vendredi 8 mai 2020

*A mon frère !

vendredi 17 avril 2020
par Augustin Trapenard

France Inter

Lettre d'Intérieur


"Tu t’en souviens très bien je pense, de la chambre de notre enfance..." Sophie Fontanel

 

 





Sophie Fontanel est journaliste et romancière. Dans cette lettre adressée à son frère, avec qui elle vit confinée, face à le mer, elle saisit quelques instantanés de leur quotidien, et fait l'éloge d'une tendresse fraternelle.




Sophie Fontanel
Sophie Fontanel © Getty
Normandie, le 16 avril 2020

Lettre à mon frère,

Mon frère, tu es là près de moi.
Je te vois faire une réussite.
Eh, c’est un « solitaire », dis-moi !
Tu vois que je comprends très vite...
Je t’embête avec la télé,
Je ne veux plus la regarder,
Et je t’oblige à mettre un casque,
C’est ça, quand on n’a pas de masque.
Le studio est face à la mer,
Tu vis là depuis une année...
Et que penserait notre mère
À nous voir ici confinés ?
Ta seule possession sur terre
Ces tout petits mètres carrés.
Devant l’infini on se terre
Et l’on regarde les marées.
Quand tu es venu me chercher,
Déjà, on n’osait rien toucher...
Maintenant, on est immobiles.
On sort pas, on est inutiles.
On écoute les médecins,
Et tu m’as dit : « Ce sont des saints ».
Tu t’en souviens très bien je pense
De la chambre de notre enfance,
Le paquet de Choco BN
Et la bouteille de Fruité...
Je vois la vie se répéter.
Il y a des gens qui ont la haine
Parce que je suis venue ici
Au lieu de rester à Paris.
Mais je ne vois vraiment personne
À part l’horizon et ton rire
Quand notre humour enfin résonne
Et nous fait échapper au pire.
Les gens qui n’ont plus de famille
Ceux qui n’ont rien au-dessus d’eux,
Ils savent pourquoi on est deux,
Même espacés comme des quilles.
C’est drôle, ce mètre de distance
Il nous fait frôler tout le sens
Que l’on ne voyait plus aux choses,
Même si c’est une indécence
De voir les mots que certains osent.
Notre père racontait la guerre,
Ce qui se révélait en l’homme
Ce que l’on ne pouvait plus faire,
La vie réduite au minimum.
Notre mère en parlait aussi,
Paris était à la merci
D’une autre maladie virale,
La lâcheté d’un Maréchal.
Elle avait 16 ans en 39,
Et ils se partageaient un œuf.
On est loin de sa catastrophe,
Donc il faut rester philosophes.
Ses dents étaient toutes barrées
Elle avait manqué de calcium
Et elle souriait, contrariée,
En planquant tout au maximum.
Je te regarde mettre des cœurs
Sur des carreaux et sur des piques,
On discutera tout à l’heure,
Tu diras : « Qu’est-ce que tu fabriques ? »
Tu me soupçonneras d’écrire,
C’est ainsi depuis des années,
J’écouterai ta réthorique,
Et je t’admire, mon aîné.
Toi, tu découvres mon métier.
Je redécouvre ta bonté.
Tu sais comment ça va finir ?
L’être humain ne va rien comprendre
Et tout ce qu’il croit approcher
Tout ce grand vers quoi il croit tendre
Bah, ça fera des ricochets.
Il y aura des choses à vendre.
Et bien sûr, on va resaler.
Mais nous, dis, nous resterons tendres ?
On va pas se faire avaler !
Voilà, maintenant tu repères
Pourquoi j’ai voulu ce matin
Te faire écouter France Inter :
On parle de toi, mon frangin...
On parle de tous les frangins.


Sophie Fontanel


2 commentaires:

  1. Un texte fort, oui, quand on n'a personne "au dessus de soi", on se sent parfois très seuls...
    L'amour fraternel est immense et souvent réconfortant, Den
    Merci pour cette page, et les belles roses rouges, tu n'as pas dormi longtemps j'ai vu...

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  2. Les frères, tout près ou très loin, sont l'autre partie de nous même: celle qui compte.

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Par Den :
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