mercredi 11 novembre 2020

*Pas même le bruit d'un fleuve (2)

 


 

 

 

 

 "Simone aime ces instants où elle sent son corps s'engourdir. Puisque l'eau ne connaît pas le temps, il cesse alors de s'écouler. Elle ferme les yeux et synchronise machinalement le mouvement de ses bras à celui de sa tête qui se tourne tantôt vers la droite tantôt vers la gauche, elle respire au moment où son bras passe juste au-dessus des eaux et revient claquer contre les vagues.

Elle nage, et tant qu'on nage, se dit-elle, on ne peut pas se noyer. Elle aime sentir que chaque séquence éloigne un peu plus les pensées, car on ne pense pas lorsqu'on nage, il y a trop de mondes - celui du tumulte et de la beauté, celui du vide qui happe et du plein qui soutient - ,  trop de mondes pour que celui de la pensée puisse s'immiscer. 

Combien de temps dure la nuit ?

La  marée est haute, les vagues fortes. Mais Simone ne les voit pas, elle nage, ses jambes marquent une cadence régulière, et lorsqu'une vague survient au moment où elle ouvre la bouche pour respirer,  elle recrache sans effort l'eau salée qui goûte les larmes, goût ce vide qu'aucune mer ne pourrait noyer.  Elle nage - il n'y a pas de rive à atteindre, se dit-elle, c'est bon d'être un moment libérée, de ne plus lutter contre les courants qui font basculer, d'agiter les bras et les jambes sans réfléchir, et de s'en remettre à l'aiguille du temps qui tourne, quoi qu'il arrive. A moins que ce soit cela, vivre,  entrer dans le courant sans contourner  les récifs et les hauts-fonds, sans éviter les pierres que la marée aura tôt fait de projeter sur la grève ?  Le ciel est parfois une consolation, lorsque aucun oiseau noir n'en raye la surface, ce bleu devient un refuge auquel la terre se raconte et

 

 parfois elle paraît attendrie

qu'on l'écoute si bien, 

alors qu'elle montre sa vie

et ne dit plus rien.

 

Simone lève la tête. A travers le  brouillard léger  qui frissonne au-dessus des eaux,  elle croit apercevoir quelque chose, une barque ou peut-être un rocher, un de ces rochers difficiles à percevoir et qui écorchent les coques des bateaux téméraires. 

 

Vers quelle île suis-je en train de dériver ? se demande-t-elle. Une île où l'on n'existe plus vraiment, où l'on cherche un point de clarté au milieu de la nuit, une source vers laquelle on est ramené, un rivage qui pourrait être un début du monde ou de notre propre existence, le rien qui cogne  sur le rien    et engendre des millénaires, quelques atomes au creux du néant, et cela suffit pour que la vie commence".

 

Hélène DORION

Pas même le bruit d'un fleuve

Alto        

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