avance encore, jusqu'à ce que l'eau atteigne ses hanches. Alors elle plonge. Ce n'est qu'après un long moment qu'elle émerge à la surface pour respirer.
Combien de temps dure une nuit ? se demande-t-elle avant de se laisser glisser dans l'eau sombre. Rien ne fait peur à ceux qui ont tout perdu. La mer devient une cage d'obscurité. Mais Simone ne craint ni le froid ni le noir qui durera peut-être. Bientôt ses mains toucheront les algues et la boue, elle descend encore et croit retrouver le tableau accroché dans le salon de la maison familiale qu'elle regarde si souvent, persuadée que cette oeuvre, le rêve des profondeurs, lui apprend à mieux voir, à mieux saisir les mouvements de la vie contre lesquels elle se débat, les formes qui se dissolvent et en recréent aussitôt de nouvelles - c'est donc ainsi que l'on peint, ainsi que l'on doit vivre, se dit-elle, en fixant le vaste désespoir qui se déplace en elle, et avale lentement tout le bleu".
(....)
Hélène DORION
"Pas même le bruit d'un fleuve"
(alto)
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samedi 7 novembre 2020
vendredi 6 novembre 2020
*L'automne
L’Automne
Sois le bienvenu , rouge Automne,
Accours dans ton riche appareil,
Embrase le coteau vermeil
Que la vigne pare et festonne.
Père, tu rempliras la tonne
Qui nous verse le doux sommeil ;
Sois le bienvenu, rouge Automne,
Accours dans ton riche appareil.
Déjà la Nymphe qui s’étonne,
Blanche de la nuque à l’orteil,
Rit aux chants ivres de soleil
Que le gai vendangeur entonne.
Sois le bienvenu, rouge Automne.
Théodore de Banville (1823-1891)
Les cariatides
lundi 2 novembre 2020
dimanche 1 novembre 2020
samedi 31 octobre 2020
La 27ème retrouvailles de Willy Ronis
merci Dé du Chant du Merle
pour cette découverte !
Doux week-end à vous toutes, tous.
Den
Une histoire touchante pour ces trois pélerines.
jeudi 29 octobre 2020
*L'échelle des Jacob
À Jeannette
« Il est facile d’aimer les gens dans le souvenir ; la difficulté est de les aimer quand ils sont en face de vous. »
JOHN UPDIKE,
Les Larmes de mon père.
Prologue
Comment suis-je arrivé à être ce que je suis ? J’ai longtemps eu la résolution d’écrire un livre sur les miens, mes origines, ma relation avec mon père, ma mère, mais je n’étais pas prêt. Le temps s’est accéléré, les affres du doute se sont estompées et surtout un événement que rien ne laissait prévoir s’est produit. La découverte chez mon frère d’une mallette de documents familiaux dont j’ignorais l’existence. Le déclic se produisit. Je me lançai dans mon travail pour ne plus l’interrompre, même si mes parents ne sont plus là pour me souffler à l’oreille une précision ou un secret.
Le contenu de la boîte rouge en carton bouilli dépassa mes espérances et réveilla en moi des souvenirs profondément enfouis qui eux-mêmes en ranimèrent d’autres : calepins, notes, faux papiers pendant la guerre, photos dont l’une où je reconnais difficilement ma mère tant elle semble famélique, lettres qui marquèrent l’histoire de mes ancêtres dont une demande en mariage datée de 1901. Il y avait aussi le livret militaire de mon père : ses deux guerres, sa citation à l’ordre de l’armée, sa période de prisonnier en Allemagne. Et aussi son carnet d’artilleur dévoilant des calculs compliqués même si très vite, en 1939, les canons se sont tus… De quoi se plonger dans les différents théâtres d’opérations et transcrire une histoire familiale qui, autrement, ne s’appuierait que sur des réminiscences de récits recouverts par des strates d’autres récits, alors qu’ici, la vérité est palpable.
Des lettres parlent d’amour. D’autres s’adressent à de petits enfants, nous.
