Voici l'aurore qui s'étire tout en bas du ciel. Il est bientôt cinq heures, nous sommes presque en été, et la lumière tremble encore de la fébrilité des petits matins de printemps. Les gens sont endormis - la plupart du moins - et lui se tient debout, face à l'unique fenêtre de son chez lui, qui s'ouvre, par-dessus les immeubles de la ville, sur le lever du jour. D'ici, il ne voit rien des rues, des passants, des automobilistes, des lumières électroniques qui inondent le sol ; il voit les toits plats et bétonnés des immeubles, les cheminées toujours éteintes et puis le ciel, avec son grand silence.
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Il est debout, légèrement courbé - il l'a toujours été.
Il se tiendra ainsi, immobile, jusqu'à ce que l'ombre indolente se retire comme une bête effrayée.
Il restera là, protégé derrière sa fenêtre toujours close.
Parfois, le soir, lorsque la nuit monte, il voit s'y refléter son visage maigre et creux de vieil homme efflanqué, son nez tordu, brisé. Alors il détourne le regard. Il n'aime pas voir son visage. Il le méconnaît : ce pourrait aussi bien être la face étrangère et froide d'un autre, modelée par une existence qu'il n'aurait pas menée. Sur les traits de ce visage, il ne sait pas lire la vie qu'il a vécue, mais c'est parce que qu'il ne voit pas son regard. Il n'y reconnaît que l'os tordu du nez, reliquat rompu de son enfance lointaine, et cette petite cicatrice au-dessus du sourcil droit, presque indifférenciable, à présent, des rides de son front - ce si haut front escarpé.
Ce matin, les bourrasques crachent la poussière, la fumée acide qui montent de la ville - elles en sont l'haleine malade.
La lourde houle âcre vient s'abattre contre les fenêtres où s'agglutinent des particules épaisses, que la pluie lorsqu'elle tombe répand en traînées délayées.
Il n'a jamais lavé les vitres de sa fenêtre, il ne veut pas l'ouvrir ; jamais il ne l'ouvre - ce qui vient du dehors doit y rester, le plus possible. Même les bruits, les sons : il ne voudrait pas qu'ils entrent comme entrent à présent les roucoulements un peu stupides des deux pigeons sur le toit d'en face. Il n'entend rien du chant des autres oiseaux, ils sont bien trop frêles, et le bruit lourd de la ville les happe, les avale, les étouffe une fois le jour levé avec sa frénésie humaine.
Le Domaine des Oiseaux
et autres nouvelles
Anna-Livia Marchionni
Prix du Jeune Ecrivain 2017
Buchet Chastel
Salon du Livre de Paris
Le 25 mars 2017
Le Domaine des Oiseaux - comme on dit l'avant-jour
Bruxelles
11 février 2015 - 19 avril 2015
Préface de Mohammed Aïssaoui
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Un personnage haut en couleurs, la face sombre de Lorenzo le lumineux...
RépondreSupprimerTrès belle écriture, je ne connaissais pas cette Anna-Livia Marchionni. Elle promet !
¸¸.•*¨*• ☆
....oui Célestine haut dans ses couleurs, et quand on avance dans la lecture de ce roman on apprend que son fils handicapé mental a l'habitude, et de façon très récurrente de se sauver de son/ses foyers... on comprend alors le pourquoi de cette face obscure, qui vit reclus, loin du monde, .. il n'a semble-t-il plus le courage de se battre. se protège derrière ses vitres et ses volets, jusqu'à ignorer les traits de son visage. Il ne se bat que pour son fils, dans un isolement quasiment complet... et là son attitude, tout du moins, dans les premières pages, est bien différente. Cet homme devient actif, positif, s'ouvre, reprend vie.
SupprimerMais il vrai que lorsqu'on compare la luminosité de Lorenzo, avec cet homme, sans prénom pour l'instant, que tout sépare, oppose, l'incompréhension perle sur ces pages, la dureté de sa vie dans la non-expression, et sa solitude.
J'ai découvert cette écrivaine par le biais de la Mgen, tu connais ? qui citait ce prix.... et curieuse, je suis allée voir, et n'ai pas été déçue...très belle écriture en effet toute en images et en ressentis.
Anna-Livia a commencé à écrire, elle avait tout juste six ans. Ceci expliquant peut-être cela. Je vais avancer ma lecture,et voir comment évolue cette histoire.
Merci à toi Célestine d'être venue jusqu'ici.
Bonne soirée. Je t'embrasse.
Den
Une belle écriture ! Quelle richesse bien souvent la rencontre entre un écrivain (e) et le lecteur ou lectrice. Que serions sans ce magnifique échange humain ?
