mardi 9 mai 2017

*Voici l'aurore qui s'étire.....



Coccinelle, Goutte D'Eau, Pluie, Feuille




Voici l'aurore qui s'étire tout en bas du ciel. Il est bientôt cinq heures, nous sommes presque en été, et la lumière tremble encore de la fébrilité des petits matins de printemps. Les gens sont endormis - la plupart du moins - et lui se tient debout, face à l'unique fenêtre de son chez lui, qui s'ouvre, par-dessus les immeubles de la ville, sur le lever du jour. D'ici, il ne voit rien des rues, des passants, des automobilistes, des lumières électroniques qui inondent le sol ; il voit les toits plats et bétonnés des immeubles, les cheminées toujours éteintes et puis le ciel, avec son grand silence.

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Rideau, Objets, Silhouette



Toit, Des Animaux, Oiseau, Corbeau, Vol
Toit, Toits, Toiture, Accueil, Maisons











Il est debout, légèrement courbé - il l'a toujours été.
Il se tiendra ainsi, immobile, jusqu'à ce que l'ombre indolente se retire comme une bête effrayée.


Il restera là, protégé derrière sa fenêtre toujours close.


Maison, Vieux, Mur De Pierre, FenêtreParfois, le soir, lorsque la nuit monte, il voit s'y refléter son visage maigre et creux de vieil homme efflanqué, son nez tordu, brisé. Alors il détourne le regard. Il n'aime pas voir son visage. Il le méconnaît : ce pourrait aussi bien être la face étrangère et froide d'un autre, modelée par une existence qu'il n'aurait pas menée. Sur les traits de ce visage, il ne sait pas lire la vie qu'il a vécue, mais c'est parce que qu'il ne voit pas son regard. Il n'y reconnaît que l'os tordu du nez, reliquat rompu de son enfance lointaine, et cette petite cicatrice au-dessus du sourcil droit, presque indifférenciable, à présent, des rides de son front - ce si haut front escarpé.

Caféine, Cappuccino, Café, Coupe, Boire
Maintenant, puisque le matin s'est levé et que deux lourds pigeons, rassurés par le jour, sont venus se poser sur le toit plat juste sous sa fenêtre, il allume le feu de sa gazinière sous une vieille cafetière italienne entartrée. Il boira son café debout, allant à pas lents à travers la pièce étroite de son chez lui. Il butera du pied contre le petit lit repoussé dans un coin, de l'épaule contre l'étagère, et quelques livres entassés là en tomberont, qu'il ne ramassera pas. Le plancher, ici, fait office d'armoire et de commode ; d'ailleurs, c'est dans le coin derrière la porte ouverte de la petite salle de bains sans fenêtre que sont entassés les trois pantalons, cinq chemises à carreaux et deux gilets de laine noire. Il y a aussi, pendue à un clou près de la porte d'entrée, une ancienne veste en jean bleu clair qu'il aime beaucoup, de la même couleur que ses iris ; avec ses yeux bleu pâle, il a l'air d'un homme bien plus jeune, on dirait que leur clarté descend sur son visage comme une lueur nouvelle. Mais, ça, il ne le sait pas : il sait qu'il est vieux. Il constate toute cette vie qui fourmille dehors, derrière les vitres de sa fenêtre, en bas, en haut, partout cette multitude de la vie, mais il n'y a pas accès ; il ne veut plus s'en approcher, il est vieux : il attend en dehors.

Fenêtre, Vieux, Ans, Altérée


Aujourd'hui, c'est jour de vent. Alors qu'en bas, dans les rues, on ne perçoit qu'un souffle hésitant, petite brise pudique, là-haut, au sommet de la ville, par-dessus les toits des immeubles, la douce brise d'en bas dévoile ses airs fous par rafales successives.

Graines De Vol, Vent, Ciel, La Facilité


Ce matin, les bourrasques crachent la poussière, la fumée acide qui montent de la ville - elles en sont l'haleine malade.


