samedi 15 septembre 2018

*Chanel N° 5...........



Les Prénoms épicènes



Je vous l'avais promis, j'ai lu le dernier roman d'Amélie Nothomb, d'une traite, c'est dire l 'intérêt  éprouvé, et vous  livre ici quelques pages....

on en parle ensuite, si vous le voulez bien !


*****





Au moment de la laisser, Claude sortit un paquet de sa mallette. 
- J'ai un cadeau pour toi".
- Qu'est-ce que c'est ?
- Tu verras.

Restée seule, Dominique s'empara du paquet.
Elle eut honte d'abîmer un emballage à ce point magnifique.
Sur le papier, une étiquette  indiquait une adresse sur les Champs-Elysées et la jeune fille ne peut se défendre d'être impressionnée.

Chanel N° 5 : elle savait que cela existait, point final.
Jamais elle n'avait reçu de parfum.
Quant à l'idée de s'en acheter un, elle ne l'avait pas effleurée.
Claude était fou de lui offrir cela.
Elle quitta le café, espérant que personne ne l'avait vue dans une situation aussi gênante.

Chez elle, elle s'enferma dans la salle de bains et osa sortir le flacon de la boîte.
L'objet lui parut d'une beauté inégalable. C'était le modèle d'origine, sans vaporisateur.
Elle enleva le bouchon et respira : l'odeur la stupéfia trop profondément pour qu'elle puisse savoir si cela lui plaisait.

Au bureau,  une de ses collègues lui avait dit qu'il fallait porter un parfume pour déterminer s'il vous allait. Il ne sentait pas pareil en fonction des individus. Dominique se déshabilla entièrement, s'assit sur le bord de la baignoire et saisit le flacon. Elle procéda comme elle avait vu au cinéma : elle imbiba le bouchon en retournant le flacon, puis elle en caressa l'intérieur de son poignet. Ensuite, elle porta à ses narine sa peau métamorphosée par l'onction : ce qu'elle éprouva alors dépassa toutes les émotions qu'elle avait vécues. Si elle avait été contrainte de mettre des mots sur ce qu'elle ressentait, elle aurait dit que cela sentait la reine d'un autre monde, l'élégance à son sommet, la beauté enfin incarnée et le baiser de ses rêves, si différent des baisers laborieux qu'elle acceptait de Claude.
Mais dans l'intimité de la salle de bains, elle ne se donnait pas le devoir de nommer, elle se contenta de gémir de plaisir.

Elle renversa à nouveau le flacon et imprégna plus généreusement le creux du poignet. Cette fois, l'effet monta en flèche jusqu'à son cerveau et elle trembla. Le dieu du parfum l'étreignit, la vieille astuce du cuir de Russie opéra et la jeune femme comprit que sa peau était le siège d'une jouissance sans limites.  Elle se vit nue  dans le miroir et elle sut qu'elle était belle. Détournant aussitôt le regard, elle se demanda si Claude la désirait et l'odeur ensorcelante répondit avec autorité qu'elle ne pouvait pas en douter.

Alors, elle commit l'impensable : elle imbiba le bouchon derechef et elle oignit sans mesure le haut de son cou en observant son geste dans le reflet. Une goutte de parfum coula sur sa poitrine et l'ivresse se propagea à son corps entier.

A vingt-cinq ans, Dominique ne connaissait que l'eau de Cologne, qu'elle n'appréciait guère. En lui offrant Chanel N° 5, en choisissant pour elle ce parfum somptueux, Claude lui déclarait sa flamme avec éclat. La senteur miraculeuse l'enveloppa de son trouble et elle dit à voix haute :

- Je l'aime.

De s'entendre prononcer ces mots, elle se demanda à qui elle s'adressait. Elle répondit à son reflet.

- J'aime Claude. Claude je t'aime.

Elle frémit de la tête aux pieds. C'était donc cela. L'esprit du parfum l'avait libérée de sa peur.
Claude était ce prince qui la délivrerait du sortilège qui l'emprisonnait. Par quel génie avait-il su que Chanel N° 5 était la clef de son âme ? Elle l'ignorait mais elle l'en bénissait.

Oui, elle l'épouserait. Elle vivrait avec lui. Elle habiterait la ville  de ce parfum.

Amélie Nothomb
Les prénoms épicènes

roman
Albin Michel

pp 28 à   31


*****



"La personne qui aime est toujours la plus forte"



                          




*****

 Cette écrivaine que j'aime, aux discours et aux mots toujours polissés, qui a cette faculté de rendre vivants ses personnages, qui possède cette intelligence de l'enchaînement et l'avancement de l'histoire,  en nous  tenant en haleine du début à la fin...  un  roman symbolique en forme de   fable


On croise  ici un poisson inconnu : le cœlacanthe, mastodonte des mers qui vit dans les profondeurs et « qui a le pouvoir de s’éteindre pendant des années si son biotope devient trop hostile : il se laisse gagner par la mort en attendant les conditions de sa résurrection. » Tout est symbole chez l’auteure belge.
Amélie Nothomb s’éloigne de sa série sur les contes de fées avec ce petit roman par le nombre de pages :  155 , mais elle renoue avec lui cette obsession : tuer le père.  Un roman que  j’ai  aimé et qui pose la question de la folie amoureuse, de la colère et de l’héritage parental,   mais qui laisse néanmoins dans la bouche un goût amer  tant par la manipulation que l'on ressent, la vengeance, l'indifférence, le non-amour.

Son écriture est brève... 

Ses phrases courtes expriment ce qu'elles veulent  nous dire, directes , elles nous harponnent sans que nous le voulions, et se dégustent  jusqu'à la dernière ligne, sans modération.


Un doux dimanche à vous.

Den



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4 commentaires:

  1. Elle est très prolifique mais je ne sais pas pourquoi le personnage m'agace un peu, c'est bête...
    IL faudra que je tente celui ci
    Bisous Den

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    1. Il est vrai qu'elle est très originale Melle Amélie Nothomb, excentrique même, atypique, c'est pour cela que je l'aime. C'est un personnage plein d'humour adulé par les uns, controversé par les autres... mais moi j'aime ses romans aux thèmes dérangeants, écrits avec des phrases courtes, mais percutantes. Elle a l'art chaque fois de nous conduire avec malice dans des situations embarrassantes, oppressantes, dérangeantes, avec des personnages aux prénoms à coucher dehors, qui se distinguent de la masse mais dans laquelle nous nous retrouvons... Maintenant nous pouvons nous interroger sur la part d'elle-même qui se retrouve dans ses romans.. vérité, mensonge.... peu importe elle nous donne à lire l'insolite qui provoque jusqu'à l'ivresse comme une coupe de champagne, servie, resservie, sa brillance, sa pétillance...
      Essaie de la lire, Marine, tu devrais aimer.
      Bisous rendus.

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  2. Merci Den d'être venue me rendre visite. Trop attirée par la nature qui vit ses plus belles journées d'été indien, je ne te suivrai, hélas pas, dans ta lecture. Mais cet hiver au coin du feu......pourquoi pas. Bon dimanche. Chinou

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    1. L'hiver permettra de belles soirées, et de belles lectures. Pourquoi pas d'Amélie Nothomb !!
      merci à toi Chinou d'être venue jusqu'ici.
      Bonne fin d'après-midi.

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Par Den :
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