vendredi 17 avril 2020

*Mon Cher Village,

mercredi 15 avril 2020
par Augustin Trapenard

France Inter

Lettre d'Intérieur

"Nous vivons (...) la revanche des lieux où l’on dit que « tout est mort »" - Cécile Coulon

 





Cécile Coulon est née dans le Puy de Dôme. Dans cette lettre adressée au village Eyzahut, elle rend hommage aux milliers de communes de moins de 500 habitants, si souvent oubliées, et pourtant peu touchées par le Covid 19.

Cécile Coulon, écrivaine
Cécile Coulon, écrivaine © AFP / JOEL SAGET
"Clermont-Ferrand, le 14 avril 2020

Eyzahut, cher village,

Je ne te demande pas si tu vas bien : je sais que tu vas bien. Dans tes mâchoires de pierre arrosées par les ruisseaux, habillées des arbres que le printemps doit fleurir et des oiseaux réfugiés dans tes hauteurs, je ne m’inquiète pas pour toi, ni pour celles et ceux qui vivent dans tes maisons, serrées les unes contre les autres comme des meilleures amies un soir de premier bal.

Eyzahut tu as un drôle de nom : Eyzahut, cela signifie 'hautes maisons'. Village élevé qui élève lui-même quelques cent soixante habitants. On ne te voit jamais aux informations, à la télévision. On ne t’entend jamais à la radio. On te lit quelques fois, dans le journal local, au moment des tournois et des élections. Eyzahut, tu es si beau, une beauté d’autrefois, une beauté bien cachée.

Je t’écris cette lettre par-dessus tes ruisseaux, au-delà des falaises, en remontant les massifs de l’autre côté de l’Ardèche. Je suis nichée dans un appartement qui a bien peu d’âme à côté de ton antique demeure. Je t’écris car il y a tant d’Eyzahut en France, tant de si petits villages qui ont failli mille fois mourir mais où, aujourd’hui, personne ne meurt.

Pas de médecin. Pas de commerce. Accès difficile. Eyzahut, on dit qu’en temps de repli en chaque homme fleurit ce qui, pour lui, a le plus de valeur : avant je rêvais d’un bord de mer inconnu, de ventes et d’honneurs, aujourd’hui je ne rêve que de venir jusqu’à toi, emprunter cette route étroite et venir me planter dans ton cœur.

Ce confinement n’est pas nouveau pour toi. C’est comme cela que tu vis, chaque jour, c’est comme cela que tu tiens, retranché derrière tes murs que la lumière du jour doit, en cette saison, baigner de rouge et de bleu clair. On me dit que tu as un peu toussé, qu’il y eut dans une chambre une légère fièvre. La mairie reste ouverte pour les attestations, quand on va aux courses il faut attendre devant les portes coulissantes un peu plus longtemps.

Eyzahut, la France compte 19 000 places fortes comme toi, 19 000 communes de moins de 500 habitants où la vie n’a pas tant changé depuis un mois. Ce n’est pas le diable qui se niche dans les détails, mais la vieillesse que tu connais si bien pour l’abriter depuis longtemps à côté des nouvelles familles venues pour voir grandir dans tes bras tordus leurs enfants.

Nous vivons en direct la revanche des lieux où l’on dit que 'tout est mort' à l’année, et qui aujourd’hui ne sont pas, ou peu, inquiétés. 'Ici on ne meurt pas de ces choses-là', disent les plus âgés, le village n’est pas mort, il est juste apaisé. Eyzahut tu apparais en ces temps de repli comme un refuge de conte de fées : la falaise est ton masque, la hauteur ton vaccin. Eyzahut, je ne m’inquiète pas, je sais que tu vas bien. En ce jour, tu es une leçon que je croyais avoir appris, mais il me manquait la peur de perdre le calme et les forces que tu m’avais promis".


Cécile Coulon
 
 
 
 
Pour Françoise,
Pour toutes celles ou ceux qui ont la chance d'habiter  "ces hautes maisons", dans ces lieux trop souvent oubliés, mais si vivants !
Den
 
 


4 commentaires:

  1. Revenir aux choses essentielles, nos villages sont souvent méprisés, ils sont beaux, ils sont refuge, mais il faudra bien finir par se mélanger et affronter ce virus, ne pas s'isoler complètement...

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    1. On peut choisir de vivre isolés, loin des villes... et je pense qu'après cette pandémie certaines personnes quitteront les lieux étroits, ces fourmilières, ces métropoles peuplées pour des villages cachés, qui abritent et affichent leurs beautés pittoresques près des ruisseaux et des rochers..... ils agrandiront ainsi leurs familles, revenant vers ce qui compte vraiment, redonnant la vie à ces villages élevés, apaisés, peut-être loin de tout... et alors ?

      merci Marine pour tes mots et pour ton appréciation du texte de Cécile Coulon.

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  2. Ah j'ajoute que j'aime beaucoup ce texte Den
    Bisous

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Par Den :
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