samedi 28 novembre 2020

*Et pourquoi moi je dois parler comme toi

 

 

 Elle est comédienne et vient de faire paraitre "Et pourquoi moi je dois parler comme toi", une constellation de textes écrits par des hommes et des femmes relégués dans les marges des institutions psychiatriques. Anouk Grinberg est l'invitée d'Augustin Trapenard. 

 

 

La comédienne Anouk Grinberg au Musée Granet à Aix-en-Provence en juin 2019 

La comédienne Anouk Grinberg au Musée Granet à Aix-en-Provence en juin 2019 © Maxppp / Serge Mercier

 

Elle vient de faire paraitre Et pourquoi moi je dois parler comme toi, une constellation de textes écrits par des hommes et des femmes relégués dans les marges des institutions psychiatriques. Anouk Grinberg est dans Boomerang. (Augustin Trapenard) (émission du 27 novembre 2020) France Inter

(à la folie)

 

"La vie fait de l’effet. Il faut l’encaisser, et parfois, on n’y arrive pas. Elle déglingue les gens. Il y a un droit très restreint à la singularité, et on finit par dire des gens différents qu’ils sont fous." 

"Je suis née d’une femme qui avait un rapport difficile à la vie. On l’a mise dans des endroits pour fous. Je ne l’ai pas aimée, je n’ai pas réussi. Maintenant qu’elle est morte, j’ai fini par arrêter d’avoir honte d’elle, et de moi venant d’elle."

"C’est comme s’il y avait constamment en moi une bagarre, qui peut parfois être une danse, entre les forces qui veulent se replier et celles qui veulent se déployer."

"Tous les textes que je réunis sont de l’art brut. Ce sont des gens qui ont été décrétés fous. Mais certains, au lieu d’être abattus, ont fait de leur esprit une fête, se sont libérés par un langage qui est poésie à l’état pur."

"Moi, comme pour les gens dont je parle, personne n’a le droit de dire qu’on me connaît. En moi, oh la vache, c’est un bordel ! Mais laissez-moi être un oiseau, sinon je meurs. Il me faut de l’art sur la terre !"

"C’est comme si tous les humains se disaient : pour survivre dans ce monde, il faut que je sois masqué. Parce que si on voit mon vrai visage, on risque de me juger, de m’abîmer..."

 

Prologue :

..."Ma vie était comme ça. Une petite femme fine, intelligente, mal adaptée à la vie bourgeoise. Elle aurait voulu peindre, et elle a été mère, épouse. Comme beaucoup de ces auteurs,  elle avait reçu en héritage, trop de sensibilité, et parce qu'elle n'a pas trouvé le courage d'être elle-même, ses forces se sont retournées contre elle, et c'est devenu le désespoir. Elle n'a pas su dire non à la famille qui faisait une croix sur ses désirs, elle n'a pas su dire oui à la petite voix qui devait lui parler tout bas, et elle est descendue marche après marche dans le malheur, comme dans un refuge où on n'irait plus la chercher. On la mise dans des endroits pour fous, le désespoir a prospéré avec sa litanie de délires, alors qu'elle était une lumière sur cette terre. Jusqu'à sa mort j'ai vu les gens ricaner sur son passage, la singer derrière son dos, ou l'aimer avec pitié, ou ne pas l'aimer  parce qu'on n'aime pas ce qui ressemble à la folie, même quand ce n'en ai pas.

 Je ne l'ai pas aimée. Je n'ai pas réussi. J'étais de la famille humaine qui se détourne. 

Maintenant qu'elle est morte, sa souffrance a enfin cessé, et a cessé de me transpercer. J'ai fini d'avoir honte  d'elle, et de moi venant d'elle. 

 On ne sait jamais bien pourquoi certaines oeuvres nous rattrapent, quelles parts de nous elles réveillent. Par un grand détour, ce sont ces hommes et ces femmes qui m'ont conduite vers cette mère, cette femme, et si j'ai négligé de son vivant toutes ses lettres affamées, je suis heureuse d'être aujourd'hui passeuse de ces textes jamais lus.

Ces êtres à fleur de peau parlent de nous tous  - car qui donc est normal ?,  et parlent dans des langues qui méritent  une  vraie place    dans la littérature, pas seulement celle des fous. 

Leurs textes ont exprimé les surréalistes et bien d'autres auteurs reconnus, qui se sont fouillés les méninges pour atteindre leur liberté. 

Les voilà réunis dans ce livre, dédié à tous ces lumineux que le monde ne doit pas oublier.


Anouk Grinberg

 

 

 

 

6 commentaires:

  1. C'est curieux, tu parles d'art brut et d'instituts psychiatriques; je viens de terminer Un lieu sans raison qui parle de Marguerite qui créa en asile (St- Alban) la fameuse robe de Marguerite exposée au musée d'art brut de Lausanne (et collection Dubuffet). La fin surtout en est bouleversante, l'auteur: Anne- Claire Decorvet

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    1. Je ne connaissais pas Anne-Claire Decorvet et son "lieu sans raison" qui traite du même sujet que mon billet... le lirais probablement ! tu as remarqué que souvent nous sommes sur la même longueur d'onde !
      "qui se ressemble s'assemble".
      Bisous à toi.

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  2. « Je suis née d’une femme qui avait un rapport difficile à la vie. On l’a mise dans des endroits pour fous. Je ne l’ai pas aimée, je n’ai pas réussi. Maintenant qu’elle est morte, j’ai fini par arrêter d’avoir honte d’elle, et de moi venant d’elle.

    "C’est comme s’il y avait constamment en moi une bagarre, qui peut parfois être une danse, entre les forces qui veulent se replier et celles qui veulent se déployer.»

    Ce passage m'a fortement interpellée. Comme chaque fois que l'on entre en collision intellectuelle avec quelqu'un qui vit la même chose que soi.
    Merci Den
    •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

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    1. Ses mots sont très troublants et si tu écoutes l'émission d'Augustin Trapenard - sur France inter - boomerang - du 27 nov. 2020 - Anouk Grinberg - à la folie, (par Google) tu comprendras à sa voix fêlée la souffrance qu'elle a endurée, et la difficulté qu'elle a encore à en parler. Tu l'aimeras encore plus et comprendras sa blessure !
      Je te remercie.
      Bonne soirée.
      Je t'embrasse fort.

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  3. ton billet d'aujourd'hui me donne envie d'entrer dans ce livre!

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  4. Merci Marie. Je te conseille (voir ma réponse à Célestine)d'écouter en différé l'émission d'Augustin Trapenard - sur France inter - Boomerang - du 27 nov. 2020 - Anouk Grinberg - à la folie, (par Google) ; écouter l'auteur en parler est extrêmement émouvant.
    Douce journée.

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Par Den :
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