Est-ce que des documents de toute sorte qui ont traversé des dizaines d’années, survécu à des guerres, des déménagements, des séparations, permettent de retracer des vies, d’en comprendre les méandres, de rétablir une saga ? Sans doute insuffisamment. Mais ils offrent l’occasion de faire renaître des moments oubliés tant ils font figure de tire-mémoire. Et si par hasard ils induisent en erreur, ouvrant la voie à des scènes en partie supposées, aucune importance : nous ne sommes pas dans le travail de l’historien qui doit vérifier chaque élément, rassembler les preuves, citer ses sources ; nous sommes dans une opération de séduction : ma famille mérite-t-elle qu’on lui consacre tout ce temps, moi pour la décrire, vous pour en lire les aventures ? Et si je ne les raconte pas, qui d’autre le fera ?
Bref, c’est maintenant ou jamais.
Première partie
Le sous-lieutenant Jacob
(1914-1929)
Aucun de ceux qui l’ont vécue n’a oublié cette journée du 25 juillet 1918. Dès le matin, le vent d’est fait frissonner les arbres et pencher les luzernes de la rive gauche de l’Aisne. Il y eut d’abord deux obus avant-coureurs tombés trop loin. Des 170 ou des 245, en tout cas de gros calibres. Puis on n’entendit rien d’autre que le grondement sourd, continu et ouaté de l’artillerie allemande qui tonnait au loin derrière une boucle de la rivière. Quand un obus s’abattait sur les hommes, le chuintement sec de l’air fendu en deux par le projectile était perçu trop tard pour leur laisser le temps ne serait-ce que de courber la tête. À quoi du reste aurait servi aux nôtres de se baisser – on bourrait sa pièce, on faisait feu, on rechargeait. De temps en temps, sur l’ordre de l’officier, on ajustait. À l’inverse, quand on était salement touché, on mourait sans que personne puisse empêcher ce massacre.
Parce qu’elles étaient installées en retrait des lignes d’assaut qu’elles appuyaient, les batteries d’artillerie passaient pour moins exposées. Tirées par des chevaux, elles se déplaçaient la nuit afin d’éviter le pilonnage incessant des canons à longue portée et des tirs de l’aviation allemande qui, de jour, piquaient sur nos positions en des attaques miaulantes. Quand elles ne coupaient pas à travers champs, les batteries passaient par des villages abandonnés dont les trous de shrapnells et les pans de mur noircis disaient l’intensité des combats.
Le 17 juillet, suivant les ordres de l’état-major, la 8e compagnie du 8e régiment d’artillerie de campagne se porte en avant de Ressons-le-Long jusqu’au Chat embarrassé. La surprise des Boches est totale. Ils reculent. Dans la nuit du 17 au 18, à cinq heures, les batteries 3, 1 et 2 suivent l’infanterie sous le feu des mitrailleuses et des mortiers. Le 19, elle est en place à l’est de Fosse-en-Haut, le 20 à La Barre, puis à La Croix-Saint-Créaude et, le 25, au ravin de Pernant après avoir repris haleine.
C’est là, front stabilisé, que la chose va se produire.
La pluie tombe sans discontinuer sur la lisière des champs et des bois, fait patauger les chevaux déjà fourbus dans une fange qui n’épargne ni les pantalons rouges ni les capotes des artilleurs. De cette couche visqueuse, le pied doit se décoller à chaque pas. La position est dure à tenir, continuellement bombardée y compris par des tirs d’obus toxiques, dominée qu’elle est par les hauteurs de la rive droite de l’Aisne.
Évaluer les distances au télémètre, surveiller à la jumelle les contreforts d’où pourrait dévaler à tout moment l’ennemi n’est pas mince affaire, d’autant que les batteries voisines semblent par moment manquer de munitions alors que la contre-attaque nécessite un feu ininterrompu. À force de reculer ou d’avancer pour couvrir l’infanterie, les chevaux sont désorientés sous le fracas de la bataille et se cabreraient s’ils n’étaient couplés par deux et freinés par le poids des canons qu’ils traînent.
