mardi 17 mars 2020

*Le fil tissé de ses mots







"La poésie est ce qu'il y a de plus réel, c'est ce qui n'est vrai que dans un autre monde"
Charles Baudelaire
Oeuvres posthumes



L'autre moitié du songe m'appartient

Alicia Gallienne
Gallimard


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poèmes

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Préface et choix de Sophie Nauleau
Postface de Guillaume Gallienne

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Préface

"Demain, la nuit sera longue"

"Des kilomètres de secondes
A rechercher la mort exacte"

Paul Eluard

***

"Toujours l'on cite Orphée, sa descente aux enfers, sa funeste impatience, son chant d'intense solitude. Rarement l'on s'enquiert des tourments d'Eurydice. On dit le deuil d' l'un, son éternel chagrin, la perte pour les siècles des siècles, mais guère le désespoir de celle qui, par sa faute, se meurt une seconde fois. Plus que la lyre ou le regard d'Orphée, j'ai souvent rêvé percevoir l'ombre ou la voix de celle qu'il a tant pleurée.

Il n'y avait rien de mythologique cependant lorsque les écrits d'Alicia Gallienne se sont retrouvés entre mes mains. Mais une émotion à vif tout aussi stupéfiante. Il est des fois où je voudrais boire la douleur dans tes yeux, confie-t-elle dans le Livre noir, à l'été de ses dix-huit ans. Son nom plein d'ailes et de A m'aurait-il alertée sans ce cousinage célèbre ? Sans doute pas, et c'est précisément en cela que l'aimantation est  belle.

Même si j'ignorais tout de l'éclat, du courage et de l'aura terrible de cette adolescente signant Sicia au bas de ses poèmes. Sans un tel intercesseur, qui d'ailleurs se voua au théâtre par sursaut et fascination pour elle, peut-être n'aurais-je pas pris le temps ni la mesure de ce destin foudroyé qui gardait la poésie au coeur.

Qu'une jeune fille en fleur adore L'écume des jours - et les oeuvres complètes  de Boris Vian qui ne voulait pas mourir Sans qu'on ait inventé / Les roses éternelles / La journée de deux heures / La mer à la montagne / La montagne à la mer / La fin de la douleur / -, cela n'a rien d'inédit. Mais que cette jeune fille-là, lumineuse et fragile, se consacre de toutes ses forces à l'écriture, de nuits blanches en échéances médicales - si seulement j'avais le temps de vivre -, cela n'a rien de commun.

Car l'amour, la poésie et la mort s'entrelacent en elle, tel le nénuphar blanc dans les poumons de Chloé, jusqu'à asphyxier une à une les cellules de son sang.

Notre Eurydice porte le prénom de l'héroïne du Pays des merveilles de Lewis Carroll, mais à l'Andalouse  : Alicia Maria Claudia. Sa courte vie est pleine d'échos, d'étoiles et de signes : née le mardi 20 janvier 1970, morte à 20 ans au petit matin d'un 24 décembre, dans un hôpital du 20e arrondissement parisien - "en son vivant, étudiante", comme le stipule l'atroce acte de décès notarié. Et ce choix de poème de paraître enfin en l'an 2020.

Trente ans qu'Alicia est passée de l'autre côté du miroir.
Et que ses proches se défient du Noël.

Trente ans que son corps repose au cimetière du Montparnasse, coiffé d'une mantille sévillane de dentelle blanche, escorté dans l'au-delà par un mignon hippopotame en peluche dit Gros Doux. Et par un grand-oncle d'Espagne, disparu l'année de sa naissance, comte de Castilleja de Guzman, dont la dépouille fut rapatriée afin qu'Alicia ne demeurât pas seule sous terre.

