"Mes chéris, savez-vous combien je vous aime ?" Susie Morgenster
Susie Morgenstern est née dans le New Jersey, aux Etats
Unis. Elle vit et travaille à Nice, où elle écrit des livres pour la
jeunesse. Dans cette lettre adressée à ses petits-enfants, elle parle de
procrastination, d'écriture et de solidarité.
Chers Yona, Noam, Emma et Sacha,
Vous le savez déjà : je ne suis pas une fée du ménage. Je suis disciplinée pour certaines choses et pas pour d’autres. Mais, je voudrais profiter de cette période de confinement à Nice pour faire le grand nettoyage de printemps sachant que je ne suis pas douée.
Je vais vraiment m’appliquer. D’abord, j’écris quelques lignes pour me donner du courage et puis promis, j’y vais. Et oui, je préfère écrire une histoire que de faire le tri dans mes affaires. Me voilà prête. J’ouvre un tiroir, la boîte de Pandore, une jungle de machins et de trucs que la consommation frénétique de ma jeunesse a fait s’accumuler. Je regarde, consternée, mais je ne touche à rien ! Est-ce que j’ai vraiment besoin de quatre louches, trois couteaux à pain, six paires de ciseaux, cinq agrafeuses et des collections infinies de pacotille ?
Je ne referme pas le tiroir, mais je m’enfuis devant mon écran. Tout sauf ça. La mauvaise conscience me pousse à y retourner et à contempler la scène du crime. Je garde tout, au cas où l’un de vous en aurait besoin le jour où vous vous installerez en ménage. (Il y a une louche pour chacun d’entre vous !)
Je prépare mon déjeuner.
Le tiroir me nargue. Après la sieste, peut-être …
Au lit, je ne me permets pas plus de cinq pages de relecture de Virginia Woolf « Une chambre à soi ». Au compte gouttes pour savourer. Et comme chaque fois que je lis un chef d’œuvre, j’espère que vous le lirez aussi. Que vous lirez tout court !
Je retourne au travail. Je parcours mes messages. On me demande un article. Autant commencer tout de suite. Mais le tiroir est ouvert comme la bouche béante d’un monstre. Je remarque un chocolat qui aurait pu être là depuis l’antiquité.
Je le mange. Et puis d’un coup décisif et déterminé, je vide le tiroir pour former une montagne sur la table de la salle à manger. Il y a un vieux cahier et des stylos. Je m’assois pour les essayer et je retrouve le plaisir d’écrire sur du papier. Je pense à tous mes manuscrits écrits à la main avec nostalgie.
Mes yeux tombent sur un paquet de ballons de toutes les couleurs, un stock suffisant pour une future fête gigantesque. J’en gonfle un. Puis, un à un, je les gonfle tous. C’est un effort considérable, mais je ne peux pas m’arrêter. Les ballons remplissent la maison de légèreté, d’espoir, de folie. Un à un je les envoie par la fenêtre, mon message de gratitude et d’admiration au personnel soignant. Je les connais bien après ma longue maladie, ces anges sur terre, nos héros. Chaque ballon dit « I love you ! »
Comme les ballons sont appropriés
! Aujourd’hui c’est mon anniversaire: j’ai 75 ans ! Happy birthday to me !
Mes ballons expédiés, je fixe le contenu du tiroir, je fais les cent pas et d’un geste définitif et concluant, je remets toute la pagaille à sa place. Dans un mois peut-être ?-
Entre temps, ne serait-il pas urgent et important de vider le tiroir du bric à brac qui se trouve dans ma tête ?
Mes chéris, savez-vous combien je vous aime ?
Votre Bubie, Susie Morgenstern
Tant de poésie dans le miroitement de ses mots! Elle ouvre son cœur au vent, elle réveille, elle révèle ses souvenirs enfouis dans sa tirelire de bric à brac. Quelle majesté dans l’épandage de ses rêves dans le silence de ses jours ! Elle luit comme le soleil un jour de pluie bienfaitrice.
RépondreSupprimerJe ne commente plus mais je ne peux rester indifférent à tant de bonheur de lire.
Amitié Den
Ah ! bizak, si heureuse de te retrouver ici.... et il est vrai que ce texte comme les autres de cette série "lettre d'intérieur" ouvrent nos coeurs et nos âmes.... quel plaisir en cette période si dure... de nous retrouver en elle dans cet enfouissement, ses semailles dans cette image, cette rêverie vécue dans le silence de nos nuits ou de nos jours.
Supprimermerci à toi d'avoir pris le temps de commenter ici.
Je te souhaite le meilleur. Prends bien soin de toi.
Amicalement égal'aimant.
Une auteure jeunesse merveilleuse.
RépondreSupprimer"Mes chéris, savez-vous combien je vous aime ?" une phrase qui résonne dans nos coeurs de grand-mère, n'est ce pas Den ?
Nous aimerions tellement les serrer dans nos bras. Nous pouvons toujours le faire dans nos pensées.
Bonne fin d'après-midi. Je t'embrasse.
Très émouvant..... ces mots bourdonnent dans mon coeur, comme tout un chacun....
RépondreSupprimerJe ressens dans ce moment si particulier une lueur d'espoir où tout renaîtra, j'espère, et nous réjouira.
Gros bisous derrière l'écran qui réunit.