Tandis que se déroule la deuxième bataille de la Marne où une masse énorme de fantassins est engagée, la 2e batterie est soumise à des tirs roulants de gros calibre. L’aspirant qui la commande consulte sa carte. Ensuite, il inspecte à la jumelle un chemin qui serpente dans la colline sur la gauche avant de plonger puis de remonter vers un petit bois. Il perçoit comme un reflet lumineux sur un objet métallique. La sensation n’a duré qu’un instant mais suffisamment pour le mettre en alerte. Il voudrait confirmation de ce qu’il a cru voir. Soudain, un sifflement rapide juste devant lui : l’abri d’une des pièces de canon est écrasé sous un 150, ensevelissant dans la boue trois canonniers et blessant les trois autres. Le reste du personnel de la batterie se précipite dans l’entonnoir ainsi créé et commence à dégager les survivants qu’une gerbe de terre a entièrement recouverts.
L’aspirant, lui aussi, s’est précipité. Il soulève, sous un déluge de feu, le lieutenant Richard dont une balle a fracturé la cuisse. Mais une vive douleur le fait lâcher prise : il vient de recevoir à son tour un éclat d’obus qui lui a percé le flanc droit à quelques millimètres du foie. Aussitôt, sa vareuse se teinte de rouge. Il se croit fichu. Il se sent mal. Il est à moitié enseveli.Les blessés sont dégagés à mains nues puis transportés par les servants survivants accomplissant un effort surhumain pour avancer dans la boue. Ensuite, lors d’une brève accalmie, ils sont évacués jusqu’à une tranchée protégée des balles de mitrailleuses, puis vers l’arrière, où on est soigné. Malgré la douleur, leur intention est simplement de survivre.
Cet acte de bravoure, un parmi des milliers d’autres de la guerre de 14, c’est mon père qui l’a accompli. Le futur lieutenant à deux galons Jacob, André, Robert, né à Nancy le 25 juin 1897 à quatre heures, avait vingt et un ans et il aimait la vie.
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Après avoir reçu les premiers soins dans son hôpital de campagne – il avait perdu beaucoup de sang et la plaie s’était rouverte quand le chirurgien avait retiré le fragment d’obus –, André fut transporté à l’hôpital d’Orléans. La blessure se refermait lentement, les douleurs s’amenuisaient mais le médecin-major ne comprenait pas pourquoi la fièvre persistait. « C’est une autre pathologie », suggéra la bénévole qui lui était affectée. Abruti par les médicaments qu’on lui administrait, il ne se rappellera guère cette période quand je l’évoquerai avec lui beaucoup plus tard, mais il n’a pas oublié la jeune soignante. Son frère Pierre venu le visiter lors d’une permission envoya un câble à Jeanne et Auguste, leurs parents : « André tiré d’affaire stop infirmière te ressemble stop guérison en vue stop », soit douze mots, compta le préposé au bureau de poste. À Nancy, Auguste lit la dépêche à Jeanne qui soupire, les larmes aux yeux. Vivant, il est vivant !
Quoi qu’il en soit, André se remettait de jour en jour et une convalescence sur place fut décidée. Il pouvait marcher sans trop souffrir et la consigne était de ne pas faire d’effort. Paule l’infirmière l’escortait jusqu’au jardin où d’autres blessés se traînaient. C’est là qu’un colonel qu’on avait dû amputer d’une jambe lui apprit le bridge. Il lui trouva des dispositions mais André préférait les moments où Paule s’occupait de lui, le pansait, l’aidait pour la toilette. Il sembla à André qu’il ne lui était pas indifférent. Paule était vive, brune, bien proportionnée. André, de son côté, n’avait que peu d’expérience sentimentale. Son frère Simon l’avait emmené une fois au bordel de la rue des Loups à Nancy : l’affaire, d’un professionnalisme hygiénique, n’avait duré que quelques minutes et André n’y était pas retourné.
Août-septembre 1918. En attendant la victoire, les nôtres tiennent et les renforts, surtout les jeunes recrues américaines, montent au front pour remplacer les blessés et les morts.
