Paul Quéré BODÉRÈS D'OCTOBRE
PAUL QUÉRÉ, AU PRÉSENT,
SUR LE MODE INFINI
Guy Darol
Pour Ariane Mathieu
Tout est calme et immobile. C’est ce que j’ai vu, revenant de Bretagne. C’est ce que j’ai senti.
Il n’y a rien qui remue comme le vent dans les branches du hêtre : mon hêtre archidoré.
C’est forcé que je suis parti, poussé par la civilisation du travail, au train, à la roue. Car l’harmonie dérange et la civilisation, elle se plaît à déranger l’harmonie.
Haute solitude, disait Fargue. J’en connais les vides et les vertus. Et la tristesse qui suit ou précède la joie : rotation émotionnelle.
Pourquoi t’escrimes-tu ? m’a-t-on soufflé. Oui, pourquoi me battre ? Puisque le meilleur survient lorsqu’on ne l’attend plus.
Puisque tout ce qui arrive de bon jaillit du cœur paisible des êtres.
J’ai abdiqué. J’ai acquiescé. Je me suis abandonné au courant du rêve.
Car mon amour est loin et mon réel, c’est la Bretagne, l’envoûteuse :
géographie magique où le temps ne se décompte plus.
*
Je mesurais fâcheusement les pas. Les jours. Je jetais dans l’espace des ponts millimétrés.
Cependant, assez vite, j’ai compris qu’on ne limitait pas un rêveur, qu’il n’y avait pas de mailles assez serrées.
J’habite par la force des choses un surplomb à Nogent-sur-Marne, mon hivernage : une province en banlieue où l’on se souvient des guinguettes.
Je ne ferraille pas contre la ville. Je la filoute.
Sa force d’écrasement – elle concasse, elle abrutit –, j’en escamote une part de souffle pour écrire, pour rêver toujours.
Ainsi, ce n’est pas la Marne qui me lie à la mer mais le ciel. J’ai vue sur la mer quand le soleil du soir y tombe et qu’il m’éclabousse de reflets.
Là-bas, derrière l’horizon bleu incandescent, c’est la péninsule qui se dresse, étrave chimérique, et les nuages rouges d’effort, ce sont les voiles des canots de Mathurin Méheut.
Que voulez-vous, j’ai le songe. Ce n’est nullement ce qui me reste. Cela s’additionne plutôt. Il s’ajoute du songe à mon songe chaque fois que mes yeux vont au large.
Chaque fois que mes yeux vont au large, je me fais sterne et je rejoins mon amour sur les rubans de côte, nos pointes, nos belvédères, nos stations sur l’infini.
Je relie mon amour au moyen des images.
Là-bas, j’ai laissé mon bagage.
Ici, je cède l’enveloppe. Une marinière en oriflamme : ce signe pour dire que je passe.
Car je passerai mon tour et c’est l’étoffe dont on se rappellera.
L’étoffe seulement.
*
Dedans est à Quélévern, mon rêvoir.
Tu me l’as dit Yvon Le Men, il existe le Paradis. L’un de ses domaines certain borde un bois où boivent les fées, où le Dourduff prend sa source.
Tu le sais, toi, Yvon Le Men, que j’habite au Paradis quand je demeure à Quélévern.
Depuis ma terrasse de Nogent – elle regarde sur les crépuscules –, j’ai débusqué la merveille.
Deux pies nichent dans un cèdre, mon Enkidou. Le cèdre a aboli le paysage, effacé les immeubles, les puanteurs et les vacarmes. Il est mon âme camarade. Je l’aime, comme mes frères de Bretagne. N’y touchez pas !
Cèdre, tu rayonnes en terre vers les mains tendues de mon if. Cèdre, où sont les pies heureuses, tu me relies à Kdamba, mon arbre jacasseur, l’if des korrigans.
Jock, de loin venu, de Tasmanie, ce globe quêteur, il allait une boussole en poche. Nous avons fait un morceau de route et le brin de conversation. Alma et moi, nous fûmes aux anges.
À cette altitude, on n’aperçoit plus de barrières.
Jock est un vigoureux enfant de 61 ans. Il allait, une boussole en poche vers l’extrême Ouest, et pour nous payer du whisky que nous lui servions, il jouait de la flûte du fond de l’âme. Comme moi, il est convaincu que le Graal est à l’intérieur.
Il a feint de pisser sous mon if alors que d’évidence son jet était de mots.
Il parlait dru.
Il causait de nos korrigans. Ses lèvres remuaient. Car il sait, lui, que tout est vivant et que tout nous est proche : le vent, le caillou, les pies qui nichent dans mon cèdre.
Ici et là, dans l’unité du songe.
Sur la terrasse – ma falaise –, je vois du ciel et c’est la mer qui me jette des lueurs, ses étincelles de clarté.
Merci pour ce partage...
RépondreSupprimerA bientôt vers la fin du mois de Juin
"« J’aime tout ce qui s’écrit sur le silence.
L’immobilité. L’écriture est alors l’imperceptible mouvement,
l’à-peine audible respiration d’un infini,
un instant attentif à l’homme. »
(Suite bigoudène effilochée, 1982)
Paul Quéré
Tout est vivant, tout est à découvrir mais l'homme est fragile ...
RépondreSupprimerBises Den
Merci pour vos mots Marie et Marine et ceux de Paul Quéré au coeur paisible,tendre et délicat qui aime le ciel, la mer, tout ce qui vit.
RépondreSupprimerA bientôt de vous lire ou de t'entendre au téléphone Marine.
Bises.
Den