mercredi 5 juillet 2017

*A la Verticale de soi......






A la verticale de soi-Stéphanie Bodet-Editions Paulsen Collection Guerin
 A Arnaud, à nos 21 ans de cordée et notre amour fertile

A mes parents et à Guillaume

A Emilie
A toi que j'embrasse en tout lieu
En toute absence
En toute confiance
A toi partout
A la haie vive du rosier
A l'éclair bleu du geai

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  « Stéphanie Bodet   redonne à la littérture alpine une fraîcheur    et une intensité que l’on croyait perdues. »

   Jean-Christophe Rufin



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Résumé


Dans le sac à dos de Stéphanie, il y a des cailloux et des mots, des fleurs et des oiseaux, une soif démesurée de l'essentiel et un amour fertile qui l'unit à Arnaud. La corde entre eux ne signe aucune entrave. Synonyme de liberté et de confiance, elle leur permet de flâner à l'aise, comme lézards et papillons, dans ces lieux vertigineux qu'ils aiment. Depuis plus de vingt ans, ils ouvrent ensemble de nouvelles voies sur les parois du monde car ouvrir, c'est créer et c'est partager. C'est aussi découvrir en soi de nouvelles possibilités et vivre une vie plus haute, plus dépouillée. Plus qu'un terrain de jeux, les parois sont pour Stéphanie un territoire de connaissance, de reconnaissance. Se fondre dans la nature, ne faire qu'un avec l'hirondelle ou le pin funambule, pour éprouver sa nature véritable. La grimpeuse vit l'ascension comme  un acte poétique, une voie d'intrépidité et de sagesse.

Sous le sourire de Stéphanie affleure parfois la fêlure. Celle d'une petite sœur disparue trop tôt et qui lui a donné ses ailes : "Vivre. Vivre intensément, écrit-elle. Faire de ce court passage qui est le nôtre, matière à rêver, matière à créer, matière à se forger." Acquiescer à la vie coûte que coûte. Faire de ses faiblesses une force. Demander la lune au rocher en l'effleurant du bout des doigts ou de la pointe du stylo, sur la page d'un carnet, dans une même recherche de justesse. Et parvenir peut-être à s'élever, dans tous les sens du terme...

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"Un pur esprit s'accroît sous l'écorce des pierres" !

Gérard de Nerval, les Chimères

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Préface de Sylvain Tesson








HAUTE VOLEE








C'est l'histoire d'une fille qui a trouvé sur les parois du monde   une occasion de porter la vie à un haut degré d'accomplissement. Là-haut, sur les sommets la vie a pris pour elle une tournure que nous sommes beaucoup à tenter de lui donner : authentique et joyeuse.








Lecteurs, attention ! ne soyez pas trompés ! vous ne trouverez pas dans ces pages de récits d'ascensions avec cordées héroïques, tempêtes de la dernière chance et glorioles sommitales ! toute une littérature a déjà amplement nourri cette veine-là. On a  suffisamment soupé  des  récits de ces types dont la principale préoccupation lorsqu'ils voient une montagne est de se dire :" Tiens ? Si j'allais me photographier au sommet !". 

Ce que vous tenez là entre vos mains  est une éducation sentimentale  en milieu vertical. Une avancée timide et délicate en milieu extrême. Et c'est heureux que la montagne ait trouvé en Stéphanie Bodet, un nouveau chantre, éminemment sensible, une amoureuse pleine de charme, une poétesse fragile, un roseau grimpant qui préfère raconter son cheminement "à la verticale de soi" plutôt que de détailler ses techniques de verrouillage. Tout livre d'escalade comporte ses longueurs. Celui-ci nous les épargne.


"Rien ne prédisposait la rêveuse que je suis à devenir une grimpeuse de haut niveau"  avoue d'emblée celle qui passera des années sur les parois (a-t-elle calculé combien de temps cumulé elle avait vécu à l'aplomb de la terre ?) Toute l'intensité de ce livre tient dans la résolution   de ce paradoxe. Pourquoi une jeune fille souffrant d'asthme devient-elle une vagabonde des grands espaces ? Pourquoi une contemplative  se jette-t-elle dans la frénésie de l'action ? Pourquoi une pudique silencieuse rejoint-elle ces bandes d'athlètes qui soignent dans les dévers leurs déficits narcissiques  ? Pourquoi une intellectuelle éprise de la poésie d'André Velter et de William Blake ne se contente-elle pas de naviguer dans la beauté des textes à l'ombre d'un arbre ? 








A la verticale de soi répond à ces questions.  On savait que les Hommes cherchaient la Voie (c'est à dire la réponse à l'absurdité de la vie) de mille manières. Certains s'enferment dans la cellule d'un monastère. D'autres arpentent le monde où ils fondent des familles à chaque escale, d'autres encore partent en guerre, cherchent l'opium ou courent les magasins de luxe. Stéphanie Bodet, elle, explore une piste inédite, vertigineuse et âpre, : l'escalade. Elle y cherche réponse à ses contradictions. Elle implore une consolation à l'innommable blessure    qui l'a déchirée un certain jour de Juillet. Elle gravit chacun des degrés avec l'homme de sa vie, le champion d'escalade Arnaud Petit. Avec lui,  elle bâtit  au passage un amour qui survit  à toutes les tempêtes et insulte les habitudes.








