"Nous t’avons regardé partir sans pouvoir te serrer (...) sans te dire au revoir ..." - Olivia Ruiz
Olivia Ruiz est chanteuse et musicienne. La parution de son
premier roman, "La commode aux tiroirs de couleur", est prévue pour le 3
juin. Dans cette lettre, écrite par une jeune femme à son grand-père
emporté par le Covid 19, elle exprime la souffrance et la colère de
celui qui se confronte à la mort d'un être cher.
Marseillette, le 25 mai 2020
Lettre d’une jeune femme à son grand-père André, mort en avril 2020 du covid19
Quand je pense comme on en avait rêvé de ces adieux...
Tu avais dit : « ça va être dur d’en jeter autant que ta mère avec sa commode ! » J’avais dit : « ma grand-mère ! » Tu avais dit « Moi je ne te laisserai pas d’écrit, je te parlerai, je te raconterai quand je sentirai que ma fin s’approche à pas feutrés de notre vie. Tu pourras me demander ce que tu veux, j’oserai sûrement laisser aller les larmes que j’ai retenues une destinée entière afin de répondre sincèrement à toutes tes questions. Je m’en foutrais, puisque ce sera fini, c’est logique, non ? » Alors cette lettre pour toi papi, elle n’existera qu’une fois, le temps de naître et s’éteindre dans ma bouche, le temps de s’offrir à voix haute et de brûler l’instant suivant, comme tu l’aurais fait. Si on avait eu le choix. Puisque tu voulais finir en griot, c’est logique, non ?
On avait tout imaginé: se saouler dans des sacs de couchages au creux des ruines de Peyrepertuse et que tu ne te réveilles pas, nous enfuir avec Lola et Nina pour voir s’endormir tes jours à Calella, là où maman et papa avaient passés leur lune de miel. Trois jours à 400 km de la maison parce que vous n’aviez pas mieux à leur offrir et ils étaient éblouis tu disais. Quand maman est morte tu disais que c’était insupportable parce que ce n’était pas dans l’ordre des choses. Parce que les choses se déroulent dans l’ordre d’habitude ? La peste en 2020 c’est dans l’ordre des choses ? Tous nos projets pour ta mort ruinés par mon diabète et l’asthme de Nina, c’est dans l’ordre des choses ça, Papi ?
Rien de ce qui ne nous arrive n’entre dans un putain d’ordre des choses. Nina qui ne dort plus parce qu’elle a peur d’entrer à l’école primaire et qu’elle avait encore tellement à te dire, ce n’est pas dans l’ordre des choses. Voir sa fille dans cet état pour quelque chose auquel on ne peut rien c’est encore pire que de se sentir coupable. On n’a rien à rattraper. Tout est trop tard et notre volonté la plus grande ne nous sauvera pas cette fois. C’est trop tard. Comme nos adieux sont passés. Sans nous.
Notre seule chance on nous l’a volée. Et l’on n’a personne contre qui hurler, se déverser ou de qui se venger. Nous sommes seules sans toi et sans ennemi à haïr de tout notre être pour changer les idées de notre peine.
Nous t’avons regardé partir sans pouvoir te serrer, sans te dire merci, sans te dire au revoir et sans pouvoir t’entendre. Seules Leonor Carmen et Meritxell étaient près de toi. Nous étions à 30 mètres, Nina et moi. Privées. Punies. Pour l’éternité. Punies d’être à risques et de t’aimer trop pour t’infliger la responsabilité de nous contaminer. Papi, tu méritais mieux que ça. Tu avais réussi à me faire croire que ma persévérance et mon sens de la justice auraient raison de tout. Tu t’es trompé. Je m’en désole immensément. Aussi immensément que je t’aimerai toujours.
Olivia Ruiz
Marseillette, le 25 mai 2020
Lettre d’une jeune femme à son grand-père André, mort en avril 2020 du covid19
Quand je pense comme on en avait rêvé de ces adieux...
