"Voici l'épicerie-mercerie de Melle Alloison. Ah ! Melle Alloison ! un long piquet avec une charnière au milieu (...) Elle savait par coeur ce que je venais chercher ; elle rentrait dans sa cuisine et elle me laissait seul dans l'épicerie.
Il n'y avait qu'une lampe à pétrole pendue dans un cadran de cuivre. On semblait être dans la poitrine d'un oiseau : Le plafond montait en voûte aiguë dans l'ombre. La poitrine d'un oiseau ?
Non, la cale d'un navire.
des sacs de riz,
des paquets de sucre, le pot de la moutarde, des marmites à trois pieds, la jarre aux olives,
les fromages blancs sur des éclisses, le tonneau aux harengs. Des morues sèches pendues à une solive jetaient de grandes ombres sur les vitrines à cartonnages où dormait la paisible mercerie, et, en me haussant sur la pointe des pieds, je regardais la belle étiquette du "fil au chinois". Alors je m'avançais doucement, doucement ; le plancher en latte souple ondulait sous mon pied.
Non, la cale d'un navire.
des sacs de riz,
des paquets de sucre, le pot de la moutarde, des marmites à trois pieds, la jarre aux olives,
les fromages blancs sur des éclisses, le tonneau aux harengs. Des morues sèches pendues à une solive jetaient de grandes ombres sur les vitrines à cartonnages où dormait la paisible mercerie, et, en me haussant sur la pointe des pieds, je regardais la belle étiquette du "fil au chinois". Alors je m'avançais doucement, doucement ; le plancher en latte souple ondulait sous mon pied.
La mer, déjà, portait le navire. Je relevais le couvercle de la boîte de poivre. L'odeur, Ah ! cette plage aux palmiers avec le Chinois et ses moustaches. J'éternuais. "Ne t'enrhume pas, Janot. - Non, Mademoiselle". Je tirais le tiroir au café.
L'odeur. Sous le plancher l'eau molle ondulait. On la sentait profonde, émue de vents magnifiques. On n'entend plus les cris du port.
Dehors, le vent tirait sur les pavés un long câble de feuilles sèches. J'allais à la cachette de la cassonade.
l'ombre m'engloutissait :
J'ETAIS PARTI".
Jean Giono
"Le Voyageur immobile"
dans Rondeur des jours, l'Eau vive !
Editions Gallimard, 1943
*****
Je suis une fan de l'écriture de Giono qu'on ne lit plus assez; merci!
RépondreSupprimerJe suis tout à fait d'accord avec toi ma chère Anne.. une belle écriture dans sa simplicité, très évocatrice....
SupprimerJe te fais de gros bisous.
Merci pour ta fidélité.
Den
Que c'est beau, superbe!!! Bise et bon mardi dans la joie!
RépondreSupprimerMerci ma chère Maria-Lina pour ton commentaire... avec ce jeune voyageur immobile dans l'épicerie, qui ne tarde pas à devenir rapidement un lieu imaginaire, devenu bateau, parmi les cales au milieu d'un fatras un peu confus de choses entreposées là.. abandonnant la place rapidement à une rêverie renouvelée chaque fois un peu plus... au milieu des odeurs connues ou inconnues, jusqu'au bonbon sucré fondant sur sa langue... jusqu'à ne plus voir ce qui l'entoure, mais jouissant au maximum de ce voyage immobile resté à quai...
SupprimerIl s'embarquait....
Bonne soirée Maria-Lina...
Den