André apprit avec délice sa citation à l’ordre du régiment et reçut des fleurs de l’officier qu’il avait sauvé, bouquet qu’il s’empressa d’offrir à Paule. Pendant sa convalescence, il alla voir ses parents sans évoquer la jeune femme. Elle était son jardin secret. Surtout, les millions de soldats tués, les familles stoïques mais décimées, les villes ravagées, bref la situation dramatique qui occupait les esprits n’incitait pas aux confidences. Il aurait voulu pouvoir retourner au front et voilà qu’il était pris au double piège d’une incapacité physique et d’un béguin d’étudiant pour sa prof. Mais justement, il n’était plus étudiant et elle pas sa prof, ou pas dans le sens où on l’entend. On n’en était pas à la communauté des destins. Leur idylle était problématique quels que soient leurs élans.
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Leur aventure dura quelques semaines. Le sous-lieutenant Jacob avait été affecté dans un bureau du ministère de la Guerre et Paule n’avait guère de permissions pour se rendre à Paris. Bien sûr, aucun fardeau ne pesait sur leur relation mais André l’aidait par moments à oublier la présence de la souffrance et de la mort. Il avait déniché une chambre de bonne près du boulevard Saint-Germain. Quand elle pouvait s’échapper, ils restaient cloîtrés en cure de rattrapage, et maintenant qu’il était guéri, tous deux s’y aimèrent. La première vraie nuit qu’ils passèrent ensemble, André avait craint que son habileté ne soit mise à l’épreuve mais les femmes sont expertes à faire franchir ce passage, à plus forte raison une infirmière.
Il témoignait donc d’une double gratitude. Jamais Paule ne s’accrocha, jamais elle ne demanda quoi que ce soit comme d’être épousée par exemple. Quelle idée ! Simplement, un jour qu’il l’attendait, elle ne vint pas. Elle lui envoya un mot pour dire – vrai ou pas – qu’elle était mutée à Marseille et qu’elle lui souhaitait tout le bonheur du monde.
Il eut la sensation d’étouffer. Il ouvrit la fenêtre, se pencha : au loin, boulevard Saint-Germain, les passants se hâtaient.
La guerre allait s’achever, le retour à Nancy se profilait, la famille, une vie toute neuve… André peina à se convaincre qu’il n’y avait dans cette fuite rien que de très raisonnable. C’était si abrupt ! Ainsi vont les amours en temps de guerre, comme s’il s’agissait d’amourettes de vacances ; pourtant, la mort qui avait présidé à leur rencontre conférait à leur union un caractère sacré : même brièvement, la belle infirmière lui avait révélé sa virilité et procuré un trouble inexprimable. Il ne revit jamais Paule ni ne sut ce qu’elle était devenue. Mais plus tard, il lui arriva d’évoquer leur histoire avec une tendresse infinie. Et si ç’avait été elle, la meilleure femme dont il puisse rêver ?
Le 12 mars 1919, André est détaché au centre de préparation au concours des grandes écoles de Metz, promu lieutenant au Journal officiel du 11 juillet et mis en congé illimité de démobilisation le 22 septembre.
Devant le front des troupes, son colonel lui remet la croix de guerre avec palme. Pourtant, il avait agi sans réfléchir. Mais entre lui et Gaston Richard, ce fut à la vie à la mort, comme son ami eut l’occasion de le lui prouver des décennies plus tard. Cet épisode où il avait failli laisser sa peau lui avait appris à braver le danger, enseigné la satisfaction du travail accompli, et il se montra pour le reste de son existence – ou presque – un homme de devoir.
La famille a donc donné de son sang. Je repense au récit pudique que m’a fait mon père de son acte de bravoure. Je l’identifie à celui, non moins héroïque, de son neveu François, blessé lui aussi vingt-cinq ans plus tard à Mortain, dans la Manche, en prenant part à la libération de la France. Et aujourd’hui, des années et des années plus tard, je rapproche ces faits d’armes des nombreuses profanations de stèles dans des cimetières juifs. Découvrir les miasmes du présent à la lumière du passé est souvent source d’amertume et de colère.