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup aussi cette écriture et cela me donne envie d'aller lire plus loin. Merci Den pour cette découverte qui semble une petite pépite. Bises alpines et belle soirée.
RépondreSupprimerMerci Dédé et Fifi... quand les mots permettent d'entrer directement dans le paysage de l'auteur qui défile, de s'y lover avec plaisir, de se mêler aux personnages du roman comme s'ils appartenaient à la vraie vie... de ressentir ce qu'ils ressentent.... c'est que l'écriture est belle, nous enveloppe et nous accorde le droit de voyager à travers et parmi les pages que l'on tourne...
SupprimerMerci pour votre fidélité. Je vous souhaite une très agréable journée, légèrement ventée aujourd'hui, ce qui nous évite la pluie.
Je vous embrasse toutes les deux.
Amitiés.
Den
Mais non, ni un livre ni une écriture mais tout simplement une toile ; à moins que ce ne soit mon esprit qui n'ayant pas toujours le temps de lire (car ce serait au détriment de ma passion) transforme tout à sa guise, en couleurs, en vie de tous les jours ici si joliment dépeinte.
RépondreSupprimerTu n'as pas tort Chinou, effectivement on peut avancer dans cette lecture peinte comme une belle oeuvre est délicatement dessinée. On y avance par petites touches amalgamées de toutes couleurs.... on entre dans un monde écorché, acerbe, rugueux. C'est celui d'un père et son fils handicapé. Ils sont portés tous deux par la vie grâce à l'amour qui les réunit. C'est une histoire qui ne s'exprime pas trop en mots ni élans, pas en gestes mais en ressentis poétiques liés entre eux avec des fils de soie et de lin écru,...un monde rude, violent qui vit à part, isolé des autres... solitaire.
RépondreSupprimerMerci Chinou pour tes mots, ta visite dans mes allées.
Je te souhaite une douce soirée auprès de ta passion, tes belles aquarelles.
Den
Cet homme est triste, mais quelle a été sa vie ? On se pose des questions, on veut savoir la suite...
RépondreSupprimerBises Den très bonne journée
Triste car sa vie est liée à celle de son fils handicapé... j'ai répondu en ce sens à célestine, Dédé, Fifi, et Chinou...d'autres extraits suivront Marine pour permettre de mieux comprendre ...
SupprimerMa journée est heureuse car j'ai retrouvé Missy, un beau vendredi donc.
C'est une très belle histoire entre Missy et moi...
Merci pour tes mots Marine.
Je te souhaite un très agréable week-end.
Bisou amical.
Den
Merci chère Den pour ce magnifique texte et tes réponses aux commentaires. Il est clair, en ayant lu l'extrait et comment vit cet homme dans la tristesse, j'ai hâte de lire un jour la suite.
RépondreSupprimerJe te souhaite un bon samedi après-midi.
Avec toute mon amitié et mes bisous ♥
PS, je suis heureuse que tu aies retrouvé Missy :-)
Merci pour tes mots ma chère Denise... pour Missy la coquine... et pour cet extrait... oui la suite arrivera un de ces jours.. Ce jeudi mât-teint s'est réveillé tôt... mais ça ira... douce journée à toi...
Supprimerde gros bisous.
Den
Je ne connais pas cette auteure mais cet extrait est poignant. Et puis, un fils handicapé, cela me parle forcément...
RépondreSupprimerJe t'embrasse, Den.
Oui je te comprends aussi Françoise.... ma fille aînée qui est à ma charge a également des problèmes, et je connais la lourdeur d'une des formes d'handicap... car l'handicap revêt des formes diverses, et ce n'est pas simple !
Supprimercourage à toi aussi. Et nous en avons beaucoup, là n'est pas le problème !
Je t'embrasse et te reconnais dans cette prise en charge incommensurable.
Je te reconnais dans ce chagrin puis dans cette acceptation qui finit par être une ouverture d'esprit, et révéler une autre forme de bonheur de vivre, même si elle ne ressemble pas à celle de tout le monde.
Si tu as un e-mail je t'écrirai un jour prochain en privé.
De gros, gros bisous, ma chère soeur au grand coeur, à l'amour démesuré pour ses petits .
douce journée à toi.
Den
Comme tu le sais, ma chère Den, il ne s'agit pas de mon fils, mais de l'un de ses fils, mon petit Noé, dont je parle souvent sur mon blog.
SupprimerTu pourras m'envoyer un mail à cette adresse : frbrunot@gmail.com lorsque tu en auras envie, j'en serai heureuse.
Je t'embrasse fort, ma douce. Bonne soirée.
Oui ton petit-fils Noé, j'ai bien lu tes articles... merci pour ton adresse e-mail.. à très bientôt. Je t'embrasse Françoise.
RépondreSupprimerBonne soirée à toi.
Den