jeudi 28 mai 2020

*Simple anonyme

Paire, Personnes Âgées, Retraités, Âge



Je ne suis ni écrivain, ni actrice, ni connue… une simple anonyme
mais j’ai aussi écrit ma lettre d’intérieur en écho à celles que j’écoute chaque matin. Emplie d’amour, de colère et de chagrin, j’adresse cette lettre à ceux qui nous privent de nos amours, de nos proches, enfermés, cloitrés malgré eux derrière les murs des Ehapd et qui en meurent… à petit feu. Il y a ce virus et il y a l’intérêt général de préserver la santé de tous
Mais il y aussi nos proches dont le souffle de vie s’essouffle, jour après jour, entre les murs des Ehpad et plus encore dans les secteurs protégés de ces mêmes Ehpad.
Et ce n’est pas un masque à oxygène que quémandent ces regards désespérés derrière la vitre…
c’est un peu de la chaleur humaine de leurs proches dont ils ont un besoin vital.
Après 38 jours de séparation…
je dis séparation car bien qu’étant en cantou dans un ehpad à cause d’une sale maladie neuro-dégénérative, j’allais voir mon mari tous les jours et l’emmenais même à la maison pour nous assurer une petite continuité de vie intime. 

Patrick, après 38 jours de séparation,
je n’en peux plus de voir le désespoir dans ton regard quand je te fais coucou à travers la vitre du patio ou de la salle à manger – d’ailleurs hier tu m’as à peine regardée, sans doute ta façon de me dire que, puisque je ne rentre pas, tu préfères ne pas m’avoir vue
je n’en peux plus de te voir te rabougrir jour après jour, te recroqueviller, plié en deux
je n’en peux plus de te voir presque incapable de marcher seul puisque tes 3 séances de kiné hebdomadaires ne viennent plus au secours de ta démarche de plus en plus cahotante
je n’en peux plus de ne pas avoir pu fêter la Saint Patrick avec toi– la seule fois de notre vie commune sans doute
je n’en peux plus de n’avoir pu mettre ma tête sur ton épaule le jour anniversaire de notre rencontre ce 2 avril, il y a 38 ans ! 

Je n’en peux plus de ne pas pouvoir te prendre dans mes bras pour apaiser l’angoisse que je vois dans tes yeux, puisque tu ne peux l’exprimer autrement, et l’incompréhension face à nos 38 rendez-vous manqués
je n’en peux plus de contenir mes larmes quand je te vois déambulant je n’en peux plus du signe de la main qui m’invite à entrer quand tu m’aperçois derrière les carreaux… puis du haussement d’épaules quand tu vois que je ne réponds pas à ton invitation je n’en peux plus des sanglots qui m’envahissent quand j’ai fermé la porte de ma voiture et que je rentre à la maison je n’en peux plus de constater que l’envie de vivre t’abandonne un peu plus chaque jour 

Mon mari ne mourra sans doute pas du coronavirus… mais de la privation du réconfort de nos moments quotidiens ensemble, de nos goûters où je lui préparais ce qu’il aime puisque les plaisirs de la vie lui sont impitoyablement réduits. 

Il mourra du manque d’amour, de calins, de baisers, de l’impossible tendresse, des mots que je ne lui susurre plus à l’oreille, de l’absence de ma tête sur son épaule… 

Et je n’aurais plus que ma détresse de n’avoir pu accompagner l’amour de ma vie.
Je culpabilise de ne pouvoir adoucir ses jours maintenant comptés. Je me souviens de ce que me disait sa neurologue : vous ne pouvez rien contre cette maladie mais vous pouvez apaiser sa désorientation, faire que ses angoisses soient moins fortes… 

Alors j’ai endossé le rôle d’étoile polaire : je suis devenue son repère, son réconfort, le meilleur moment de sa journée – c’est son sourire qui me le disait quand je franchissais la porte et qu’il m’apercevait… et c’était ma récompense. 

Mais depuis plusieurs semaines il ne sourit plus… et moi non plus – les larmes me montent irrépressiblement aux yeux quand j’aperçois sa silhouette devenue si fragile. 

Et la seule question que je me pose aujourd’hui est : 

Jusqu’à quand durera cette inhumanité cruelle qui fait mourir de chagrin dans les cantous des Ehpad ?
Et si mon mari survit à cette inhumanité, à quel état de dégradation sera-t-il descendu en sachant que dans ces maladies un palier franchi vers le bas est sans retour ? 

Porter assistance à une personne en péril est une obligation morale, légale et déontologique, qui s’impose à tout citoyen, et à plus forte raison aux professionnels de la santé pour lesquels le principe est souvent rappelé dans leurs codes de déontologie respectifs. 

En France la non assistance à personne en danger est un délit. Alors qu’attendez-vous, vous qui décidez pour nous ? 

Nous sommes prêts à porter le masque, à mettre des charlottes, des gants et des sur-blouses ou tout ce que vous voudrez… à nous laver les mains toutes les 10 minutes s’il le faut… 

mais laissez nous les aimer et les chérir jusqu’à leur dernier souffle. 

Annaïk 


2 commentaires:

  1. Oh la lal, oui, oui. Poignant!!! Merci Den!
    bon Week-end aussi dans la tendresse de nos proches!

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  2. Tous les textes de cette série sont très émouvants, c'est ce que je viens de répondre à Célestine sur un autre billet..... Un écrit qui laisse sans voix tant il est profond et parle pour nous et de notre rapport aux autres, les nôtres.
    Merci Anne.
    Bonne fin d'après-midi.

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Par Den :
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