Tu avais dit : « ça va être dur d’en jeter autant que ta mère avec sa commode ! » J’avais dit : « ma grand-mère ! » Tu avais dit « Moi je ne te laisserai pas d’écrit, je te parlerai, je te raconterai quand je sentirai que ma fin s’approche à pas feutrés de notre vie. Tu pourras me demander ce que tu veux, j’oserai sûrement laisser aller les larmes que j’ai retenues une destinée entière afin de répondre sincèrement à toutes tes questions. Je m’en foutrais, puisque ce sera fini, c’est logique, non ? » Alors cette lettre pour toi papi, elle n’existera qu’une fois, le temps de naître et s’éteindre dans ma bouche, le temps de s’offrir à voix haute et de brûler l’instant suivant, comme tu l’aurais fait. Si on avait eu le choix. Puisque tu voulais finir en griot, c’est logique, non ?
On avait tout imaginé: se saouler dans des sacs de couchages au creux des ruines de Peyrepertuse et que tu ne te réveilles pas, nous enfuir avec Lola et Nina pour voir s’endormir tes jours à Calella, là où maman et papa avaient passés leur lune de miel. Trois jours à 400 km de la maison parce que vous n’aviez pas mieux à leur offrir et ils étaient éblouis tu disais. Quand maman est morte tu disais que c’était insupportable parce que ce n’était pas dans l’ordre des choses. Parce que les choses se déroulent dans l’ordre d’habitude ? La peste en 2020 c’est dans l’ordre des choses ? Tous nos projets pour ta mort ruinés par mon diabète et l’asthme de Nina, c’est dans l’ordre des choses ça, Papi ?
Rien de ce qui ne nous arrive n’entre dans un putain d’ordre des choses. Nina qui ne dort plus parce qu’elle a peur d’entrer à l’école primaire et qu’elle avait encore tellement à te dire, ce n’est pas dans l’ordre des choses. Voir sa fille dans cet état pour quelque chose auquel on ne peut rien c’est encore pire que de se sentir coupable. On n’a rien à rattraper. Tout est trop tard et notre volonté la plus grande ne nous sauvera pas cette fois. C’est trop tard. Comme nos adieux sont passés. Sans nous.
Notre seule chance on nous l’a volée. Et l’on n’a personne contre qui hurler, se déverser ou de qui se venger. Nous sommes seules sans toi et sans ennemi à haïr de tout notre être pour changer les idées de notre peine.
Nous t’avons regardé partir sans pouvoir te serrer, sans te dire merci, sans te dire au revoir et sans pouvoir t’entendre. Seules Leonor Carmen et Meritxell étaient près de toi. Nous étions à 30 mètres, Nina et moi. Privées. Punies. Pour l’éternité. Punies d’être à risques et de t’aimer trop pour t’infliger la responsabilité de nous contaminer. Papi, tu méritais mieux que ça. Tu avais réussi à me faire croire que ma persévérance et mon sens de la justice auraient raison de tout. Tu t’es trompé. Je m’en désole immensément. Aussi immensément que je t’aimerai toujours.
Olivia Ruiz
Je pense à ma mère qui est partie juste avant le confinement...
RépondreSupprimerComme ç'aurait été dur pour moi, pour elle, pour nous tous...
Les hommes sont fous. On n'interdit pas aux gens d'accompagner un proche, c'est inhumain et je comprends cette colère.
•.¸¸.•*`*•.¸¸☆
Maman s'est éteinte en mars 2017, le 13 plus précisément, et avec mon frère et ma soeur avec le recul nous avons pensé qu'il avait été préférable qu'elle ne connaisse pas ces souffrances de séparation d'accompagnement lorsqu'elle a terminé sa vie en EPHAD : un an et demi très difficile !. Elle aurait également beaucoup souffert de partir sans adieux.
RépondreSupprimerjolie écriture d'Olivia Ruiz qui nous parle.
Merci Célestine.
Je t'embrasse.