Cheminée, Fumée, Industrie, La Pollution




La lourde houle âcre vient s'abattre contre les fenêtres où s'agglutinent des particules épaisses, que la pluie lorsqu'elle tombe répand en traînées délayées.





Il n'a jamais lavé les vitres de sa fenêtre, il ne veut pas l'ouvrir ; jamais il ne l'ouvre - ce qui vient du dehors doit y rester, le plus possible. Même les bruits, les sons : il ne voudrait pas qu'ils entrent comme entrent à présent les roucoulements un peu stupides des deux pigeons sur le toit d'en face.   Il n'entend rien du chant des autres oiseaux, ils sont bien trop frêles, et le bruit lourd de la ville les happe, les avale, les étouffe une fois le jour levé avec sa frénésie humaine.

Pigeons, Toit, Oiseaux, Maison



Le Domaine des Oiseaux 
et autres nouvelles

Anna-Livia Marchionni
Prix du Jeune Ecrivain 2017
Buchet Chastel

Salon du Livre de Paris
Le  25 mars 2017


Le Domaine des Oiseaux - comme on dit l'avant-jour
Bruxelles
11 février 2015 - 19 avril 2015

Préface de Mohammed Aïssaoui


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15 commentaires:

  1. Un personnage haut en couleurs, la face sombre de Lorenzo le lumineux...
    Très belle écriture, je ne connaissais pas cette Anna-Livia Marchionni. Elle promet !
    ¸¸.•*¨*• ☆

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    1. ....oui Célestine haut dans ses couleurs, et quand on avance dans la lecture de ce roman on apprend que son fils handicapé mental a l'habitude, et de façon très récurrente de se sauver de son/ses foyers... on comprend alors le pourquoi de cette face obscure, qui vit reclus, loin du monde, .. il n'a semble-t-il plus le courage de se battre. se protège derrière ses vitres et ses volets, jusqu'à ignorer les traits de son visage. Il ne se bat que pour son fils, dans un isolement quasiment complet... et là son attitude, tout du moins, dans les premières pages, est bien différente. Cet homme devient actif, positif, s'ouvre, reprend vie.
      Mais il vrai que lorsqu'on compare la luminosité de Lorenzo, avec cet homme, sans prénom pour l'instant, que tout sépare, oppose, l'incompréhension perle sur ces pages, la dureté de sa vie dans la non-expression, et sa solitude.
      J'ai découvert cette écrivaine par le biais de la Mgen, tu connais ? qui citait ce prix.... et curieuse, je suis allée voir, et n'ai pas été déçue...très belle écriture en effet toute en images et en ressentis.
      Anna-Livia a commencé à écrire, elle avait tout juste six ans. Ceci expliquant peut-être cela. Je vais avancer ma lecture,et voir comment évolue cette histoire.
      Merci à toi Célestine d'être venue jusqu'ici.
      Bonne soirée. Je t'embrasse.
      Den

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  2. Une belle écriture ! Quelle richesse bien souvent la rencontre entre un écrivain (e) et le lecteur ou lectrice. Que serions sans ce magnifique échange humain ?

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  3. J'aime beaucoup aussi cette écriture et cela me donne envie d'aller lire plus loin. Merci Den pour cette découverte qui semble une petite pépite. Bises alpines et belle soirée.

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    1. Merci Dédé et Fifi... quand les mots permettent d'entrer directement dans le paysage de l'auteur qui défile, de s'y lover avec plaisir, de se mêler aux personnages du roman comme s'ils appartenaient à la vraie vie... de ressentir ce qu'ils ressentent.... c'est que l'écriture est belle, nous enveloppe et nous accorde le droit de voyager à travers et parmi les pages que l'on tourne...
      Merci pour votre fidélité. Je vous souhaite une très agréable journée, légèrement ventée aujourd'hui, ce qui nous évite la pluie.
      Je vous embrasse toutes les deux.
      Amitiés.
      Den

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  4. Mais non, ni un livre ni une écriture mais tout simplement une toile ; à moins que ce ne soit mon esprit qui n'ayant pas toujours le temps de lire (car ce serait au détriment de ma passion) transforme tout à sa guise, en couleurs, en vie de tous les jours ici si joliment dépeinte.

