mardi 14 septembre 2021

...* Je ne sais...




Je ne sais quelles gens...

"Je ne sais quelles gens fuyant je ne sais quelles autres
Dans un je ne sais quel pays sous le soleil
et sous certains nuages.

Ils laissent derrière eux leur je ne sais quel tout,
champs labourés, je ne sais quelles poules, quels chiens,
quels miroirs où des flammes se reflètent.

Ils portent sur leurs dos cruches et balluchons.
Plus ils sont vides et plus ils pèsent lourd.

S'accomplit en silence - je ne sais quel dénouement,
dans le tumulte, d'un quignon de pain - je ne sais
quel dépouillement,
et puis, d'un enfant mort - je ne sais quel balancement.

Devant eux toujours la même route- pas par là,
le même pont - qu'il ne faut pas,
à travers une rivière bizarrement toute rose.
Autour sans cesse des tirs, une fois près, une fois loin,
au-dessus un avion qui tourne un peu.

Il faudrait là un peu d'invisibilité,
de grisaillerie caillou,
ou, mieux encore, d'absence,
pour un très court instant, voire un tantinet plus long.

Il  passera sans doute, mais alors quoi et où ?
quelqu'un les accueillera, mais alors qui et quand,
en combien de personnes, avec quelles intentions ?
S'il a encore le choix,
il voudra bien, peut-être, ne pas être leur ennemi,
et leur laisser une je ne sais quelle vie"..

Wislawa Szymborska

"je ne sais quelles gens"

traduit du polonais par Piotr Kaminski

***



 

9 commentaires:

  1. Nous traversons la vie, avec joie, avec enthousiasme, avec peine, tous les sentiments se mélangent, nous aurions pu être autre, avec moins de chance, moins de chagrins aussi, la vie est une loterie, on ne peut rien y faire...

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  2. Un texte bien spécial je ne sais quoi dire..!

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    1. Wislawa Szymborska est née le 2 juillet 1923 en Pologne et décède le 1er février 2012 à Cracovie, est une poétesse talentueuse qui écrit joliment, et ses mots de tous les jours, sont des images simples, fines, d'accès facile, plus ou moins. On pourrait la comparer à Guillevic.

      Ses mots se suffisent à eux-mêmes, légers et tendres, ... ils parlent pour nous, ne chassant jamais l'essentiel.

      Lauréate du Prix Nobel de Littérature, elle traduit la poésie française du XVI-XVIIe siècle.

      Des mots parfois taciturnes qui pourtant libèrent, de la philosophie à l'être humain, du petit à l'immensément grand, qui nous interrogent sur nous-mêmes.

      Elle naît d'un "je ne sais pas" sans fin.

      En préface de ce livre on trouve le discours prononcé par elle lors de la remise de son grand Prix qui la faite connaître au monde entier,... traduite en 40 langues.

      Empreinte de l'époque dans laquelle nous vivons, tout en parlant de poésie, elle mêle l'ordinaire et la métaphysique, l'intime, les mythes.

      Piotr Kaminski écrit : "affranchie de tout problème formel, aimablement ouverte vers son lecteur, elle lui révèle des abîmes métaphysiques souvent traités sur le mode de la plaisanterie sur laquelle plus qu'une exégète, plus d'un traducteur se sont cassés les dents"....

      Complexes mais pas torturés, ses mots ouvrent l'esprit et demeurent sereins.

      D'une grande beauté, ses écrits portent les clés de son univers sérieux dans un sourire grave aussi qui atteint parfois la surprise, l'étonnement.

      Inspirée, je crois.

      Sa devise pourrait être celle de Montaigne : "réciter l'homme et réciter le monde".
      Entre Montaigne et Wislawa Szymborska s'établit cette communication. Elle aime lire Montaigne quand "ça va mal" et redevient le messager à travers ses poèmes qui ne ressemblent à aucun autre.

      Merci Robert, pour expliquer un peu ce texte qui te surprend.

      Merci Marine pour tes mots qui ont compris l'interrogation de l'auteur..."nous aurions pu être autre",.. je ne sais quelles gens... qui s'éloignent abandonnant tout, émigrent vers quels lieux ?.... des mots actuels pour moi qui retentissent grandement...

      Merci à vous.
      Bonne soirée.

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  3. Des mots très actuel:
    "nous aurions pu être autre"
    nous aurions pu errer, vagabonds de pays gribouillés
    nous aurions pu être prisonniers d'un monde en mal de vivre, mais ne le sommes nous pas un peu?

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    1. Oui tu as raison Marie... mais la vie en a décidé autrement. Nous sommes d'ici. ... mais nous aurions pu être d'ailleurs et autre, avec toutes les interrogations que cela génére... J'aime les mots de Wislawa Szymborska, immense poétesse, traduits justement du polonais par Piotr Kaminski...qui a ce talent de remuer profondément toutes ces questions philosophiques !! Des mots de notre temps !
      bonne soirée.

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  4. Oui, merci Den, on se dit aussi que notre vie aurait pu être différente et on n'ose le souhaiter !

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    1. Mais là, ce me semble ce ne sont pas des vies choisies, mais des vies imposées dans ces cadres bien difficiles, des migrations infligées, en errance, en partance vers on ne sait où !! pauvreté dans le tumulte, dans le silence, dans des pas non choisis....vers des lieux inconnus...
      Merci Marine de rajouter un questionnement supplémentaire.
      Bonne soirée.
      Je t'embrasse...

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  5. Réponses
    1. Heureuse que tu l'aimes. Je l'ai découverte aussi, et je l'apprécie car son écriture me parle tout en étant "innovante".... mais j'aime la profondeur de ses mots, ses idées qui permettent de longues promenades .... poétesse exceptionnelle....
      Merci Marie du Bonheur de ce jour.
      Douce semaine.

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Par Den :
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