vendredi 19 mai 2017

*..En attente de mots...



Prague, Rue, Ciel, Tchèque, Europe


"Quel besoin aurais-je  de l'horloge à eau,
nous mesurons depuis longtemps l'année en larmes ;
pouvoir inviter un ange serait une belle chose,
mais ce serait insupportable si l'ange nous invitait".

Vladimir Holan


(...)

...".En attente de mots.
Le goût de l'encre se levait sur ses pas.

Elle s'est glissée dans le livre. Elle s'est faufilée dans les pages comme un songe s'en vient visiter un dormeur,
se déploie dans son sommeil, y trame des images et mêle à son sang, à son souffle, de fins échos de voix.

Elle va partout, n'importe où, elle s'introduit où elle veut, elle traverse les murs aussi aisément que les troncs d'arbres ou que les piles des ponts. Aucune matière n'est pour elle un obstacle ; ni la pierre, ni le fer, ni le bois ou l'acier n'arrêtent son élan, ne retiennent ses pas. Toute matière a pour elle la fluidité de l'eau.




Elle avance droit devant elle sans jamais reculer.
Ses déambulations semblent mues par de secrètes urgences, et son sens de l'orientation est le plus déroutant qui soit.
Il lui arrive de s'immobiliser au milieu d'une rue déserte,  ou d'obliquer sans raison apparente. C'est qu'elle a perçu alors un bruit inaudible à tout autre. Le battement d'un coeur oppressé par un excès de solitude, ou de peine, ou de peur, quelque part dans une chambre, une cuisine, ou dans un tramway, passant non loin de là.

                                                                                                                                                    


Il n'est pas rare que le battement de coeur humain qui l'a ainsi mise en éveil et mouvement soit celui d'un coeur éteint depuis longtemps. Elle fraye avec les morts autant qu'avec les vivants, son ouïe perçoit les plus infimes souffles, les plus lointains échos.

La couleur de l'encre, mille fois séchée et ravivée, luit depuis toujours dans les traces de ses pas.

Elle s'est engouffrée dans le livre. C'est toujours de cette façon qu'elle procède, à la façon du vent.
Elle surgit sans crier gare, en un lieu et un instant où on ne l'attend pas, où on ne pense  nullement à elle.
Alors elle accapare toute l'attention. Elle passe, sans se soucier de l'étonnement qu'elle provoque, du grand trouble qu'elle jette.




Peut-être ignore-t-elle que quelqu'un vient de l'apercevoir.
Elle marche sans jamais se retourner. Elle va son chemin. Mais nul ne saurait dire où mène son chemin,  ce qui rythme sa marche, ce qui la pousse ainsi.
Elle passe, comme les chiens errants, les vagabonds, les feuilles mortes emportées par le vent.




Le vent, le vent de l'encre se lève à son passage et souffle dans ses pas.




Et le livre qui suit, n'étant composé que des traces de ses pas, s'en va lui au hasard.

***

(...)

... Car lorsqu'elle surgit elle crève le visible, elle s'impose à la vue, elle requiert l'attention de tous les sens et met le coeur en alarme.

En fait c'est l'écriture seule de ce texte qui avance à tâtons, qui louvoie à l'aventure, par défaut de vue d'ensemble et absence de repères précis.
Mais comment corriger la chronique des déambulations d'une inconnue qui ne surgit  que par intermittence dans l'espace du visible ?
Le vent, le vent de l'encre qui souffle dans ses pas fait se courber, se balancer les mots, déracine des images qui demeuraient enfouies dans la mémoire à la limite de l'oubli, et par avance effeuille les pages du livre qui ne peut être que  le fragmentaire, inachevé....





Cette inconnue, qui donc est-elle ?
Une vision, elle-même porteuse, semeuse de visions.
Une vision avare de ses apparitions. Elle ne s'est montrée que peu de fois, et toujours très brièvement. Mais chaque fois sa présence fut extrême.
Une vision liée à un lieu, émanée des pierres d'une ville. Sa ville, -Prague. Jamais elle n'a paru ailleurs, bien que certainement elle en ait le pouvoir.

(...)

... Bien qu'immense et pesante, et bien que sa claudication soit très marquée, cette femme ne fait aucun bruit en marchant.
Ses pas sont silencieux, mais son corps, lui, est chuchotant.
Un chuchotement de vent tremble dans les plis de sa robe, un discret chuchotis d'encre y frémit ;
ou bien est-ce de larmes ?".


Piazza Navona, Rome, Italie, Rue

***


"La pleurante des rues de Prague"

Sylvie Germain

****


Merci à Yannick et Gigi pour leurs photos transmises après leur voyage à Prague, 
pour habiller le texte de Sylvie Germain "La pleurante des rues de Prague".

Merci à eux.

Den

****


9 commentaires:

  1. Coucou ma chère Den. Je me régale. En mots et en photo. Je ne suis jamais allée à Prague mais c'est une destination que j'aimerais rejoindre une fois dans ma vie. Et toujours aussi fan des mots de Sylvie Germain. En te lisant ce matin, je me disais que ceux qui n'aiment pas lire (j'en connais!) manquent quand même quelque chose de beau, une esthétique des mots. Gros bisous pluvieux mais avec du soleil dans les coeurs. Passe un beau WE dans ton beau pays.