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  5. Tu n'as pas tort Chinou, effectivement on peut avancer dans cette lecture peinte comme une belle oeuvre est délicatement dessinée. On y avance par petites touches amalgamées de toutes couleurs.... on entre dans un monde écorché, acerbe, rugueux. C'est celui d'un père et son fils handicapé. Ils sont portés tous deux par la vie grâce à l'amour qui les réunit. C'est une histoire qui ne s'exprime pas trop en mots ni élans, pas en gestes mais en ressentis poétiques liés entre eux avec des fils de soie et de lin écru,...un monde rude, violent qui vit à part, isolé des autres... solitaire.
    Merci Chinou pour tes mots, ta visite dans mes allées.
    Je te souhaite une douce soirée auprès de ta passion, tes belles aquarelles.
    Den

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  6. Cet homme est triste, mais quelle a été sa vie ? On se pose des questions, on veut savoir la suite...
    Bises Den très bonne journée

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    1. Triste car sa vie est liée à celle de son fils handicapé... j'ai répondu en ce sens à célestine, Dédé, Fifi, et Chinou...d'autres extraits suivront Marine pour permettre de mieux comprendre ...
      Ma journée est heureuse car j'ai retrouvé Missy, un beau vendredi donc.
      C'est une très belle histoire entre Missy et moi...
      Merci pour tes mots Marine.
      Je te souhaite un très agréable week-end.
      Bisou amical.
      Den

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  7. Merci chère Den pour ce magnifique texte et tes réponses aux commentaires. Il est clair, en ayant lu l'extrait et comment vit cet homme dans la tristesse, j'ai hâte de lire un jour la suite.
    Je te souhaite un bon samedi après-midi.
    Avec toute mon amitié et mes bisous ♥

    PS, je suis heureuse que tu aies retrouvé Missy :-)

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    1. Merci pour tes mots ma chère Denise... pour Missy la coquine... et pour cet extrait... oui la suite arrivera un de ces jours.. Ce jeudi mât-teint s'est réveillé tôt... mais ça ira... douce journée à toi...
      de gros bisous.
      Den

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  8. Je ne connais pas cette auteure mais cet extrait est poignant. Et puis, un fils handicapé, cela me parle forcément...
    Je t'embrasse, Den.

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    1. Oui je te comprends aussi Françoise.... ma fille aînée qui est à ma charge a également des problèmes, et je connais la lourdeur d'une des formes d'handicap... car l'handicap revêt des formes diverses, et ce n'est pas simple !
      courage à toi aussi. Et nous en avons beaucoup, là n'est pas le problème !
      Je t'embrasse et te reconnais dans cette prise en charge incommensurable.
      Je te reconnais dans ce chagrin puis dans cette acceptation qui finit par être une ouverture d'esprit, et révéler une autre forme de bonheur de vivre, même si elle ne ressemble pas à celle de tout le monde.
      Si tu as un e-mail je t'écrirai un jour prochain en privé.
      De gros, gros bisous, ma chère soeur au grand coeur, à l'amour démesuré pour ses petits .
      douce journée à toi.
      Den

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    2. Comme tu le sais, ma chère Den, il ne s'agit pas de mon fils, mais de l'un de ses fils, mon petit Noé, dont je parle souvent sur mon blog.
      Tu pourras m'envoyer un mail à cette adresse : frbrunot@gmail.com lorsque tu en auras envie, j'en serai heureuse.
      Je t'embrasse fort, ma douce. Bonne soirée.

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  9. Oui ton petit-fils Noé, j'ai bien lu tes articles... merci pour ton adresse e-mail.. à très bientôt. Je t'embrasse Françoise.
    Bonne soirée à toi.
    Den

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Par Den :
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