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Si j’acceptai, en 2018, l’invitation du salon du livre de Nancy à venir signer un de mes livres, c’est que je ressentis le besoin d’explorer la ville où mon père avait vécu jeune, et d’imaginer le jeune homme qui, à treize ans, déambulait place Stanislas. À quoi pensait-il ? Sûrement pas à la guerre toute proche. Quelles étaient ses aspirations, sa joie de vivre ou ses peurs secrètes, où courait-il de si bon matin ? Mes recherches furent vaines : je ne retrouvai ni la rue ni la maison, et ne réussis pas davantage à imaginer l’enfant qu’il avait pu être. Au Grand Hôtel de la Reine, ce jour-là, la présence de deux gardes armés, oreillette branchée, à deux pas de la chambre qui m’avait été assignée, témoignait d’une autre sorte de guerre : renseignements pris, c’était pour protéger d’une attaque terroriste un grand écrivain menacé, Salman Rushdie.
Il ne me serait jamais venu à l’idée de comparer nos itinéraires. Mon père était premier partout – en préparant Polytechnique, en s’engageant sous les drapeaux avant l’âge requis, dans le cœur de ma mère, dans les affaires plus tard, alors que j’étais l’éternel second pour ne pas dire pire, mais avec lui j’avais au moins un point commun : nous étions le dernier des enfants de notre génération.
Et puis lui et moi avions renoncé aux grandes écoles que nous avions préparées : moi, Normale sup, et lui, Polytechnique. Les quelques semaines qu’il passera au centre de préparation de Metz le convaincront qu’il n’est plus des leurs. À vrai dire, il ne pouvait que quitter le système universitaire, tant s’était installé en lui une sorte de déracinement. Désormais la vie ne sera jamais plus comme avant, il avait vécu trop de choses horribles, dramatiques ou pathétiques. Il avait passé un cap, grandi, vieilli. Il avait désormais envie de s’amuser, de rencontrer des filles de son âge, de flirter, de jouer au tennis. Avant de gagner la sienne, il était mûr pour la vraie vie. Peu d’hommes étaient rentrés, les survivants n’avaient souvent qu’un bras, une jambe. Raison de plus pour que les filles s’intéressent à lui : il était beau, sa cicatrice ne se voyait que lorsqu’il faisait l’amour, qu’importe alors s’il ne savait quelle direction donner à sa vie. Il n’avait que vingt et un ans, après tout.
Mais voici qu’Auguste lui propose de rejoindre son bureau où Simon et Pierre sont déjà au travail. Les affaires lui feront oublier la guerre, sa blessure, son héroïsme. Changer de carrière, pourquoi pas ? L’amusant, c’est qu’il en sera de mêmepour moi, cinquante-huit ans plus tard. Lui passe de futur ingénieur à marchand de biens, moi de secrétaire général dans l’industrie à directeur de festival de cinéma. Mais quand il prend sa décision, il a vingt ans, moi quarante-six ! Le fossé à franchir est bien plus large.
Pour une famille où la rage de réussir est chevillée au corps, Nancy ne suffit plus. Auguste l’avait prédit, c’est la capitale qu’il leur faut désormais : à nous cinq, Paris ! Les Rastignac de l’immobilier se mettent aussitôt en campagne : ils fondent la société « Auguste Jacob et fils » (A.J.F.) qu’ils installent boulevard Malesherbes, trouvant pour eux-mêmes un logement 21, rue du Colonel Moll, dans le dix-septième arrondissement.
Mais les Jacob déchantent vite : Paris appartient à des groupes peu disposés à partager. Ils seront plus à l’aise à la campagne où ils ne se limiteront pas à des ventes d’appartements et où ils respireront à pleins poumons.
Pas question, bien sûr, de retourner dans l’Est. La Normandie, en revanche, leur tend les bras : bois, châteaux, fermes, lourds pâturages, gros bourgs cossus nichés dans les vallées, la Seine que remontent péniches et oiseaux de mer. Pour un peu, Emma Bovary tendrait les bras au premier de ces messieurs.
La fratrie se répartit le territoire : Simon l’Eure dans un triangle Bernay, Evreux, Vernon ; André la Seine-Inférieure de Rouen jusqu’à Dieppe ; Pierre le Calvados, de Vire à Honfleur. Auguste restera pour tenir le bureau. Quel chemin parcouru depuis que le petit paysan décide d’acheter un champ, le coupe en deux, en revend la moitié au prix qu’il a payé le tout.
En Moselle, il a beaucoup travaillé, il s’octroie de souffler un peu.
Gilles Jacob