Quiconque a croisé un jour cette  fille en montagne  ou à l'une de ses conférences a été saisi par sa présence pure, ce sourire qui semble ineffaçable, cette aura inconsciente de son propre rayonnement; Enfin une alpiniste dotée d'une vraie face !  Enfin un regard qui semble avoir vu quelque chose ! Comme si Socrate, après avoir enfilé son baudrier et escaladé le portique de Delphes, avait résolu "le connais-toi toi-même". 








En escalade on parle de style. Le style. ! la chose la plus importante de la vie.. Le style est le principal point commun de la grimpe avec la littérature. Stéphanie Bodet avoue qu'elle  est autant éprise d'escalade que de mots. Et c'est une aubaine pour nous qui découvrons dans ces pages la formulation de ce que nous allons obstinément chercher dans la montagne sans jamais être fichu de savoir ce que c'est.





Sylvain Tesson


                                                         


*****


DEMAIN N'EXISTE PAS


Tant d'années après, je ne sais plus ce que cela me fit de mourir ainsi. Depuis quinze jours déjà, je travaillais sans relâche pour ouvrir une nouvelle voie sur la paroi de Tagougimt. Avec mes trois compagnons nous nous étions focalisés sur cette immense muraille grise, striée de coulées ocre et mauves,    qui domine le petit village de Taghia, dans le Haut-Atlas. Nous alternions les cordées, et ce jour-là, alors que la fin de l'ouverture approchait, nous avions décidé de monter à pied au sommet et de redescendre dans la face en rappel, pour rejoindre notre dernier relais, deux cents mètres plus bas. De là, nous reprendrions l'ouverture et Fred Ripert, notre caméraman pourrait nous filmer car les images sont toujours plus belles vues d'en haut et plus spectaculaires.

Après deux heures de marche raide, nous avions atteint le plateau    et quitté le sentier pour emprunter la crête dentelée du sommet. L'arête était interminable avec ses multiples créneaux à franchir. Je me sentais faible et fatiguée. Le lourd sac à dos sciait mes épaules et mes compagnons étaient hors de vue. Le vent s'était levé et les huit cents mètres de vide    à ma gauche m'intimidaient. Je craignais de perdre l'équilibre. Les sourcils serrés, j'assurais avec précision mes prises de mains et me concentrais sur chacun de mes pas. Enfin, les sections les plus exposées étant derrière moi, je me relâchai... 
On m'a dit que j'avais poussé un cri de chevrette. A présent, les détails se sont effacés. Je ne ressens plus aussi intensément la semelle qui accroche à une aspérité de ce rocher calcaire. Détail infime qui me propulse dans l'air. Deux longues pirouettes comme au ralenti. La sensation d'animer le paysage contre mon gré... Et soudain, voir le vide, le pierrier qui m'attend, trente mètres plus bas.... Voir distinctement, en dépit du mouvement, les blocs sur lesquels je vais m'écraser.... dans une fraction de seconde. Je m'entends penser "mince alors ! c'est ici que ça se termine  ? comme ça ? Si vite, si tôt, si  bêtement ?"  et m'entends murmurer : "Emilie", petite soeur....Stupeur !... A mesure que la chute s'accélère, ma pensée fige ce sentiment de perplexité. Ma mort m'étonne. 

Un premier rebond apporte à ma chorégraphie le fantastique élan qui lui manquait pour enchaîner la pirouette suivante. Je tournoie dans le vent, propulsée toujours plus vite, toujours plus haut par une force qui me dépasse. Et puis, sans savoir pourquoi ni comment,, c'est le miracle. Deux mètres avant de franchir le rebord de la falaise, mes mains agrippent une pierre plantée dans le talus, et la chute est stoppée net... C'est à cet instant que j'ai libéré ma chèvre intérieure. De longs hurlements stridents me déchirent la poitrine. Car l'effroi vient après, après la prise de conscience du drame évité. J'étreins farouchement ma stèle de liberté sans oser baisser les yeux, me contentant d'hurler ma peur. Il faut qu'elle sorte  de là ! Je l'exorcise et le hurlement se mue en hululement. Je me fais chouette et mon cri se fait joie. Car tant d'années après, même si le souvenir de mourir sur le champ s'est peu à peu effacé, je sais ce que cela me fit de demeurer vivante...
Personne ne m'a vue tomber mais tous m'ont entendue crier. Arnaud,  blême, m'a rejointe. Il me serre dans ses bras comme s'il ne voulait plus me lâcher. La tête sur son épaule, je pleure comme une feuille et  sanglote     de plus belle. Mon pantalon est déchiré. Des gouttes  de sang traversent mes vêtements. Le lourd sac à dos qui m'a déséquilibrée porte une large entaille. Dans ma chute,  il m'a protégée le dos     de chocs. En revanche, j'ai un hématome de la taille d'une belle poire  sur la fesse gauche. Le village est à trois heures de marche par un sentier abrupt. Je ,ne peux ni bouger la tête ni mettre un pied devant l'autre, mais à première vue, aucune fracture.
Nous décidons de passer la nuit au sommet de la montagne.
Si un tel accident m'était arrivé dans les Alpes, mes amis auraient appelé les secours. Mais ici il y n'a rien de particulier  à faire.     Le portable ne passe pas et il n'y a pas d'hélicoptère à attendre. Le premier hôpital est à huit heures. Ne reste qu'à bivouaquer en attendant l'aurore. Après tout, pourquoi  ma vie aurait-elle plus de valeur que celle d'une bergère berbère ?