Trente ans qu'elle a donc rejoint, par une nuit bleue et froide de décembre, le fantôme de Charles Baudelaire, dont le frisson nouveau n'a cessé d'inspirer son encre Waterman :

Cela ira
Je n'ai pas peur du noir
Et puis il n'y a pas de vautours
Dans les étoiles


Dès l'enfance, Alicia couvre ses cahiers de poèmes : siens ou recopiés. Ses herbiers alternent feuilles séchées et citations enluminées. L'hiver de ses quinze ans, elle compile et surligne aux crayons de couleur ses poètes préférés : Jacques Prévert y côtoie Arthur Rimbaud ou Jean Cocteau, mais aussi Oscar Venceslas de Lubicz-Milosz : Quand on blesse un poète on perd l'éternité. Dans ses grands formats au carton marbré Annonay, la jeune Alicia s'applique à reproduire l'élégante signature en X de Paul Eluard, tout en scotchant un authentique trèfle à quatre feuilles. Sur la couverture de l'un de ses dossiers, pour tout viatique, en lettres capitales et feutre noir rehaussé de rose" :

 J'ECRIS JE VIS.

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"(...) Ailleurs il y avait un marque-page confectionné par ses soins, à en-tête rouge de la maison Gallimard, sur lequel elle avait écrit au feutre noir son nom dans un prompt mouvement ascendant, soutenu par son étoile.

Alors je me suis dit que décidément oui, au Printemps 2020, il était plus que temps qu'Alicia Gallienne soit exaucée".
 

Sophie Nauleau, 29 juillet 2019


(....)




Le sillage du soir venu

Et si un jour je me dois de partir
De refermer les portes derrière toi
Pour ne plus m'apercevoir que je t'aime
Et si un jour il fallait que je m'en retourne
Que je doive quitter tes doigts qui me parlent
Pour ne plus me déguiser de ton visage
Si un lendemain ou une veille tu me perds
A tant de murmures que répondre ?
A tant de lueurs dans tes yeux
Ma bouche pendue à ton cou perdue à ton corps
A tant de lueurs ardeurs
Oublions les réponses et pardonne-moi
Pardonne-moi mon amour
 De m'appartenir de toi dans toi
Avant de refermer le verrou et de m'enfuir
J'embrasserai ton regard tes cils longs et recourbés
Je me donnerai au sommeil dans tes bras
Dans tes bras pour un dernier refuge
Une ultime promesse que tu ne tiendras pas
J'emporterai le secret le vertige de ce que tu me disais
Lentement et tout bas
Sans doute de nous deux c'est moi qui aime le plus fort
Mais il faut partir avant
Avant qu'il ne soit trop tard dans le coeur de tes bras
Avant que tu ne m'oublies dans l'horizon du soir
Avant que tu n'aies l'illusion de me posséder entièrement
Car vois-tu je suis tout comme le vent
Tout comme le vent qui caressera ton visage
Pour toujours
Et qui portera en lui la saveur de ta peau
Où j'ai vu mon empreinte mon image
Une nuit ou peut-être tout la vie.

Alicia Gallienne


*****


4 commentaires:

  1. Je découvre, et je suis ébloui.
    Merci pour ce détour magique.

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  2. De même pour moi. Une sacrée découverte.
    Je déposerai sur mon blog des poèmes d'Alicia car tous sont très émouvants quand on sait qu'ils ont été écrits par une jeune fille entre ses 15 et 20 ans. Grande émotion à les lire. Heureusement que la poésie est présente en ces jours difficiles.
    Prends bien soin de toi et des tiens letienne.
    Den

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  3. C'est vraiment extraordinaire!
    Des mots peints avec émotion et tendresse

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  4. Ses mots ont grimpé le mur pour atteindre les cieux qui sanglotent.
    j'ai lu d'un trait ses pages, et me suis glissée entre les lignes de sa poésie intérieure.
    Les oiseaux de ma bannière regardent avec étonnement ses ailes à elle qui défient le temps, le tant, ses mots sur ses cahiers palpitent sans ride aucune dans la couleur du si beau lointain....
    merci Marie.
    Bonne soirée.

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Par Den :
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