lundi 27 avril 2020

*Ce monde-là !

Jeudi 23 avril 2020
par Augustin Trapenard
France Inter

Lettre d'Intérieur

"Est-ce ce monde-là que j’aurais aimé t’offrir ?" - Jean-Baptiste Del Amo

 

Jean-Baptiste Del Amo est né à Toulouse et vit dans le Loir et Cher. En 2016, il remporte le prix du livre Inter pour "Règne Animal". Dans cette lettre adressée à l'enfant qu'il n'aura jamais, il se demande si mettre des enfants au monde a encore un sens aujourd'hui. 



Est-ce ce monde-là que j’aurais aimé t’offrir?
Est-ce ce monde-là que j’aurais aimé t’offrir? © Getty
Loir et Cher, le 23 avril 2020

À l’enfant que je n’aurai pas.

Lorsque j’avais l’âge que, peut-être, tu aurais aujourd’hui, j’ai souvent pensé que je n’aurais jamais d’enfant. Ce qui m’attristait n’était pas tant la perspective de ne pas en avoir que l’idée de priver mes parents de petits-enfants, de les décevoir et de savoir que je resterais, à leurs yeux et à ceux des autres, inaccompli.

Et puis j’ai grandi. J’ai voulu faire de ton absence une force. Sans toi, je serais plus libre, sans devoirs, sans attaches.

Je mentirais, néanmoins, si j’affirmais que je n’ai jamais envié ceux qui ont un enfant, si je disais que ne me traverse pas, par moment, le regret mélancolique de ne pas t’avoir connu.

En vérité, je n’aurais sans doute pas grand-chose à te donner. Je n’aurais pas de solution pour te permettre de traverser la vie sans t’y brûler. Rien qui t’eût préservé de grandir, de te heurter à l’âpre réalité de ce monde, de devenir triste et grave, d’être déçu en amitié et en amour. Tu vois, plus le temps passe, moins j’ai de certitudes. Mes convictions sont fragiles et je n’ai rien appris.

Et puis regarde-nous, tristes humains, qui n’avons eu de cesse de nous définir en opposition aux autres formes de vie dans le seul but de justifier notre domination sur elles. Nous avons fait fi des signaux et des avertissements. Nous avons brûlé les forêts, puisé les énergies fossiles, acidifié les océans. Nous avons enfermé les animaux dans des fermes-usines. Nous avons fait taire les oiseaux. Nous avons poussé jusqu’au point de non-retour notre recherche avide du profit. Nous avons érigé en modèle le capitalisme le plus cynique et désabusé, au mépris du plus faible que nous lui sacrifions sans ciller : l’animal, le migrant, le vieux, le malade, l’ouvrier.

Est-ce ce monde-là que j’aurais aimé t’offrir?

D’aucuns diront qu’il faut avoir de l’espoir, croire aux générations futures. Mais ce n’est là qu’une énième façon de nous dédouaner de toute responsabilité, comme l’a fait la génération de nos parents dans les années 70, lorsque les politiques et le lobby industriel ont œuvré à enterrer un accord international majeur sur le climat et à museler les lanceurs d’alerte. Trente ans plus tard, les USA et le Brésil sont dirigés par des climato-sceptiques, les millionnaires de la Silicon-Valley investissent dans des bunkers en Nouvelle-Zélande en prévision de l’effondrement et l’humanité tremble devant la nouvelle pandémie qui la frappe.

L’essayiste américain Nathaniel Rich le dit : nous aurions pu sauver la Terre et nous ne l’avons pas fait.

Alors oui, parfois, un regret me traverse, comme en ce moment, de ne pouvoir partager avec toi ce début de printemps, le parfum du pommier qui vient de fleurir, l’émerveillement de trouver une petite couleuvre derrière le vieux tas de bois, ce livre pour enfants que j’ai écrit en sachant que je ne te le lirais pas.

Je me console en me disant que si, sans toi, je perds sans doute beaucoup, tu ne manques en revanche pas grand-chose.


Jean-Baptiste Del Amo

 


4 commentaires:

  1. Oh la la que j'aime la fin, bien que très désabusée; elle me rappelle en opposition (et le contraste est toujours éclairant!) "La vie ne vaut rien, mais rien ne vaut la vie". Ainsi s'ouvrent d'autres pistes de réflexion.

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  2. Beaucoup à dire, notamment sur le désenchantement mélancolique ! bien sûr que le monde est difficile actuellement, et même si l'on ne fait pas des enfants pour soi, les avoir enjolive notre monde et le leur ! merci pour tes mots Anne qui ouvrent le débat.
    Bon (j'allais dire dimanche, ce qui veut dire que le confinement a emmêlé nos pensées)... BON MARDI ! sous une pluie fine !
    bisous.

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  3. "Je me console en me disant que si, sans toi, je perds sans doute beaucoup, tu ne manques en revanche pas grand-chose."
    Une réflexion pessimiste sur notre univers et la vie?
    Difficile aujourd'hui de répondre...

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    Réponses
    1. J'ai répondu en partie à Anne : avoir un enfant actuellement, est-ce un cadeau que nous lui faisons ? ; à notre époque avoir un enfant était une évidence,une suite logique : on aimait, on faisait un enfant pour égayer la vie, l'accompagner chaque jour, découvrir avec lui les saisons qui défilent, le parfum des fleurs, les couleurs du ciel, tout comme le prolongement aussi de la famille ; quelquefois même dans notre parenté, certains hésitaient, craignant le monde de demain, ils avaient vu venir ce que nous vivons, peut-être ; mais aucun regret en ce qui me concerne : nos enfants, puis nos petits-enfants brodent et ornent nos jours même s'ils ne sont pas toujours roses. C'est un choix de vie ! Peut-être vous, nos enfants, et nos plus petits, sauverez-vous notre pauvre Terre de ce que nous en avons fait ! L'amour que nous vous avons transmis oeuvrera-t-il en ce sens ?
      Bon après-midi Marie.

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Par Den :
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