                                              *

La nuit est tombée. Je suis allongée dans une caverne  basse ; il a fallu se courber pour y pénétrer. Mon corps contusionné me fait souffrir et je tremble de froid  mais j'ai l'esprit cotonneux et délicieusement abandonné. Le sol recouvert d'une épaisse couche de crottes sèches de mouton est confortable. S'en dégage une odeur  légèrement acide. Une odeur qui tient. Une odeur solide, une odeur sur laquelle on peut compter et qui me semble agréable à respirer. Car palpable et bien réelle.
En dépit de la peur   d'une hémorragie interne  qui me traverse parfois durant les premières heures, la soirée est délicieuse. Arnaud attise le feu qui dégage le subtil et pénétrant parfum   que j'aime, celui du genévrier  thurifère dont il restait quelques éclats au sol laissés par un berger. Le reflet des flammes anime le plafond de la grotte    d'étranges chatoiements. Les yeux fixés sur ses parois, je me laisse bercer par les ballets des ombres et par la voix de  Fred   qui nous raconte son enfance. Le goût de la soupe en sachet que nous avons partagée, mêlé au souvenir de notre compagnon.... cette douceur dans l'atmosphère, cette légèreté.....   C'est étrange tout de même, comme s'il fallait l'accident pour suspendre le temps et l'ouverture de Babel, notre voie. L'accident pour s'ouvrir aux amis et s'offrir à l'instant.
Le feu s'est éteint et les murmures de Fred. Ne restent dans le foyer que quelques braises rougeoyantes. Ma main posée sur celle d'Arnaud, j'écoute la rumeur du silence, les yeux fermés. Il dort et j'entends, attendrie, sa respiration calme et sereine. 
Et c'est au coeur de cette grotte sauvage,  si éloignée du lieu de ma naissance, que je retrouve mon enfance. A la manière d'une petite boîte oubliée sous une pile de draps au fond d'une armoire de campagne. Une petite boîte cuivrée qui contenait des dents de lait. Je soulève le couvercle et je me souviens.       
Tout resurgit en cette nuit d'automne  2007, l'hier, le plus proche et le plus lointain. Et mon passé défile. J'ai toute la nuit pour me raccommoder  dans l'ombre, toute la vie. Et je souris. Demain n'existe pas....                                                                                                                                                                           Stéphanie Bodet

A la Verticale de soi

Guérin
éditions Paulsen   


***** 
                                                                                  


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8 commentaires:

  1. Ce livre semble superbe! Bisou, bon mercredi tout doux!

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    1. il l'est en effet... merci chère Maria-Lina...
      il ne fait pas aussi froid que chez toi, mais ce n'est plus la canicule, aujourd'hui et dans la semaine nous aurons perdu 10°, ouf... mais le thermomètre est encore à 28° dedans avec une petite clim, et dehors à l'ombre.
      Je t'embrasse.
      Den

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  2. Merci Den! Tu ne te rends pas compte du bien que cela m'a fait de découvrir ton billet. Cela me donne l'envie de grimper, de vaincre l'obstacle au propre comme au figuré. Merci. Je note la référence et je sors mon baudrier. Bises alpines.

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    1. J'ai pensé à toi, Dédé, en découvrant ce livre, que j'ai voulu partager avec vous toutes et tous... Merci, ... de rien, bien sûr... et bonne lecture pour toi aussi qui aimes les chemins d'escalade, les mots et les fleurs.
      Bisous rendus.
      Den

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  3. Sylvain Tesson l'évoque dans son dernier livre quand il va en Aragon faire aussi de l'escalade.
    Bon dimanche.

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    1. Tout à fait Bonheur du Jour,... il aime les voyages, l'escalade, et l'exprime fort bien dans ses livres, ses carnets où il se raconte... il faut que je me penche sur sa dernière oeuvre, appréciée, je crois...
      bon dimanche à toi aussi.
      Den

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  4. Je me souviens dans ma jeunesse nous randonnions en montagne avec les Guides ainées et je ramassais de beaux cailloux que je baignais dans l'eau vive des torrents pour les voir briller, j'en remplissais mon sac, ensuite j'en distribuais dans divers sacs à dos et tout le monde pestait contre moi ! Ma soeur me l'a rappelé longtemps après !
    Bisous Den

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    1. Beaucoup d'enfants le faisaient ou le font... et je le comprends.. c'était aussi une manière d'emporter avec avec eux un instant de ce bonheur vécu...
      MERCI Marine.
      Je t'embrasse aussi.
      Den

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Par Den :
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