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    1. Elle déambule dans la mouvance des jours, des nuits, la Pleurante, dans l'éphémère évanescent, partout où elle veut, elle chuchote, traverse les murs. Elle avance sur son chemin ; mais sait-elle où elle va ?
      Pourtant Prague est sa ville, toujours aussi chargée par l'Histoire, le tragique, et on ne l'aperçoit que là.
      Sans mémoire, sans âge, claudiquant silencieusement, légère dans ses gestes qui murmurent. Elle transporte en elle des torrents de larmes qui inondent son coeur et son âme, et ceux de sa ville.
      Elle est le souvenir, l'ombre du temps, des plus pauvres, du peuple, ceux dont on ne parle pas, ceux qui n'apparaissent pas sur le fronton de la gloire.
      Elle transcende ici et maintenant, mains-tenues au-dessus du Tout. Elle retient l'invisible dans le visible, dans les plis de sa robe, et dépose comme un placebo sur tous les êtres en apaisant, en rendant plus douce la douleur.
      Hasard, poésie, beauté, elle ne s'arrête jamais, elle le fantôme qui vagabonde du livre à la ville de Prague, magique, où la brume rajoute du mystère à ce mystère.

      Merci mes Âmi(e)s : Dédé, Célestine, Maria-Lina, bizak, Mathilde, mes plus fidèles, merci pour vos commentaires.

      Dédé : Heureuse que tu te sois régalée des mots de Sylvie Germain, je te comprends. Je souhaite pour toi un prochain voyage dans cette ville étonnante, chargée d'Histoire, à l'architecture remarquable : gothique, renaissance, baroque,...puis l'architecture tchèqe du début du siècle succombe à d'autres séductions de l'art nouveau, aux lignes sinueuses d'inspiration végétale..
      Merci Dédé sous de beaux rayons de soleil - c'est la Provence - évidemment... c'est une chance. Bisous.

      Célestine : en attente des mots de l'auteure dans la brume qui porte en elle une odeur, comment dire consistante, presque palpable tant elle est épaisse par les fumées de la ville qui la gonflent, ...âpre et suave à la fois. Un étonnement d'un autre ordre... du mystère et de l'enchantement qui couvent dans les limbes d'un rêve mystérieux en train de naître. Un confus remuement du coeur !
      Merci Célestine.

      Merci Maria-Lina..

      Merci bizak..."elle est née des pierres de Prague...de toutes les pierres.... de la pierre et du bois dans lequel s'édifia la ville... elle a mugi dans le vent des orages, scintillé dans la pluie, dans les feuillages et sur les toits, elle a craqué dans les eaux du fleuve... brûlé sur les bûchers..elle est née de la pierre et du bois, du métal et de l'eau, et du corps innombrable des habitants de la ville"...
      merci bizak.
      Bonne soirée à toi dans son déroulé à l'encre sympathique.
      Bisou.
      Den

      Merci ma chère Mathilde, pour ce voyage immobile qui te procure "un goût d'éternité", qui me plaît bien.
      Bonne soirée à toi.
      Bisou.
      Den

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  2. Un texte mystérieux et symbolique. J'ai d'abord cru qu'il parlait de l'eau...
    En attente de mots, tu auras au moins les miens.
    Bisous ma belle d'âme.
    ¸¸.•*¨*• ☆

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  3. Beau texte et magnifiques photos! Bise, bon vendredi tout doux!

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  4. Un texte aux allures mystérieuses tellement il déroulait son fluide d'encre vers les quatre vents. Comme Célestine, je pensais à l'eau qui imperturbablement s'écoulait, sautillait, gambadait, s'arrêtait à quelques poches et reprenait le chemin de son destin. Il est dit, que le destin de cette vagabonde, cette errante, cette inconnue aux mille domiciles fixes, est comme l'eau qui s'écoule indéfiniment qui, un jour retrouve son océan de vie.
    Ravi de te lire Den
    Bises et amitiés

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  5. les mots forts et tes photos superbes ont donné à ce voyage un goût d' éternité ...:-)
    Bisous den

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  6. Je suis saisie d'émotion, le vent pleure, la vie passe, la force survit à tout, la pleurante, quel mot, je ne connais pas Prague mais ce texte nous emporte...
    Merci Den

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    1. ...."comme l'écorce de fruits sous laquelle luit la pulpe odorante, ruisselle le jus acidulé, brillent les pépins ou l'amande. Elle faisait sourdre des rivières, bleuir des forêts et s'étendre des plaines, zigzaguer des chemins et courir des nuages à l'intérieur des mots. Des oiseaux s'envolaient à travers l'immensité d'espace contenue dans les mots, des couleurs y roulaient comme des meules de foin pourchassées par le vent. Les mots entraient en mouvement, en vibration, comme des cloches dont on agite le battant. Et leurs sons se mêlaient les uns aux autres"..... (....)

      la Pleurante des rues de Prague (Sylviz Germain) p 119 - édition Gallimard (l'un et l'autre).

      Merci Marine. Quelques lignes supplémentaires pour toi, pour compléter la lecture...
      Douce journée à toi.
      Den

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Par Den :
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